L'immense Ville Mobile Oasis était bâtie sur douze châssis de plateformes de lancement mobiles de l'air d'expansion spatiale, bien avant l'Émergence, sur laquelle les étages avaient été ajoutés au fur et à mesure des besoins. Néanmoins, les défenses de la forteresse étaient identiques pour chacun des vingt-huit niveaux la composant, tous agencés autour des cales d'entretien des navires, et lance-roquettes, lance-missiles, canons, obusiers et mitrailleuses lourdes de divers calibres balayaient chaque cadran à chaque seconde. Du fait de l'ancienneté des châssis moteurs admirablement entretenus, la vitesse de croisière de l'Oasis se résumait à une dizaine de kilomètres par heures, mais ce délai avait l'avantage de laisser le temps aux techniciens de réparer le Briseur d'Essaims dans le moindre détail tandis que Carla finissait d'installer les derniers logiciels de commande dans l'ordinateur central du vaisseau. Pianotant sur son ordinateur, elle parlait au Capitaine de Corvette nouvellement promu qui répondait d'un air absent, aussi tenta-t-elle le tout pour le tout.

— Sinon, j'ai une furieuse envie qu'on couche ensemble !

— Hum hum.

Accoudé au rebord d'un écran d'ordinateur, J regardait dans le vide, et la jeune femme lui jeta son calepin à la tête.

— Quoi ? Mais qu'est-ce que j'ai fait de mal ?

— Tu ne m'écoutes pas !

— Ne le prends pas mal, mais les détails techniques me dépassent. Ce qui compte, c'est ce que je ressens quand je suis connecté !

— Ce qui prouve que tu ne m'écoutes pas.

La jeune femme le foudroya du regard, et J resta interloqué, essayant de comprendre ce qu'il avait manqué. Après quelques secondes, il soupira.

— OK, je reconnais que depuis l'autre jour, je ne suis pas très concentré... Tu disais quoi ?

— Que j'ai une furieuse envie qu'on couche ensemble.

— Quoi ?

J blêmit de stupeur tout en se collant au mur, et Carla haussa un sourcil.

— Bah ça fait plaisir. Heureusement que je n'ai dit ça que pour voir si tu étais attentif, sinon je pourrais me vexer.

La scientifique referma son ordinateur portable avant de le ranger dans sa sacoche pour se lever et se diriger vers la sortie du poste de commande, et J l'observa avec un regard nouveau. Les lignes de son corps, la cambrure de son dos, la grâce de son cou, ses cheveux et sa robe légère ballotant à chacun de ses pas et les fines lanières de ses spartiates soulignant la finesse de ses mollets. Dans un réflexe qu'il ne put expliquer, il courut après elle et lui saisit l'avant-bras avant qu'elle n'ouvre la porte. Tournant la tête, elle observa la main avant de s'en dégager et administrer une gifle magistrale au marin.

— J'ai dit que c'était pour m'assurer de ton attention, pas que j'étais désespérée au point de me jeter sur to...

J la bâillonna de sa bouche et elle ouvrit de grands yeux surpris avant de lui répondre avec fougue et passion, lâchant sa sacoche tandis qu'il la collait contre une des parois. Leurs mains commencèrent à s'aventurer dans une passion, Carla remontant la chemise de J, J fouillant sous sa jupe quand elle lui ouvrit le pantalon.

— Prends moi. Maintenant !

Le sourire aux lèvres le militaire s'apprêtait à s'exécuter quand la porte du poste de commande s'ouvrit en laissant entrer R qui s'arrêta devant le spectacle, lâchant le dossier qu'il tenait sous le bras.

— Oh bordel de nom de dieu !

Les amants se séparèrent avec précipitation, J remontant tant bien que mal son pantalon tandis que Carla rentrait sa poitrine nue dans sa fine robe d'été, sans que R n'ait bougé plus malgré le regard assassin de son ami.

— Ca va, tu te rince l'œil ?

Le responsable d'artillerie ne répondit pas, et J lui jeta son gobelet au visage.

— Mais tu vas dégager ?

Revenant à lui, Rodolph cria.

— Je suis désolé, Carla m'avait donné rendez-vous pour le calibrage ! Vous ne pouviez pas mettre une chaussette sur la poignée, comme tout le monde ?

Rouge comme une pivoine, la jeune femme s'excusa de nombreuses fois alors que J peinait à garder son calme, quand enfin la scientifique prit la parole.

— Ce n'était rien... Juste une réaction au stress de ces derniers jours... Je vous présente toutes mes excuses, Capitaine de Corvette. Je tâcherais de me contenir à l'avenir.

J la regarda, la bouche grande ouverte.

— Quoi ? Mais... Merde !

Il quitta le poste d'une démarche énergique en bousculant volontairement R au passage sous les rires de celui-ci, et quand la porte se referma, le Lieutenant de Vaisseau s'approcha de la jeune femme.

— R, si tu te moques, je te tue.

— Oh, je n'ai aucune raison de me moquer, tu viens de me faire gagner sept mille crédits.

— Quoi ?

Haussant les épaules, il reprit.

— On est nombreux à avoir parié sur le fait que vous arrêtiez de vous renifler le cul. Je suis le seul à avoir parié sur le fait que vous le fassiez avant l'assaut final. Je suis riche grace à vous !

Écarlate, Carla murmura.

— Mais on ne se...

— Si.

— Mais non...

— Si.

— Mais...

— Oh que si...

— Comment tu peux savoir ça d'abord ?

R tendit un index victorieux vers la scientifique.

— Tu vois, tu ne nies plus ! Ça crèves les yeux depuis le début ! Votre gueguerre qui vire à la grande amitié, c'était cousu de fil blanc ! Allez, cours-lui après, et proposes-lui un dîner ce soir. Crois-moi, il acceptera.

— Mais...

— Vas.

— Je...

— Maintenant !

— Sauf...

— Ouste ! Cours, la con de toi ! On ne sait pas combien de temps il nous reste à vivre, alors cours ! C'est pas permis, putain !

La jeune femme le regarda, profondément choquée, puis son visage se changea en un sourire reconnaissant alors qu'elle partait à vive allure derrière son commandant de bord sous le regard bienveillant de leur ami. Après plusieurs centaines de mètres de course à travers les coursives, elle le rattrapa enfin et lui saisit le poignet pour l'obliger à s'arrêter, et alors qu'il se retournait pour lui faire face, elle lui attrapa le visage pour l'embrasser à pleine bouche. Quand l'embrassade fut finie et que le regard de Capitaine de Corvette était passé de la colère à la surprise puis enfin à la joie, elle lui murmura à l'oreille.

— Vingt heure dans mes quartiers, c'est un ordre de votre Officier Scientifique.

— Reçu.

Un large sourire aux lèvres, la jeune femme repartie sous le regard perdu du jeune homme pour retourner au poste de commande.

— Bien, où en étions-nous, R ?

Un large sourire au visage, celui-ci répondit.

— Il me semble que tu allais me remercier, et m'expliquer ce qu'il s'est passé ! Parce que tu me connais, tu ne pourras rien calibrer tant que tu ne m'auras pas tout dis.

Carla se mit à rire avant de s'assoir à son poste.

— D'accord, mais ça reste entre nous, hein ?

— Croix de bois, croix de bière, si je mens, je la bois entière !