Quatre sabots et demi

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Je me souviens très bien de cette année là ! C'était l'année de mes 10 ans. Dix ans c'est pas une bagatelle ! C'est un beau chiffre, rond, parfait. 10 = 1+0 = 1, encore.

Dix c'était aussi mon nombre fétiche et il m'avait fait gagner à la loterie de l'école. Le lot était accroché dans le bureau du directeur, comme tous les autres. Je pouvais le voir depuis la cour, à chaque récréation, par la fenêtre. C'était un livre. Un très beau livre. Un grand format, comme ceux que je lisais, dans le vieux fauteuil du grenier. Alors, quand j'ai su qu'il était à moi, j'ai poussé un cri de joie, fait des bonds, tapé des mains. Et je l'ai reçu comme une merveille, un présent sans prix, les yeux humides d'émotion et les lèvres distribuant les « merci ».
Un livre de Jules Verne ! Avec son épaisse couverture cartonnée aux dorures élégantes, ses pages robustes et jaunies par le temps. Il était parfait !

C'était samedi, la kermesse de l'école finie, j'étais passé à la salle de bain, avalé mon repas avec impatience et j'avais grimpé l'escalier de bois grinçant menant à mon domaine. J'allumai la petite lampe posée sur un guéridon, à gauche de mon vieux fauteuil. Les pantoufles bien rangées, je m'y étais assis en tailleur, enroulé dans une bonne couverture. Et j'avais enfin ouvert Le Livre : MICHEL STROGOFF ! Depuis le temps que je le regardais par la fenêtre...
Son odeur avait achevé de m'envoûter, parfum de passé, de rêves et d'aventure. J'ai passé des heures en sa compagnie, des heures merveilleuses.

Mais un soir, tout s'est effondré, ce bonheur simple et sage. Horreur ! Il manquait une page ! J'ai pleuré, tout seul dans mon grenier, pleuré longtemps. J'ai posé mon livre doucement, sur la couverture, mon pauvre livre blessé. Et puis j'ai maudit qui avait perdu cette page, je l'ai détesté, insulté et aussi le directeur de l'école, et le maître...

Mais finalement, je me suis calmé, j'ai repris cet ouvrage, et repris ma lecture.
Plus tard, j'ai effacé de mon esprit toutes les vilaines pensées que j'avais eues.

Car, comme disait grand père : « À cheval donné on ne regarde pas la dent... »

Et je ne le regrette pas, car avant d'avoir achevé ma lecture, j'ai imaginé et écrit un texte pour remplacer la partie manquante. Et j'y ai pris goût, à l'écriture. Tellement qu'elle ne m'a plus jamais quitté !

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