Si en orbite d’Ition-g l’espoir renaissait, dans la petite vallée, les pensées quand elles n’étaient pas dirigées par la faim ou la fatigue s’engageaient dans des impasses insolubles. Nous errions, remontant le cours d’eau. La faune nous était indifférente comme si nous n’existions déjà plus. Notre rencontre du mutin appartenait déjà au passé et avait sapé le reste de moral que nous avions. Nous étions tous dans la même destinée, celle de fugitifs traqués par des machines déifiées, implacables et incontrôlables.

 En outre, les maigres rations s’épuisaient rapidement et les baies ne nous contentaient plus. Je crois n’en avoir plus mangé une seule après ce triste épisode. Pendant que nous nous reposions un instant, le regard perdu dans le courant de la petite rivière, une dispute éclata à quelques mètres de nous. Mais les épais buissons nous empêchaient de voir l’origine du conflit. Ce n’était pas la première dispute. Les esprits s’échauffaient devant le peu de visibilité quant à nos sorts respectifs. Olas souffla et par dépit se leva pour régler ce énième conflit.

 Au bout de quelques minutes, je fus surpris de ne pas le voir revenir. Quelque chose de différent semblait se tramer. Je m’engageai dans les buissons pour les rejoindre. Il n’y avait plus de cris. Mais une discussion semblait s’être engagée. Je n’en crus pas mes yeux. Olas souriait.

 Une voix semblait sortir du petit groupe. À ma droite, un de mes coéquipiers ne semblait pas aussi enthousiaste. Je le regardai et il me lança :

 « Ils vont nous tuer avec leur connerie. »

 Je fronçais les sourcils. Puis je compris et courus les rejoindre. Olas continuait de parler sans prêter attention à la situation.

 « … peut pas attendre plus. J’ai perdu des membres. On n’en peut plus. Il nous faut un ravitaillement. Balancez-le n’importe où dans le coin. On ne tiendra pas plus de quelques jours.

 — Je comprends votre situation décurion Arborne. Vous faites partie des rares survivants et nous mettons tout en œuvre pour trouver un moyen de désactiver les MART-MKD.

 — C’est la faim qui va nous emporter. Nous arrivons au bout de nos capacités.

 — J’ai fait charger des cubes de ravitaillement à l’instant. Ils ne pourront être dans votre zone que dans pas moins d’une dizaine d’heures.

 — OK. On va attendre ici.

 — Il serait préférable de rester mobile. Il est possible que cette transmission ait été repérée.

 — Repartez vous mettre en sécurité dans une des nombreuses cavités des montagnes itionnaises. D’ici là, ne reprenez pas contact avant au moins douze heures.

 — Entendu », répondit Olas rapidement.

 Notre décurion semblait avoir retrouvé son entrain.

 « Allez, on bouge de là ! » Il savait que l’adrénaline et la joie d’entendre enfin de bonnes nouvelles ne dureraient qu’un temps.

 Olas m’expliqua durant l’ascension que l’appareil avait été subtilisé au mutin par un de nos camarades en plus de quelques rations. Nous marchions depuis une bonne heure quand nous entendîmes un ronflement sourd qui se répercutait entre les parois. Nous savions tous de quoi il s’agissait. Blottis les uns contre les autres, nous n’osions plus bouger ne serait-ce qu’un doigt. Un de nos compagnons tremblait. Je ne sais pas pourquoi, mais je ne pus m’empêcher de regarder. D’un œil, je vis la masse métallique se déplacer, poussée par ses puissantes tuyères crachant les gaz surchauffés. Il passa à quelques centaines de mètres de nous et plongea dans la vallée. Il y eut le silence. Un son unique et terrible. Puis de nouveau, l’abomination mécanique hurlante repassa en sens inverse allant retrouver son nid comme un oiseau de proie. Je réalisais que ce pauvre bougre de mutin nous avait sauvé la vie.