72. Home sweet home
Julien
Je prends la petite départementale qui mène à ma nouvelle maison. Je suis seul dans la voiture car Albane est restée avec Sophie et Gabin afin de commencer à tout déballer dans ma nouvelle demeure. Je n’en reviens toujours pas de tous ces mots qui signifient que c’est la fin de la galère. MA maison. Ça sonne vachement bien ! En parlant de vache d’ailleurs, je passe à côté du champ qui borde mon chez moi et je salue, comme lors de tous mes passages ce jour de déménagement, les vaches paisibles qui me regardent nonchalamment. Cet endroit me plaît et moi, le Parisien, je me suis trouvé un véritable amour pour ces bovidés placides.
J’arrive enfin et fais attention dans ce dernier virage qui peut être un peu traître avant de me garer. Albane m’accueille avec un sourire, et une grosse lampe dans les bras. Je descends de ma voiture en essayant de ne rien faire tomber et me précipite à ses côtés.
- Attends, Albane, je vais t’aider ! Tu n’as pas à tout porter quand même ! C’est mon déménagement !
- Ça va, j’en ai vu d’autres, rit-elle. J’ai fini de monter le lit de ton fils, pour info !
- Trop forte ! Que ferais-je sans toi qui vins à ma rencontre ?
Je fredonne en parodiant la chanson de Jean Ferrat et lui souris, puis lui vole un baiser en les enlaçant, elle et sa lampe.
- Allez, on finit de vider ma voiture, et après, c’est bon. Il ne reste plus rien à moi au CHRS. Grâce à ton aide, on a tout fait dans la journée ! On est trop forts !
- Hum… D’accord. Tu as fait l’état des lieux de sortie, du coup ? C’était vraiment ta dernière journée au centre ?
- Non, Jordan m’a dit qu’il n’avait pas les papiers pour l’état des lieux. Il faudra que j’y retourne demain pour le faire. Avec toi, il paraît…
- J’ai laissé les papiers sur le bureau, il est… Grrr ! Vaut mieux que je me taise...
- Un vrai con, oui, je sais !
Je ris et entre avec elle, portant mon chevalet que j’ai réservé pour le dernier voyage afin de ne pas l'abîmer. Je vais l’installer dans la salle toute vitrée qui me servira d’atelier et je cherche à retrouver mes enfants. Je les vois dans la future chambre de Sophie, avec Albane. Ils sont tous les trois assis sur le lit, en train de regarder un vieil album photo qui nous a suivis depuis notre départ de Paris. J’avais complètement oublié son existence… En tous cas, Albane a passé un bras autour de Gabin qui est assis sur ses genoux et Sophie se penche sur son épaule. Ma fille explique qui est sur les photos et Albane sourit. Qu’elle est belle. C’est une vision à laquelle je pourrais vite m’habituer. Surtout que ma belle brune s’est mise à l’aise pour le déménagement. Elle porte un petit short bleu pâle et un tee-shirt qui ne demande qu’à être enlevé. Sa beauté naturelle vient donner une touche magique à ce beau tableau qui se présente devant moi. Je sais quel sera l’objet de ma prochaine toile.
- On ne se moque pas, Albane ! J’avais peut-être un peu abusé sur la taille de la barbe, mais je trouvais à l’époque que ça me donnait un air sauvage qui devait forcément plaire aux femmes !
- Je ne me moque pas, j’aime bien, rit-elle. Plus que les photos sans barbe, Papa Ours !
- Ah… Sans barbe… Ça ne se reproduira pas, c’est sûr ! J’avais l’air d’un chérubin, encore plus jeune que Gabin !
- Non, Papa, même sans barbe, tu avais l’air plus vieux que moi !
- Oui, je suis d’accord avec ton fils. Mais… Tu faisais un peu trop sage à mon goût.
- C’est vrai que je ne le suis plus du tout, sage !
Je lui réponds en lui faisant un clin d'œil puis je vais à la cuisine. Albane y a déjà fait des miracles car les ustensiles sont tous sortis, il y a même une casserole et une poêle dans l’évier ! Cette femme pense à tout. Elle est vraiment incroyable. Je sors quelques courgettes et les prépare avec quelques herbes et fais chauffer de l’eau pour du riz. J’en profite pour continuer à ranger un peu et réarranger à mon goût les quelques verres et produits que j’ai ramenés du CHRS. Il n’y a pas grand chose, mais ça fait plaisir de se dire que tout ça, c’est chez moi. Je n’en reviens toujours pas.
Attirés par l’odeur de la cuisine, Albane descend bientôt de la chambre avec les deux enfants. Elle vient derrière moi et m’enlace alors que je suis en train de goûter le riz pour voir s’il est cuit.
- Ça sent bon, dis-donc ! Qu’est-ce que tu nous as préparé ?
- Un truc tout simple, juste pour ne pas mourir de faim, rétorqué-je, flatté de sa petite phrase et ravi de la sentir toute proche de moi. Sophie, tu peux mettre la table, s’il te plaît ?
Je suis ravi que les enfants aient accepté aussi facilement sa présence. Nous ne nous cachons plus devant eux, ils ont vite compris qu’il y avait un “truc” entre nous. Ils n’ont vu que des bisous, mais c’est tellement agréable de vivre sans contrainte, sans se cacher.
Sophie met la table, et Gabin l’aide volontiers en s’amusant à glisser avec ses chaussettes sur la vieille tomette qui pave le sol. Les enfants ont adoré cette maison quand nous l’avons visitée tous les trois, et en les voyant déambuler de pièce en pièce et se battre pour savoir laquelle serait leur chambre, j’ai compris qu’ici serait le lieu de notre nouvelle chance. Et, dans cette maison chaleureuse au cachet normand, Albane se fond à merveille. Comme dans notre famille, d’ailleurs. Difficile de ne pas s’imaginer y vivre avec elle quand elle demande aux enfants d’aller se laver les mains avant de passer à table, et chatouille Gabin à son passage près d’elle.
J’apporte les plats à table et la rejoins à l’évier, me collant dans son dos pendant qu’elle se lave les mains. Je devrais en faire de même, mais je préfère cent fois les glisser sur ses hanches et poser mes lèvres dans son cou. Je la sens frissonner contre moi, et ris lorsqu’elle attrape mes mains pour les amener sous le jet d’eau, me collant davantage contre elle.
- Tu dors ici ce soir ? murmuré-je en déposant de doux baisers sous son oreille.
- Je ne sais pas… Vous devriez profiter tous les trois, Julien…
- Je crois que je profiterais encore plus si tu étais là. Tu… fais partie de la famille, tu sais ?
Albane me regarde alors, les yeux brillants. Je me demande si elle va pleurer, mais elle se contente de passer ses bras autour de mon cou et vient m’embrasser.
- Berkkkkk ! crie Gabin ! Pas de bisous ! C’est sale ! Et j’ai faim !
J’éclate de rire, bientôt rejoint par Albane et Sophie. Je relache Albane et viens faire le service. Elle n’a toujours pas répondu à ma question, et c’est Sophie qui reprend la conversation dans le silence paisible qui s’est installé.
- Tu sais, Albane, tu peux rester. Tu donnes le sourire à Papa. Il n’a jamais ri autant qu’avec toi. Et moi, ça ne me dérange pas du tout, vraiment.
- Merci, Sophie, lui répond Albane, visiblement touchée. C’est… Important pour moi que ça ne vous dérange pas. Enfin, je ne veux pas que ma présence vous gêne.
- Albane, tu me liras l’histoire ce soir ! Papa, il fait des voix trop bizarres !
Gabin s’en mêle à son tour et valide par sa demande la présence de la femme que j’aime et avec qui j’ai envie de passer le reste de mes jours.
- Tu vois, Albane, ce soir, tu dois rester, sinon mon Poussin n’aura pas son histoire !
- Très bien, soupire-t-elle théâtralement, je vais me sacrifier pour l’histoire de Gabin.
- Et après, ce sera à moi qu’il faudra venir raconter une histoire. Mais pas une histoire qui donne envie de dormir, hein ? Une histoire qui donne envie de faire des bisous ! Allez, mangez tant que c’est chaud !
Je monte les marches qui mènent au premier étage après avoir pris une bonne douche. Le palier est encombré de cartons, mais mon portant à toiles, récupéré chez mes anciens beaux-parents, trône fièrement dans un coin, bien rempli. Albane en a déjà sélectionné quelques-unes, qu’elle verrait bien accrochées en bas, mais je ne suis pas sûr de vouloir voir mes peintures accrochées chez moi telles des œuvres d’art.
Je frappe doucement à la porte de Sophie, et entre même si je n’ai pas eu de réponse. Ma fille est endormie dans son lit, un livre tombé au sol à côté du lit. La journée a été longue pour tout le monde. Je remonte le drap sur elle et l’embrasse sur le front avant d’éteindre la lumière et de sortir en observant la pièce, éclairée par la lumière du couloir. Elle a déjà accroché au mur quelques photos de nous, dont celle de Noël dernier, avec mon déguisement de Père Noël. Notre première photo avec notre éducatrice. Je me rends ensuite dans la chambre de Gabin et souris en découvrant mon fils endormi dans les bras d’Albane qui, elle aussi, dort, glissée sous un drap vert couvert d’animaux sauvages. J’hésite presque à la réveiller, mais c’est dans mon lit que je veux la voir endormie, pour que cette première nuit dans mon nouveau chez moi soit parfaite.
- Albane, murmuré-je en me penchant pour caresser sa joue.
Albane sursaute et plante ses deux yeux dans les miens avant de sourire. Elle se glisse doucement hors du lit et borde Gabin avant que je ne l’embrasse lui aussi, et nous quittons la chambre en silence.
- La douche a été bonne ? me demande-t-elle en descendant les escaliers.
- Ça fait du bien, après une journée comme celle-ci, j’avoue, mais ça aurait été encore mieux avec toi. En plus, elle a l’air beaucoup plus confortable qu’au CHRS ou chez toi…
- Ce n’est que partie remise ! T’aurais pas une brosse à dents à me dépanner, par hasard ? Je n’avais pas prévu d’être kidnappée ce soir.
- J’ai bien une brosse à dents à te prêter, oui… Mais par contre, il y a un gros souci…
- Lequel ? me demande-t-elle en fronçant les sourcils.
- Eh bien, je n’ai pas de pyjama à te prêter en revanche… Tu crois que tu vas survivre ?
- Je devrais pouvoir survivre, rit-elle. Ce qui m’inquiète le plus, c’est de ne pas avoir les câlins de Cravate pour m’endormir…
- Je vais me sacrifier alors. Il me reste quelques câlins pour les jolies femmes en détresse !
- T’as pas intérêt à câliner toutes les jolies femmes en détresse, Perret, sinon je te jure que t’auras affaire à moi, bougonne-t-elle en entrant dans la salle de bain et je souris de la voir si possessive.
Je la suis et lui tends une brosse à dents que je récupère dans un sac. Elle a déjà fait tomber son tee-shirt et le soutien gorge. Elle est à moitié nue, devant moi, seulement vêtue de son petit short. Qu’elle est belle comme ça.
- Voila pour la seule jolie femme qui me donne envie de câlins !
- Merci bien, Monsieur Perret. Un gant de toilette et un peu d’intimité ? sourit-elle avant de poser ses lèvres sur les miennes pour un rapide baiser.
- Coquine ! Non, ce soir, je ne passerai pas le gant sur ton intimité ! Ce soir, c’est gros câlin et au dodo !
Je fais mine de mal interpréter sa demande et la serre fort contre moi pour lui décocher un baisser torride et passionné qui la laisse haletante. Puis, bon seigneur, je cherche les gants que je ne trouve pas.
- Désolé, ma chérie. Pas de gant pour ce soir ! Pour l’intimité, je te laisse voir !
- Très bien, je vais prendre une douche en vitesse alors, le câlin me fait très envie, mais notre… Heu, ton lit n’est pas fait.
- Je m’en vais préparer de ce pas notre lit. Tu verras, il y aura une surprise entre les draps quand tu me rejoindras !
Je lui dépose un baiser dans le cou avant de sortir et de retourner dans notre chambre. Je récupère du linge et le mets sur le lit avant de me déshabiller et de me glisser dans les draps légèrement parfumés. Je réfléchis à tout ce qu’il s’est passé depuis mon arrivée au CHRS et à la chance que j’ai eue de tomber sur Albane, de la rencontrer, de vivre cette relation qui s’est développée jour après jour pour devenir cet amour que nous partageons désormais. Plus besoin de nous cacher maintenant que je suis sorti du CHRS. Plus besoin de mentir. On va pouvoir vivre au grand jour. Cela m’excite, me fait plaisir. Mais j’avoue que je suis aussi stressé. Et si elle se lassait de moi ? Et si je gâchais tout une nouvelle fois avec mon caractère de cochon ? Et si elle trouvait quelqu’un de plus…
Perdu dans mes pensées, je ne l'ai pas entendue revenir et je suis surpris quand je sens ses mains se poser sur moi. Elle est nue. Elle est splendide. Et elle est avec moi. Albane se cale contre moi et pose sa tête contre mon torse.
- Alors, c’est quoi cette surprise ?
- Un nounours même pas en peluche ! Juste pour toi !
- Je vois, rit-elle en venant passer ses doigts dans ma barbe. Poilu quand même, le nounours. Mais vachement moins bougon qu’il ne l’était… Le sourire te va bien, tu sais.
- C’est d’être avec toi qui me va bien. Tu as fait de moi un homme nouveau. Grâce à toi, j’ai saisi la nouvelle chance qui m’était offerte. Je t’aime, Albane.
- On a finalement tous les deux offert une nouvelle chance à l’autre, alors, dit-elle en venant poser ses lèvres sur les miennes. Je t’aime, Papa Ours.
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