Chapitre 6

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Les jours lui avaient paru longs, et c’est en se levant le premier, que Suan se rendit compte que les nuits l’étaient tout autant. Il déambula dans le salon veillant Xin-Shen en boule contre Analoum. Sa tête était posée avec décontraction sur les hanches de la brune et bougeait au rythme de sa respiration. C’était à se demander comment Grenouille dormait. Elle s’était allongée sur son torse, laissant trainer bras et jambes dans le vide comme un pantin, pour finir recroquevillée sur une femme qui racontait des blagues douteuses en dormant. Analoum était particulièrement éreintante et ça ne faisait pas une journée complète qu’il marchait avec elle.

Sous la lumière mate des pierres blanches incrustées du sol au plafond, il observa le repos et détailla les visages endormis peints de similitude. Les rayures que portait Shi-Huan lui faisaient penser à celles des habitants de ce royaume de lianes. Se pouvait-il qu’il eût un parent venu d’en-haut ? Et le fait qu’il pouvait voir Xin-Shen comme Gerelle, était-il possible qu’il ait du sang de sorcier ? Il s’adossa au mur recouvert d’une étoffe de laine. La chaleur de la matière le réconforta. Les marques de Trysol étaient les plus marqués, les plus rutilantes aussi. Sa peau était comme la plus fine soie plongée dans l’eau. Le papier mouillé n’aurait pu dissimuler le réseau de veines qui masquait son visage. À contrario, l’aspect de Gerelle était celui qui se rapprochait le plus de lui ou d’un bol en porcelaine. Mais le plus beau visage, celui baigné d’harmonie, restait celui de Shaeln. Il n’était qu’angle et somptuosité. Ses yeux étaient plus rond porteur de doubles paupières qui rendaient son regard séduisant. Sa bouche pulpée marquait au cœur le désire de l’embrasser. Sa blancheur lumineuse captivait même dans la sombreur de la pièce. En sentant poindre en lui une frustration noyée de lave, Suan ferma les yeux. Il caressa l’étoffe de laine, puis se détourna de tous. Il s’approcha de la porte d’entrée et ouvrit le volet de la lucarne. Dehors, il neigeait toujours de la cendre.

Suan écouta les froissements de draps. Shaeln semblait avoir un sommeil agité. C’était d’ailleurs à force de l’entendre gesticuler qu’il avait fini par se réveiller.

Le jeune homme scruta la forêt et le grand cercle d’herbe qui entourait le pied de la montagne.

— Plus de braises pour faire rôtir les pamplemousses de monsieur le précieux. Fais péter les flammes !

Un rire suivit la babillage d’Analoum.

— Cette femme n’est pas nette, fit remarquer Shaeln à Suan.

Il se leva tout en aidant sa sœur à rouler sur leur paillasse.

— Elle est collante seulement quand on dort.

Suan ne répondit rien contemplatif de l’adolescent.

Debout, il s’avança nonchalamment vers le voyageur. Ses tresses se répandirent sur ses épaules et dans son dos à l’instar d’une cape. Dans la sombre clarté, l’adolescent avait quelque chose de déroutant que les garçons vus par Suan ne possédaient pas. Peut-être était-ce la masse de muscles qui s’enroulaient autour de lui comme une dizaine de dunes roulant au gré du vent dans un désert et se formant ailleurs. Il ne se cachait pas derrière des jupons, ne se travestissait pas, pourtant il était lui aussi prisonnier des mœurs. Il tira sur une tunique en laine, s’en revêtit et reforma sa couronne de tresses. Un panier en main, il avisa Suan.

— Tu n'as pas arrêté de me regarder depuis que tu es arrivé ici. Qu’est-ce qui te déconcerte à ce point ? Suis-je différent des hommes d’en bas ? Sont-ils tous aussi fins que toi ?

Suan sentit ses joues s’empourprer. Shaeln le remarqua. Était-ce bien compliqué pour lui ? Ses veines brillaient dans l’ombre comme celles de Trysol la veille.

— Je n’ai pas toujours été si maigre et certains hommes sont bien portants. Je ne suis qu’un agriculteur.

— Qu’est-ce que c’est que cette couleur sur tes joues ?

— De la chaleur émotive.

Suan soupira. Était-il vraiment en train de rougir ? Y ‘avait-il le temps pour ce genre de sentiment primaire sur sa route ? À quoi cela lui servirait-il ?

— Est-ce un truc d’en bas ?

— Je présume, souffla Suan en vrillant le regard sur ses pieds.

— Tu veux bien me parler d’où tu viens ?

— D’abord, parle-moi de cette cendre.

Shaeln hocha la tête, ouvrit la porte.

— D’accord pour te raconter, mais viens avec moi ramasser les baies de nuit où elles pourriront aux premières heures de l’aurore.

— Dans le noir ? s’étonna Suan.

— Il ne fait pas si sombre que ça.

— Pour toi. Moi, je n’y verrais pas à deux mètres. Ce n’est pas prudent avec tout ce qui traîne dans cette forêt.

Suan tendit un voile à Shaeln qui le refusa.

— La nuit, les cheveux ne distinguent pas notre visage. On n’en a pas besoin. Et les créatures dorment. Pour celles qui sont nocturnes, elles ne s’approchent jamais de la montagne, même au pied.

— Pourquoi ça ?

— L’odeur de la cendre leur déplait. Ils savent qu’elle ne provient pas d’un feu de bois. Comme il y en a en abondance dans le secteur, ils ont à penser que le prince des nuages est tout proche.

— Le prince des nuages ? répéta Suan en emboîtant le pas de Shaeln.

Sa main retenait le voile qu’il avait enfoui dans sa besace dans le cas où une mèche de cheveux plus vicieuse que les autres aurait décidé d’attaquer. Il frôla la paroi illuminée de quelques pierres blanches et avança jusqu’au bord des buissons. Shaeln s’accroupit. Il en fit de même en veillant à regarder toutes les deux secondes les environs. Évidemment, il ne voyait pas à deux mètres de lui et en arrachant les fruits qui tombaient en dehors du panier, il attrapa plusieurs fois les mains de l’adolescent. Shaeln s’amusa de la peur qui engendrait la maladresse du voyageur.

— Alors, qui est ce prince ? demanda Suan en marchant en crabe.

— Füjin est le prince du vent. Il vient du pays des nuages, plus haut dans le ciel. Plus loin encore, il y a le pays des sélénites. Il y a près d’un siècle, le roi des nuages a déclaré la guerre au royaume de Grydia.

— Une montagne si petite ? Y faire la guerre ? Pourquoi ?

— Ne te fis pas à ce que tu crois voir d’elle. D’ici, elle paraît insignifiante, mais elle est vaste et bien plus haute qu’on ne le pense. Les terres y étaient bien plus fécondes que les nôtres et surtout, il y avait de la magie. Une, bien plus importante que celle de mon père ou de ses parents. On dit que la guerre a débuté à cause de l’égo du roi à avoir écouté sa cousine Grydienne. Elle possédait des dons merveilleux qu’il désirait acquérir. Comme la terre est l’ingrédient qui offre le pouvoir, il a voulu Grydia.

— Mais le prince ? insista Suan en se rapprochant de Shaeln.

Il avait arrêté d’observer le noir et de cueillir les baies. Il se concentrait sur le visage du jeune homme dont les veines rutilaient d’un bleu clair envoûtant.

— Füjin est ce qu’on appelle un dommage collatéral ou plutôt un exemple. Il ne voulait pas la guerre. L’idée du sang le dégoutait. Il a refusé de prendre part au massacre. Mais un jour, son père lui a donné un ultimatum. Soit il descendait aider ses frères et sœurs, soit on lui couperait les ailes. Qu’est-ce qu’un prince du vent sans aile ?

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