La réponse ne tarda pas. Le destroyer restant s'élança pesamment sur ses lourdes chenilles blindées, escorté de très près par les frégates plus mobiles aux nombreuses et énormes roues tout-terrain, tandis que les deux croiseurs faisaient feu, utilisant leur portée de tir supérieur pour couvrir l'avancée des trois autres engins. Le Capitaine de Lafayette donna l'ordre d'esquiver en anti-grav, et les disques s'activèrent en même temps que les réacteurs, et J pencha le navire sur le côté avant de se décaler, évitant de peu la pluie d'obus hautement explosifs qui s'abattit là où le Briseur d'Essaims se trouvait moins d'une minute auparavant.

— Barreur pleine puissance !

— Pleine puissance, Monsieur.

— Responsable d'artillerie, feu à volonté.

— Oui Monsieur.

Le Briseur d'Essaims s'élança à une vitesse folle en slalomant entre les tirs de ses adversaires, alors que ses tourelles se réorientaient pour faire feu avec une précision redoutable, sous le regard stupéfait de la scientifique.

— Mais comment réalisent-ils un tel tour de force ? Même une connexion synaptique ne peut pas donner de tels résultats.

— Je vous l'ai dit, tout a été bâti autour d'eux. Quand tout ceci sera fini, et après avoir visité votre laboratoire et vos quartiers, je vous expliquerais.

La jeune femme dévisagea l'Officier, pensive.

— D'abord, il faudrait qu'on s'en sorte entier, ensuite je n'ai jamais dit que je restais !

— Dans tous les cas, je ne m'inquiète pas de l'issue de tout ceci. Regardez.

Le Briseur d'Essaims frôlait les frégates tandis que les batteries de canons latérales ouvraient le feu en continue, éventrant l'une d'entre elles jusqu'à ce qu'elle s'immobilise malgré son élan pour ensuite exploser, avant que se déclenche une réaction en chaine. Le moteur lors de sa destruction enflamma la soute à carburant puis celle à munitions, et l'engin fut oblitéré, ne laissant comme souvenir de son existence qu'un cratère vitrifié remplis de débris en flammes.

Le bâtiment pirate se glissa dans le sillage du destroyer, et son Infanterie lança les filins d'abordage pour se catapulter vers la créature d'acier qu'ils affrontaient alors que le Briseur d'Essaims virait de bord pour attaquer la dernière vedette sur le côté.

— Barreur, éperonnez-le à pleine puissance. Je veux que les autres nous voient le traverser comme du beurre.

— Reçu Mon Capitaine. Pleine puissance !

Allongé dans son poste de pilotage, J Bascula le manche dans sa main gauche en avant et appuya sur un bouton rouge qui en dépassait, déclenchant la poste combustion des réacteurs qui propulsa l'engin en avant comme un taureau fou. Lorsque les deux navires se percutèrent, la frégate bascula sur le côté avant de se fendre, se tordre et se briser en son centre, alors que les pirates le fendaient en toute quiétude pour s'en éloigner sans s'en préoccuper plus. Lorsque le Briseur d'Essaims se retrouva hors de portée des tirs adverses, il fit demi-tour alors que son Capitaine demandait d'une voix calme et posée.

— Rapport d'avaries ?

Toujours allongé à son poste de pilotage, J dut se retenir de rire.

— Des travaux de peinture à prévoir, un peu de tole à redresser, et c'est tout.

— Parfait. N'oubliez pas que les croiseurs ont un blindage largement supérieur. Le Dragon est plus que recommandé.

Se redressant légèrement de son poste de pilotage, J intervint.

— J'ai une autre idée Monsieur.

Fronçant légèrement les sourcils, Long-Shot le pria de continuer.

— Nous pourrions utiliser leur masse, leur faible manœuvrabilité et leur petite vitesse pour nous échapper...

— Et comment ?

— En passant entre eux. Ils ne devraient pas être assez fous pour risquer de se tirer dessus entre eux à bout portant, quand même...

Le Capitaine de Vaisseau se caressa le menton avant de répondre.

— Allez-y, épatez-moi.

Sous ses lunettes de réalité virtuelle, J sourit, imité par R, et le véhicule repartit en fendant les airs, flottant à une dizaine de mètres du sol en soulevant d'abondants nuages de poussière. Crispée sur son siège, les doigts enfoncés dans les accoudoirs, la spectatrice osa une question.

— À quelle vitesse va-t-on ?

Le Capitaine de Vaisseau répondit sans se départir de son calme.

— Chenillé, le Briseur d'essaims vogue à deux cent cinquante kilomètres par heure. Avec voiles photovoltaïques déployées en plus, nous pouvons espérer attendre les trois cents. En volant, c'est notre vitesse minimale. Et en poste combustion, nous avons réussi une fois à atteindre les six cent trente-trois kilomètres par heure. Mais les moteurs ont tellement surchauffé qu'il nous a fallu deux semaines d'immobilisation pour tout réparer une fois amarrés à l'Oasis...

— Et je crains qu'il nous faille recommencer cette fois-ci, Monsieur.

Au poste de tir, R, bougeait les doigts avec grâce et précision tout en continuant son discours.

— Le plan de J est excellent, mais il risque de nous couter tourelles et moteurs. Si nous échouons, nous serons nus.

— Mais nous n'échouerons pas !

L'agacement se fit entendre chez le barreur.

— Je suis ce navire, je sais que nous pouvons si tu te calibres comme je te l'ai dit. Prépares toi !

R soupira avant d'ouvrir les mains largement.

— Je n'attends plus que toi...

Le Briseur d'Essaims esquivait les tirs par de simples déplacements latéraux tout en progressant vers sa sortie, quand les deux croiseurs se rapprocher l'un de l'autre, et Carla se tendit encore plus.

— Ils ont compris votre plan et s'apprêtent à refermer notre seule issue.

Les dents et les poings serrés, J cracha.

— Ca, j'en doute fort ma belle.

Le navire filait à plus de quatre cent cinquante kilomètres par heure tandis que sa marge de manœuvre diminuait lentement.

— J, ça ne va pas passer.

— R, fermes ta putain de gueule et tiens-toi prêt ! Si tu te foires et qu'on meurt, je te tue !

Les tirs devinrent sporadiques, les croiseurs n'ayant plus d'angle de tir et les cuirassés risquant de toucher leurs alliés, quand les coques des deux béhémots commencèrent à lentement crisser l'une contre l'autre et que les navires se repoussèrent légèrement, alors que le Briseur d'Essaims n'était plus qu'à quatre cent mètres d'eux.

— Maintenant !

Toutes les tourelles, réorientées vers l'arrière bas au maximum, firent feu en même temps tandis que les répulseurs anti-grav étaient lancés à pleine puissance, et le navire décolla jusqu'à en atteindre le poste de pilotage des géants d'acier. À ce moment précis, et alors que les canons faisaient encore feu en continu, J activa la postcombustion et le Briseur d'Essaims prit son essor, filant par-dessus les croiseurs en les arrosant d'obus, avant de manquer de s'écraser presque un kilomètre plus loin, les répulseurs peinant à garder le véhicule à flot tandis que Carla hurlait à s'en arracher les cordes vocales.

Les yeux rivés sur son itinéraire, le barreur choisit d'ignorer les signaux d'alerte de surchauffe des réacteurs encore quelques secondes pour continuer à prendre de l'avance avant de baisser le régime et de se redresser en soufflant.

— Alors, je vous avais dit que ça passait, pas vrai ?

Autour de lui, les membres de l'équipage le fusillaient tous du regard, et même Long-Shot ne semblait pas approuver la situation, et répondit d'une voix froide et monocorde.

— Rapport d'avarie. Maintenant.

J soupira en redressant son fauteuil, puis observa ses panneaux de contrôle.

— La postcombustion a morflé, et les réacteurs vont avoir besoin de beaucoup refroidir avant de pouvoir repartir à pleine puissance. Néanmoins, je peux garder cette vitesse pour finir de les distancer pendant encore quelques heures. Après, nous pourrons repasser en chenilles en toute sécurité. La coque est intacte et les répulseurs aussi, même s'ils ont été lourdement sollicités.

— Bien. Responsable d'artillerie, l'état des munitions ?

— Largement correct, Mon Capitaine.

— Bien. Je vais emmener notre invitée faire la visite promise, et à l'issue, je veux vous voir dans mon bureau, Lieutenant Roquetot.

Le barreur afficha sa stupeur quelques secondes avant de se reprendre et de se mettre au garde-à-vous.

— Reçu Mon Capitaine.

De Lafayette le fusilla du regard avant de tendre une grosse main forte à la scientifique.

— Viens avec moi, je vais te faire découvrir ce joyau qu'est le Briseur d'Essaims.

Le Capitaine sortit en décochant un ultime regard noir à J, et dès que les portes furent fermées, R lui envoya son poing en pleine figure tout en l'invectivant.

— T'es un putain de taré ! Tu réalises le risque que tu nous as fait courir ? On aurait tous pu mourir. Soit parce qu'on ne sautait pas assez haut ou assez loin, soit parce qu'on se serait crashé à l'atterrissage. Sans parlé de ce que tu as fait aux moteurs. Les pièces de rechangent se font extrêmement rares maintenant.

Se redressant en s'essuyant le coin de la bouche avec sa manche, J répondit en marmonnant.

— Mais de rien, ce fut un plaisir de vous sauver la vie à tous.

R leva les bras au ciel en s'exclamant.

— Voilà, il est là, le problème ! Entre ton endoctrinement et ta fierté mal placée, tu te saborde tout seul ! Tu pourrais déjà être Capitaine de Corvette, voir de Frégate ! Notre Capitaine a des navires à l'Oasis qui n'attendent que toi ! mais non, monsieur préfère faire le con ici parce que...

— Je suis ce navire !

R pointa son ami du doigt.

— Je sais ! Et ce serait dommage de quitter ta zone de confort, hein ? Tu vas faire quoi ? Rester Lieutenant de Vaisseau toute ta vie, même quand on aura fini, par peur de ne plus être sur la même interface synaptique ? Dans ce cas, trouves aussi un moyen de ne pas vieillir, parce que je doute qu'ils te laissent te brancher à quatre-vingt-dix ans ! Pour ma part, une fois que tout sera fini, et si nous parvenons à faire éclater la vérité, j'espère bien diriger mon propre bâtiment ! Putain, Jean, tu es un excellent stratège, un mec salement burné ! Mais aussi le dernier des cons ! Alors tu vas rester en pilotage manuel jusqu'à ce qu'on soit totalement hors de leurs portées radar, après quoi, tu remets les chenilles et l'auto-pilote, puis tu vas te faire pourrir par Long-Shot, parce que j'en ai marre de prendre ta défense à chaque fois ! Moi, je vais me reposer. Quitte à arriver en enfer à cause de toi, qu'au moins j'ai l'air dispo devant Satan !

Sans un mot de plus, R quitta le poste tandis que J dévisageait l'équipage l'observant.

— Quoi ? Vous n'avez pas du boulot ? Allez, activez-vous de retourner à vos postes !

  Énervé comme jamais, le jeune homme se rassit sur son fauteuil avant de s'allumer une cigarette.