Les dunes rouges

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La jeune fille portée disparue vingt-huit ans plus tôt s’appelait Pauline. La peluche et les souliers à bouts carrés retrouvés le long de la rivière lui appartenaient.

Comme chaque matin, monsieur Tach s’apprêtait à déposer un bouquet de fleurs au pied de la croix et à y demeurer de précieux instants à contempler son bas monde. Ces derniers jours, un étrange pressentiment l’avait poussé à vendre la Créole, une magnifique maison, qui jadis fut celle de ses grands-parents. Il était convaincu que Pauline était prête à quitter le marais.

Le vieux bonhomme rabattit la visière de sa casquette pour se protéger les yeux. Les premiers rayons du soleil rasaient la ligne d’horizon, s’élevaient lentement à l’est et frappaient le ponton au-dessus de la mare. Il se tenait sur la berge à observer les bords vaseux couverts de roseaux semblables à des tiges liées. Enfant, cet endroit avait été un vrai refuge où il se sentait apaisé, mais ses pensées devinrent plus sombres quand son regard se posa sur la croix plantée sous le cyprès chauve. Ses épaules s’affaissèrent. Les yeux rouges, il essuya la naissance d’une larme et remarqua que sa main tremblait, que son cœur accélérait et qu’une vague de tristesse l’emportait. Il ravala un soupir, dirigea son attention vers la forêt, là où d’énormes fougères tapissaient les berges de la rivière et donnaient leur nom au patelin. Il s’accroupit, déposa le bouquet de fleurs devant la croix, au moment où il perçut un léger bruissement de feuilles et le craquement d’une branche aux confins du parc. Il se redressa d’un bond et regarda plus en détail, sûr qu’on l’observait, comme si quelqu’un ou quelque chose était aux aguets. L’espace de quelques secondes, il crut voir Pauline près de la lisière rabattre sa mèche derrière l’oreille. La savoir si proche raviva chez lui une bouffée de joie. Il tendit la main dans sa direction et la conserva ainsi jusqu’à ce que ses traits se contractent pour laisser place à une grimace. La silhouette de l’adolescente venait de disparaître. Avec le désir vain que cet instant se prolonge, il baissa le bras. Les tapements familiers de la canne de sa fille dans son dos le ramenèrent à la réalité. Il sentit la joue douce de Florence se lover dans le creux de son cou.

« Tu n’as jamais pu l’oublier, n’est-ce pas, papa ? »

Il fit oui de la tête alors qu’il goutait au réconfort de Florence. Elle connaissait mieux que quiconque la tristesse qui le rongeait depuis toutes ces années.

« Moi aussi, j’aimais Pauline comme ma sœur… je croyais que cela durerait toujours jusqu’au jour de sa disparition… tout cela me paraît maintenant si loin… ça te dirait d’aller marcher en direction du marais ? » lui demanda-t-elle alors qu’elle essayait de dissimuler le frisson qui lui parcourait le visage.

L’air fraichissait. D’énormes nuages violacés s’entortillaient dans le lointain et chassaient les trous de ciel bleu. Monsieur Tach regarda l’horizon, secoua la tête sachant que les orages les plus violents provenaient du large.

« Ne trainons pas trop par ici, on ferait bien d’aller se mettre à l’abri, et puis les Grenereau vont bientôt arriver », s’empressa-t-il de répondre.

Il plaça son bras sous celui de Florence comme il le faisait chaque fois qu’ils se promenaient. Elle régla son pas sur le sien et tous deux prirent le chemin du retour, lui le cœur gros, elle la démarche gauche se disant que la vie était cruelle depuis qu’elle avait perdu la vue. Ces deux êtres s’aimaient à leur manière silencieuse et partageaient un terrible secret, une chose inavouable qui les rattachait tel un fil invisible.

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