Ils étaient trois dans le métro

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Ils étaient trois dans le métro. Les uns en face des autres. Cinq places, toutes prises, et trois des occupants avaient le même destin. Pourtant, Luc, Bernadette et Gwendoline ne se connaissaient pas avant ce jour. Ils ne s’étaient jamais croisés dans ce métro, alors qu’ils l’empruntaient régulièrement. Jamais ils n’avaient échangé un regard sur les quais, jamais ils n’étaient montés dans la même rame, jamais ils ne s’étaient remarqués.
Ce jour-là, Luc, homme d’affaires redoutant d’arriver en retard au bureau malgré son avance, jetait des coups d’œil appuyés à Gwendoline, jeune femme d’une vingtaine d’années. Il ne savait pas s’il voulait simplement l’observer ou la mettre mal à l’aise, mais il sentait que son regard la dérangeait et s’en réjouissait. Il était de ceux qui harcèlent les filles dans les transports en commun. Elle sentait son regard sur son visage et sur ses jambes enserrées dans un jean slim. Elle appréciait le fait de ne pas porter de jupe ou de robe, mais désespérait de devoir se soucier des gens comme lui qui lui dictent la façon dont elle devait s’habiller. Heureusement, il était à distance assez raisonnable d’elle, à côté de la grand-mère sur le siège d’en face. Bernadette allait, elle, en centre-ville pour allez voir ses petits enfants qui n’avaient pas pu se déplacer jusqu’à chez elle. Son regard était dans le vague, glissant sur les visages et les corps inconnus, remarquant les graffitis sur les encadrements des portes. Elle attendait patiemment que le trajet passe. Elle avait aussi bien remarqué le petit manège de Luc et s’apprêtait à prendre la défense de Gwendoline s’il poussait son insistance trop loin.

Il étaient trois dans le métro bondé. Les gens affluaient. Quelques un descendaient de la rame et d’autres, plus nombreux, y entraient. Ceux qui descendaient ne savaient pas à quoi ils échappaient. Ceux qui montaient dans l’optique de s’arrêter à une station prochaine, qui se trouvait être la même que celle où Bernadette, Gwendoline et Luc allaient descendre, seraient immédiatement ressortis s’ils en connaissaient l’issue.
Gwendoline avait dû céder sa place à une autre vieille dame, et devait malheureusement se tenir debout, presque collée contre la barre. Elle était ainsi coincée entre Luc et les autres gens. Elle n’osait pas tourner le dos à l’homme, de peur qu’il la touche. Alors elle devait lui faire face et répondre à ses yeux insistants par un regard dur. Celui sympathique de Bernadette sur elle la rassurait un peu, malgré l’appréhension de la fin du trajet qui montait en elle. Les stations s’enchaînaient. La jeune fille fixait alternativement les gens à l’intérieur, leurs reflets sur la vitre et les néons qui se succédaient sur les parois du tube. Elle feignait de donner une importance particulière aux quais vides qu’elle voyait défiler, mais son attention était toute tournée vers l’homme qui la dévisageait. Luc lui, ne la lâchait pas du regard. Il avait l’espoir de s’amuser un peu avant d’aller au travail, et comptait descendre au même arrêt qu’elle. De nombreuses pensées malsaines traversaient son esprit, et la jeune femme en était consciente. Bernadette s’était redressée pour paraître plus imposante, plus impressionnante, et s’était penchée un peu en avant pour permettre à Gwendoline d’avoir une certaine barrière entre elle et son agresseur. Elle avait remercié la grand-mère d’un regard doux, et Luc n’avait pas osé s’interposer pour rester au plus proche de la vingtenaire. Les trois restaient dans un silence gêné, alors qu’autour d’eux les gens allaient et venait bruyamment.

Ils étaient trois sur le quai de la station Bonne-Nouvelle. Un nom si ironique si l’on pense à tout ce qu’il s’est passé ce jour. Ils étaient entourés de gens amis, croisés ou inconnus. Une agitation certaine régnait autour d’eux, et semblait plus écrasante qu’habituellement. Tout le monde se pressait, fuyait, courait en criant des choses et d’autres.
Gwendoline savait que Luc l’avait suivie. Luc avait décidé de descendre deux arrêts plus tôt pour suivre la jeune femme. Bernadette s’empressait de ne pas les perdre de vue jusqu’à la sortie de la station, habitée d’une certaine inquiétude. Soudain les cris avaient repris plus forts, plus proches et plus affolés. Mais Gwendoline était trop perturbée. Luc trop fixé sur ses fines jambes, et Bernadette trop âgée pour réagir. Plusieurs coups de feu avaient résonné sur le quai. Une dizaine de personnes blessées, et trois soudainement allongés au sol. Ils étaient alignés, marchant vers un but précis, chacun le sien. Ils étaient des victimes faciles. L’une n’avait rien sollicité, l’autre était hanté par l’idée du crime et la dernière avait encore le temps.

« Bonjour madame, vous connaissiez une de ces trois personnes ? Pouvez-vous nous dire qui elles étaient ? »

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