Chapitre 2
Jim et moi, c’est allé très vite.
Au bout d’un mois, il savait déjà tout de moi. Il connaissait ma famille, mes amis, mes chats.
Nous venions à peine de nous rencontrer, et nous étions déjà tout le temps fourrés ensemble. Nous faisions partie de ces couples insupportables et naïfs, amoureusement persuadés d’être réellement faits l’un pour l’autre.
Jim m’a pris par la main et m’a emmené dans son univers. Je le suivais avec plaisir de soirées en soirées, découvrant ses amis, son rythme de vie, ses petites habitudes.
J’étais tellement heureuse de l’avoir rencontré. Vraiment, je ne lui trouvais aucun défaut. C’était lui, une évidence, une connivence. La vie était joyeuse, simple, colorée. J’étais extatique.
Je pourrais vous en parler des heures, de notre bonheur.
Mais voilà, je ne suis pas là pour ça. Si tout était rose, je serais avec lui en ce moment-même, et pas avec vous.
Très tôt déjà, j’ai remarqué que Jim avait ses mauvais jours.
Nous étions dans la rue, dans le bus, au restaurant. Ca pouvait arriver n'importe où. En pleine discussion, je le voyais se renfermer subitement sur lui-même. Son regard se faisait absent et il ne répondait plus, ou juste brièvement, par de vagues hochements de tête.
Il avait l’air perdu dans ses pensées, et en même temps tellement agité... Il ne tenait pas en place, et à ses yeux sombres, je voyais bien qu’il n’avait pas l’esprit tranquille.
J’avais subitement l’impression de l’ennuyer, parce qu’il ne m’écoutait plus. Il était absent, parti, ailleurs. C'était simple, je n'existais plus, et cela me prenait totalement au dépourvu. Je me demandais ce que j'avais fait, ou dit, qui l'avait perturbé à ce point. J’avais beau lui demander si ça allait, ce que je pouvais faire, il se contentait de me répondre oui, ou non, ou rien, sans m'accorder un regard, toujours absorbé par ses pensées obscures.
Je pensais qu’il finirait par se calmer, par se raisonner, et puisqu’il ne semblait de toute façon pas disposé à vouloir m’en parler, j’attendais. Parfois, j’essayais de lui parler d’autre chose, je tentais de le ramener à mes côtés, avec des blagues, souvent vaseuses, ou des propos futiles.
Certes. Ce n’était sûrement pas la meilleure des méthodes, et à vrai dire, cela n’a jamais marché. Mais sur le moment, je ne trouvais rien de mieux à faire.
Et ce n’est que plus tard que j’ai découvert ce que c’était.
Une crise de panique. Parce que Jim souffrait d’anxiété.
«A chaque crise, j’ai l’impression que je vais mourir. Que je vais faire une crise cardiaque.»
L’anxiété. Aux premiers abords, j’ai rattaché ce terme flou à une sorte de stress post-traumatique. Je pensais qu’il avait vécu une expérience marquante, qui aurait été à l’origine de son inquiétude et de ses crises. Un peu comme ces anciens soldats de guerre, par exemple, ceux qu’on voit dans les films, qui se réveillent en hurlant en pleine nuit. Vous voyez? Bien sûr que vous voyez, vous êtes psy.
Mais en creusant un peu, il n’y avait pas d’élément déclencheur. C’était comme ça.
Alors comment règle-t-on quelque chose qui s’est déclenché comme ça?
Comment comprendre ce qui arrive sans raison rationnelle, comment prédire, comment réagir ?
J’ai essayé, cher psy. Mais à chacune de ses crises de panique, je me retrouvais toujours totalement désemparée.
Et de fil en aiguille, j’ai commencé à la sentir venir. La rancœur. Dans son silence, dans sa distance, Jim me faisait comprendre que j’avais échoué. Qu’il allait mal, et que je n’avais pas su l’aider. Et alors que j’essuyais échec après échec, j’ai commencé à appréhender, moi aussi.
Je guettais le moment où son genou commencerait à trembler. Où il se rongerait un peu trop les ongles, où il se triturerait un peu trop la barbe, où il aurait ses petits spasmes nerveux, où il se toucherait frénétiquement la gorge.
J’identifiais chaque signe, et à chaque signe, je savais que c’était reparti.
C’était cyclique, systématique : l’angoisse, qui monte. Le corps qui s’agite, le regard qui fuit. La crise de panique. L’impuissance, le silence, la rancœur. Et ce moment, qui ne devait être qu’à nous, et qui se retrouve gâché.
C’était le côté obscur de Jim. Ses petits fantômes intérieurs. Ceux qu’il essayait de combattre, en allant vous voir.
Je ne vais pas vous mentir. Je pensais que vous seriez capable de faire des miracles. De remettre tout en ordre. Jim ne m’a jamais raconté ses séances avec vous. Si j’ai très vite partagé son quotidien et malgré toute la confiance qu’il avait pour moi, vous êtes réellement resté son plus grand confident.
Et peut-être que ça m’allait très bien comme ça, finalement. Vous étiez le psy. Vous gériez le problème. Moi, j’essayais de vivre avec.
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