Son frère lui laissa les commandes pendant qu’il plongeait dans l’eau. Il circulait dans l’eau, comme un batracien un peu godiche, envoyant ses bras dans tous les sens pour avancer. Xin-Shen le regarda allonger ses jambes maladroitement. Si elle avait pu faire autrement, se serait elle qui aurait parcouru la distance entre ici et l’extérieure. Elle pria pour que Suan ne manque pas d’air. Il avait consommé énormément d’énergie depuis sa transformation en Hàng Xiè. Son aura perdait cette couleur vert clair qui la représentait et la couleur grisâtre de la fatigue commençait à manger son corps. Tout le monde dans le couloir, presque immergé, nageaient en attendant son retour. La jeune fille s’était accrochée à l’une des parois et garda un œil sur lui, tout en écoutant la voix de Trysol qui envahissait le crâne de son frère. Elle ne la pensait pas si fatiguant à entendre… Allait-elle arrêté de brailler ? Autant, elle parlait rarement au quotidien, autant elle se rattrapait bien dans l’étroit esprit de Suan.

Xin-Shen voulut lui dire de se taire alors qu’elle posa son regard sur le squelette du palais et suivit le groupe qui progressait. En distinguant les aura de multiple couleur, elle interpréta les sentiments de chacun. La peur et l’adrénaline faisaient leur petit bonhomme de chemin.

Lorsqu’elle sentit une nouvelle main frôler sa cheville, elle tressaillit. Cela faisait un moment qu’elle s’efforçait de ne pas écouter les morts qui lui cassaient les oreilles avec leur supplication. C’était bien pour sauver le reste du groupe qu’elle se forçait à endurer sa vision de morte. Elle y voyait comme en plein jour et c’était au mieux, mais son cœur commençait à flancher dangereusement quand certains des spectres agrippèrent les pans de son hanfu. Ceux-là glissaient dans l’eau contrairement à ceux qui étaient de moitié emmuré lorsqu’elle était partie en éclaireuse.

Concentre-toi, Xinnie. Concentre-toi, se répéta-t-elle en bloquant sa pensée aux autres.

Suan était sortie de l’eau. Elle entendait une exclamation de joie vite noyé par les jurons de Trysol.

— Xin-Shen, tu fiche quoi ? On passe de quel côté, maintenant ?

Trysol avait son arc et ses flèches en mains, raide chaque fois qu’elle entendait un bruit suspect. Les garçons derrière elle n’étaient pas plus à l’aise, sursautant au son de leur propre pas. Tartanne partageait tout ce qu’il entendait, voyait et ressentait. C’était une bénédiction. Plusieurs fois il s’arrêta et tendit l’oreille. Il aidait à sa manière. Mais bientôt, le fait d’entendre ne lui servirait plus qu’à prendre de l’avance sur les soldates en marche.

— Il faut passer à gauche, puis à droite… Il y a cinq gardes qui approchent derrière vous et deux devant. Si je me fis à ses deux femmes, l’un d’elle boîte. Je vous conseille de frapper de genoux gauche.

C’était tout ce qu’elle pouvait en dire.

— Salvatoum ! L’va rester longtemps sous l’eau, c’t’idiot ? M’dit pas qu’il s’est noyé, le maigrichon.

Analoum ne tenait plus. Elle lâcha sa prise et se laissa engloutir par l’eau. Xin-Shen ne pouvait pas l’avertir que Suan était sur le retour. Elle glissa entre l’eau comme une anguille. Rien à voir avec son frère, pensa la jeune fille. Analoum savait nager et elle le faisait avec beaucoup d’harmonie, ondoyant magnifiquement et disparaissant à son tour. La cavité ne pouvait faire passer qu’une personne à la fois. Xin-Shen avisa son frère, mais ce fut Trysol qui capta l’information.

De quoi est-ce que tu parles ? Où est-ce que tu vois une cavité ? Qui l’a bouche ?

Ils étaient beaucoup trop nombreux dans la tête de Suan. Il fatiguait dangereusement pour laisser passer les consignes d’une tête à l’autre. Xin-Shen redouta l’instant où se sera trop lourd pour lui. Il fallait absolument qu’il se repose, et avec Analoum dans le conduit, elle savait que se ne serait pas de la tarte.

On n’est pas aidée, souffla-t-elle pour elle-même.

Elle entendit un rire. Celui de Tartanne.

— Suan est plus fort que tu ne le pense, petite. Je ne connais pas encore très bien toute l’étendu de son caractère, mais il est puissant.

Xin-Shen sourit intérieurement remerciant silencieusement le félin.

— Toi aussi, tu fatigue, petite. Alors avant que tu n’arrives plus à nous guider donne-moi le chemin à suivre jusqu’à la sortie, ainsi que les pièges. Pour ce qui est des soldates, je les entends. On avisera.

Ce chat avait une capacité de mémorisation impressionnante, alors Xin-Shen lui expliqua toutes les zones à passer et les pièges à éviter. Elle continua à les guider, quand enfin Suan et Analoum jaillirent en ce disputant.

J’croyais qu’t’étais noyé, le maigrelet ! Salvatoum ! T’as mi une décénnies ! T’pouvais pas dire que t’nages comme une savate ?

Elle avait dû se déplacer en nage arrière jusqu’ici. Xin-Shen secoua la tête. Même dans un moment comme celui-là, où ils étaient tous destinés à mourir dans l’eau, Analoum trouvait le moyen de lui faire esquisser un fin sourire.

Je ne t’ai rien demander, gronda Suan en agrippant une pierre qui dépassait du mur.

Il était agacé, épuisé et avait grand mal à reprendre son souffle. Xin-Shen avait un mal fou à rester en communication avec le deuxième groupe, et quand elle entendit Tartanne, elle comprit : Suan n’allait pas tarder à s’évanouir. Il fallait partir vite fait de cette tombe sous-marine.

— Suan, tu n’as plus le temps. Il faut retourner sous l’eau.

Le jeune homme luttait pour garder des paupières ouvertes et avant qu’il ne se laisse dépasser par la mollesse de son corps, il coula.

Xin-Shen l’attendait au fond de l’eau et tirait sur son bras. Analoum avait compris et elle criait à tout rompre au-dessus de la surface.

— On plonge.

La jeune fille guidait son frère. Elle le traînait derrière elle. Il battait des jambes toujours dans une maladresse qui donnerait à n’importe qui envie de rire. Mais à l’heure actuelle, rien ne portait à rire. S’il succombait au besoin de dormir, c’est un poids mort que Xin-Shen devrait tracter. Et selon le temps qu’elle mettrait à le bouger, l’air manquerait aux suiveurs.