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— En contrepartie de quoi ? Pourquoi nous t’aiderions ?

— Parce que ce n’est pas mon combat. J’ai déjà de quoi risquer ma vie en bas.

— Ah ! Alors pourquoi vouloir redescendre ? Si tu nous aides, tu pourras au moins repartir avec cette fiole.

La fille à la longue tresse brune sortit le contenu de sa poche comme un trophée.

— Chez toi, tu pourrais mourir de faim avant d’avoir marché deux pas. Avec ça, tu pourras conserver un aliment une année entière. Tu auras le temps de récolter nombreux mets avant qu’il te manque de la nourriture.

— Tien, on me l’a déjà présentée.

Suan reconnu la fiole, pour autant il n’était toujours pas convaincu de former alliance avec ces étranges villageoises. Même si elles disaient vrai, qu’est-ce qui lui prouvait qu’une fois leur être venu en aide, elles tiendraient leur promesse ? Puis il y avait Grenouille. Il ne risquerait pas encore sa vie, quoi qu’elle fût désormais.

Analoum sentit le scepticisme du voyageur face à ses dires, alors elle sortir une pomme de sa besace. Elle la mit entre les mains du jeune homme qui la regardait faire avec un froncement de sourcils. Une goutte d’un liquide jaunâtre tomba sur le fruit. En un instant elle disparut absorbée par la chair polie de la pomme.

— Une semaine pour qu’elle pourrisse, disons même trois jours vus que nous sommes en zone humide. Garde-la et ressort là quand tu le voudras. Tu verras que je ne mens pas.

Trysol pencha la tête dans la direction de son amie. Son regard foudroyant était explicite : « je n’attends pas une semaine pour prendre la route ! »

Analoum agita sa main pour temporiser la rouquine. Trysol ne se contenterait pas de ce seul geste, alors, la brune revint vers elle, laissant Suan a son analyse.

— Moi aussi, j’ai des frères à récupérer, s’énerva-t-elle tout en baissant le son de sa voix. Ce garçon est bouffé de curiosité. Il n’est pas idiot. Il sait qu’il mourra en redescendant. Il faut attendre, un jour ou deux.

— Puis quoi encore ?!

— Je suis sérieuse. On a besoin de lui.

Analoum planta ses yeux rose veinés de jaune dans ceux de son amie.

— Je sais combien tu as mal. Je t’entends hurler à l’intérieur. Ce garçon pourrait changer bien des choses, à savoir ce qui nous vole nos hommes.

— C’est la démone, assura Trysol en serrant la mâchoire.

— Qu’est-ce qu’on en sait en vérité ? C’est ce qui se raconte depuis les deux dernières décennies. Quelque chose se met en place. L’univers nous a peut-être écouter et c’est pour ça qu’il est là, que Jeckm nous a dit tout ça sur ses visions. Je pense à nous, aux gamins qui sont encore trop jeunes, à ceux qui naîtront et aussi à ceux qui ne naîtront pas. Y’a pas que nous dans l’histoire. Tu le sais, parce que c’est toi qui me là fait remarquer, y’a pas si longtemps.

Elle glissa sa main sur le dos de la rouquine et frotta. Ses doigts se perdirent un instant sur ses reins. Elle marqua un arrête au souvenir d’un baiser échangé un soir où les cheveux terrorisaient la ville d’où elles venaient.

— J’en ai marre de me cacher, de fuir, comme beaucoup d’entre nous. Chaque saison notre nombre diminue. Essayons. L’impatience n’a plus ça place à nos côtés.

— Et c’est toi qui dis ça ?

— Exactement. Alors, tu marches ?

Trysol répondit par un hochement de tête désabusée. Le feu qui brûlait en elle servait qu’à attiser ses craintes, perdre jusqu’au dernier de ses frères. La solitude l’attraperait alors et prise dans une habitude, elle s’éloignerait des autres. Quand le calme reprendrait le contrôle de ses émotions, elle relativiserait à son tour. Pour le moment il était trop tôt. Trysol s’enferma dans sa bulle et serra les poings. Il y avait une chose qui la terrifiait plus que les autres, c’était de ressembler à ses parents, de se délasser du monde, des gens et de claquer la porte derrière elle, puis disparaître. Son père était parti en premier, suivit de près par sa mère. Le mécanisme de leur cœur avait sauté, peut-être une pièce était venue à se rouiller, se perde dans la machine qu’était leur corps. Finirait-elle comme eux détruite par les pertes ?

Elle jeta un regard conciliant à Analoum et se laissa entraîner par le plan élaborait par les soins de son unique amie. Elles étaient parties avec une idée précise en tête. Une idée qui tapissait leur pensée depuis bien des semaines.

La rouquine s’approcha du jeune homme qui fixait la pomme. Lui aussi, il avait perdu du monde. On voyait la peine et le chagrin qui imbibaient ses yeux brun mordu d’un éclat doré. Que fallait-il pour amadouer un pauvre homme dont le cœur pleurait si fort sans qu’il ne parvienne à l’entendre lui-même ?

Analoum enfouit la fiole dans sa poche attirée par le mouvement de Trysol. Rares étaient les fois où elle allait d’elle-même vers les gens. Ce n’était jamais sans conséquence. La brune s’inquiéta du tremblement qui s’empara des bras de la jeune femme aux veines plus bleues que le gel. Inconsciemment, elle chercha à la dissuader de s’approcher trop près de Suan, mais avant qu’elle ne puisse l’attraper Trysol agrippa le coude du jeune homme.

— Quelles sont tes chances de périr avant même de retrouver ton sol ? Si tu nous aide, sois certain qu’on te donnera la force nécessaire pour ta descente.

— Je n’ai pas besoin de votre force pour descendre. Je n’en ai pas eu besoin pour monter.

— Si c’est là ta réponse, bien à toi de trouver ton chemin seul.

Trysol crispa les poings. Ses veines commencèrent à scintiller, rien qui ne présage une accolade et un bon vent sans une flèche entre les deux yeux.

— Si on retrouve ton cadavre d’ici quelques lieux, on prendra la peine de te mettre en terre, intervint Analoum. Enfin, les charognards sont nombreux de nos jours. Pas sûr qu’il reste quelque chose. Mais bon, tu seras déjà mort. Je te souhaite de ne plus tomber sur des créatures du même acabit que ces ondines maudites. Trysol ! On y va.

Les filles s’éloignèrent sous le regard tracasser de Suan. Il les vrilla sur Grenouille qui, les joues encore pleines, secoua la tête en roulant les yeux.

La cape de la rouquine voleta sous une bourrasque, puis disparut.

— Je ne leur courais pas derrière. Elles n’ont rien à nous offrir de valable. Je me suis trop de fois battue pour les autres, sans avoir un remerciement. Notre père est mort des souffrances dû à la guerre. On ne lui a jamais rien donné que des plaies ouvertes. Je n’ai plus le cœur suffisamment tendre pour me laisser embobiner. Et tu devrais en faire de même. N’ai pas tant de pitié pour n’importe qui. Dois-je te rappeler ce qui s’est passé la dernière fois que tu as voulu aider.

Grenouille se détourna de Suan. Elle le faisait chaque fois qu’il en reparlait.

— Me diras-tu un jour ce qu’on t’a fait endurer dans cette forêt maudite ? Et pourquoi tu m’es revenue ainsi ?

Grenouille s’éloigna du lac, avalant sa dernière bouchée de framboise. Suan lui emboîta le pas. Aucun d’eux ne savait s’ils empruntaient le bon chemin.

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