Cela fait un siècle

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- Oui peut-être, vous savez Mardi ou Mercredi sont comme 48 heures d'affilée pour moi...

- J'aurais bien aimé de la précision, ressaisissez-vous Monsieur Lhermitte.

On était face à face, il a rapproché le fauteuil dans lequel il était assis pour envahir ma zone personnelle.

Deux mètres, c'était soigneusement agencé, comment a-t-il pu oser m'agresser de la sorte, à entrer chez les gens, à s'asseoir dans leurs fauteuils, à bouger leurs meubles.

Et ce ton, cette autorité de pacotille, qui ne réside que dans un haussement de voix dysharmonieux, mal jaugé, ne tombant même pas au stade stratégique de la conversation.

Un caillou ce mec, d'une connerie impénétrable, fait d'une seule matière, quel ennui !

- eh bien disons mardi, dix heures du soir, celle de la pause, j'ai tourné la tête vers la fenêtre.

- laquelle ? Il faut être précis.

- j'étais au milieu de la pièce, assis en tailleur, sur la table, donc cette fenêtre-là.

J'ai pointé mon doigt vers la seule fenêtre de la pièce.

La véranda, quoi. Y a pas de fenêtre dans la salle d'eaux, la cuisine donne sur le salon, et la chambre au-dessus n'a qu'une lucarne, on n'y voit pas grand chose.

Il m'énerve, pourquoi ce genre de comportement existe.

- comment l'avoir vue s'il faisait nuit ?

- il ne faisait pas sombre chez moi. Elle a collé sa tête sur ma vitre. Peut-être qu'elle m'espionnait. Ça a laissé une trace.

- quelle taille faisait-elle ? Vous ne l'avez pas précisé.

- Faites-voir votre pouce. Voilà, disons comme votre pouce, à peu de choses près.

Je te l'avais dit, il sort de nulle part. Il doit travailler à son compte, personne ne peut vouloir de lui.

- mais vous étiez loin de la fenêtre, à cette distance il faut avoir une vue très précise.

- elle sautillait un peu, le mouvement ça capte l'attention.

Il avait qu'à être là s'il voulait la voir, il avait qu'à acheter ma maison avant moi, construire ma véranda, planter ce champ de maïs juste là-bas, et s'asseoir sur ma table qui serait la sienne.

- et faisait-elle du bruit ? Un geignement, un froissement, n'importe quel bruit précis ?

- je n'utilise plus mon ouïe à partir d'une certaine heure : mise en veille automatique.

- mais n'avez-vous pas essayé de communiquer avec elle ?

- non. J'étais dedans, elle était dehors. Mon double vitrage isole vraiment bien et je n'aime pas crier.

Comme je te l'avais dit, il m'a épuisé avec ses questions simplettes. C'était l'heure exacte pour cueillir le maïs en plus. Il m'a volé mon temps.

Je voyais les épis se désagréger à mesure qu'il parlait. Je suis sûr que son débit effréné de sornettes n'a fait qu'accélérer le processus.

Le soir, du coup, je n'ai rien eu à manger, j'ai dû m'endormir dans les vibrations furieuses de mon estomac.

Si je le recroise, ce fêlé, je lui crache à la tête.

- donc si je comprends bien vous n'avez rien fait, vous l'avez laissée partir.

- non, vous ne comprenez pas bien.

- expliquez-moi donc précisément ce que vous avez fait.

- je l'ai regardée pendant qu'elle me regardait.

- n'a-t-elle pas tenté d'entrer ?

- pourquoi aurait-elle voulu entrer ?

- par exemple pour voler quelque chose de précis.

- vous voyez bien qu'il n'y a rien à voler chez moi, encore moins quelque chose de précis.

- pour vous attaquer alors.

- je suis trop vieux pour être attaqué.

- raison de plus, une cible facile, aucune résistance.

- je serais tombé, ça ne vaut pas le coup.

Un champion celui-là, il n'a pas réalisé qu'il se tournait en ridicule. Je te l'avais dit, une perle. Ça a duré des lustres, j'ai des nausées rien qu'à y repenser.

- avez-vous eu peur au moins ?

- je vous l'ai dit, c'était ma pause, j'étais détendu.

- vous n'avez pas eu envie qu'elle parte ?

- elle est partie.

- ça je l'ai bien compris, bon sang ! Ne voyez-vous pas que j'essaie de récolter des informations pour retrouver sa trace !

- elle volait, elle n'a pas laissé beaucoup de traces, sauf celle sur la vitre.

- par où est-elle repartie précisément ?

- je ne sais pas, je me suis assoupi.

- mais vous venez de me dire l'avoir vu partir.

- non, ce matin j'ai déduit de son absence qu'elle était partie.

En plus d'être stupide il était sourd. J'aurais dû l'empêcher d'entrer chez moi. J'aurais dû comprendre à sa tête qu'il allait m'énerver.

En même temps il ne m'aurait pas lâché, il serait resté planté devant ma porte, à attendre que je sorte.

Après, comme je ne sors pas il aurait attendu longtemps.

Sauf s'il m'avait vu sortir par la véranda pour aller chercher le maïs. Au moins j'aurais pu aller chercher mon maïs.

Mais pour ça, il aurait fallu qu'il m'espionne sous tous les angles de la maison ; et on ne peut pas avoir les yeux partout.

D'ailleurs, s'il avait eu les yeux partout il l'aurait retrouvée depuis longtemps sa libellule.

- cela fait un siècle que je cherche.

- oui, vous avez l'air fatigué.

- j'aurais pu enfin la trouver grâce à vous.

- oui, peut-être.

- pouvez-vous m'indiquer la sortie ?

- par où vous êtes entré.

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