Docteur Gradys

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Journal de bord du Docteur Gradys

Gouvernemental, ainsi que ses longs jardins verdoyants, aux multiples fleurs, aux diverses plantes que je n'ai jamais vues lorsqu'on sillonnait la nation, n'avaient pas réussi malheureusement à me faire oublier la seule fleur qui n'ait jamais ébahi mon regard, ma mère. Je n'avais que huit ans, j'étais jeune, apeuré, craintif, désarçonné par tout ce monde étranger qui, souvent, posait sur moi un regard d'envie, d'admiration presque hystérique que je ne comprenais point.

Le siège de Gouvernemental se situait à des milliers de kilomètres de mon petit village, dans une contrée splendide où le ciel est bleu pervenche, le soleil rayonnant d'un jaune vif que n'obscurit point la fumée de maisons brûlées, puis il y a ces immenses jardins qui l'entourent, clôturés par des barrières en métal forgé d'un rouge écarlate.

Le siège officiel du gouvernement était une tour aussi large qu'immense, frôlant presque le ciel, toute blanche auparavant, mais qui a été tapissée de dessins populaires et de graffitis pour montrer au peuple ignorant que les combattants avaient pris le pouvoir, et que c'était là une façon particulière à eux de dire : Gouvernemental est au peuple, enfin ! Sauf qu'il ne l'a jamais été.

La tour en question, surmontée tout en haut d'un grand colibri butinant un hibiscus, emblème authentique et millénaire de la nation, m'était prohibée jusqu'à mes vingt ans. Je la regardais de loin, lors de mes années d'adolescence, étonné de voir toutes ces personnes qui y rentraient, qui y sortaient, espérant secrètement en faire un jour partie sans me douter qu'après quelques années seulement, je serais même membre de la haute sphère de Gouvernemental, la plus dangereuse.

En attendant, j'étais placé, à l'instar de tous mes congénères, dans Genius Salvage School, un bâtiment en pierre brute, entourant la tour, l'encerclait de partout comme un bracelet ceignant un poignet. C'était là que se déroula toute ma vie, là que je mangeais, que je dormais, que je faisais le génie, que je tombai amoureux.

Sauf qu'avant de devenir ce que je suis réellement, le Docteur Gradys, savant talentueux, physicien hors pair, mathématicien ingénieux, j'étais au tout début un petit garçon, maigrichon, pleurant tout le temps l'absence de sa mère et implorant ceux qui entendaient les prières de me laisser partir.

C'était une matinée pluvieuse, lors qu'un cours de Physique-Chimie qui ne me passionnait pas, ou précisément que je ne voulais pas qu'il me passionne, que mon professeur Kalper se présenta à mon pupitre, voyant bien que mes paupières étaient tombantes, écarlates et toutes bouffies. Il comprit aussitôt et me retint auprès de lui après la fin de la séance. " Tu ne peux espérer ce genre de chose Gradys, Gouvernemental t'a sauvé parce que tu es un génie, et c'est ton devoir de le remercier en faisant ce que tu es fais pour. "

C'était un homme de cinquante ans, la barbe cuivre et sel, le crâne grisonnant par endroits, le sourire communicatif d'un humain qui a pleinement l'habitude de réconforter les petits garçons. Il m'avait pris dans ses bras, ses longs bras d'orang-outant, et m'avait susurré que faire le génie est dans mon cas instinctif, et qu'il fallait juste l'éveiller, l'aiguiser et attendre des résultats stupéfiants. Néanmoins, je n'avais pas désespéré, j'étais tenace ; je voulais ma mère, son étreinte maternelle et tendre comme il y en aurait jamais à ma disposition me manquait terriblement, même l'odeur de sa sueur répugnante lorsqu'elle revenait des champs me manquait.

Professeur Kalper était tout de même patient avec moi, peut-être avait-il vu en moi les capacités nécessaires que cherchait Gouvernemental, en somme un génie qui ne se contenterait pas de faire le génie, mais d'apporter des nouveautés stupéfiantes. J'avais même tenté une fuite planifiée qui s'était resolvée en échec et qui a failli me coûter une punition sévère, si professeur Kalper ne s'était immiscé pour me sauver. Et au bout de quelques mois, je me suis persuadé que ma mère n'existait plus, j'avais ensuite fermé mon esprit à tous les souvenirs susceptibles de me faire entrevoir ne serait-ce qu'un bout de cette autre vie puis j'avais entamé une autre étape.

Au fil des années, d'études rudes et difficiles, d'examens plus ou moins réussis, je finis par me passionner brutalement, éperdument pour la Physique-Chimie, et notamment pour le Pharmaceutique. J'avais à cette époque seize ans et je n'avais plus en tête ma mère, ni ses yeux gris qui transperçaient ; j'étais pleinement un génie qui consacrait ses jours qu'aux équations mathématiques, aux problèmes que je tentais de résolver avec cette détermination propre à tous les élèves de Genius Salvage School.

Dehors, la nation appartenait à ceux qui voulaient bien d'elle, nous étions dans notre petit cocon, fidèles à notre école, à nos longs jardins qui nous servaient d'échappatoires. Mais pendant tout ce temps, à travers la fenêtre du dortoir, je regardais la tour, les gens qui y entraient, qui y sortaient, ceux qui riaient, qui se disputaient parfois, en me demandant qui ils étaient, quel rang occupaient-ils au sein de Gouvernemental.

Puis j'observais attentivement l'immense colibri et son hibiscus, l'emblème de la nation. Professeur Kalper m'avait appris qu'il avait une grande signification. Car en effet, le colibri représentait Gouvernemental qui, comme l'oiseau, aura toujours une longueur d'avance sur le peuple représentant l'hibiscus.  

" Gouvernemental butine le peuple ? lui avais-je demandé, incrédule. "

" Non, il extrait de lui ce qu'il a besoin. Ça a toujours été comme ça, Gouvernemental ruse, domine et afflige. Et ça le restera. Tu feras en sorte que ça continue comme ça, Gradys. Je compte sur toi."

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