"Je vous ai permis une première indiscrétion et je pensais m'en contenter, mais laisser les hommes lire mes journées me tire un peu de mon ennui : pour un jour encore, j'accepte votre curiosité insolente..."

Alongée, elle feignait de dormir pour réduire encore un peu sa si longue journée. Des draps fins recouvraient son corps divin et laissaient voir aux yeux mortels seulement des formes délicates. Un baillement brisa cette paix apparente, s'étirant molement dans le temps. Les draps bougèrent, la tête de la déesse émergea d'une mer de tissus blancs. Ses longs cheveux peignés lui couvraient le visage, ne laissant que supposer sa beauté. Elle profitait encore de ces secondes d'insouciance, ne pensant pas encore à son ennui élémentaire... mais trêve de courte durée, l'alizé perpétuel soufflait déjà dans la chambre et l'esprit de la déesse.

Ainsi commençait sa journée, elle allait devoir se lever puis trôner dans son royaume vide mais infini. Elle osait espérer qu'aujourd'hui elle trouverait enfin une occupation : désoeuvré, la déesse vivait seulement par impossibilité d'éprouver sa propre fin. Quel ennui, quel malheur d'avoir tant vécu qu'on en a perdu le sens ! Elle se pleignit tellement ce matin qu'elle en était écoeurée.

Sortant enfin de son lit, ses pieds touchaient le sol chaud et lisse de son palais. Un homme bienheureux lui présenta une toge pour recouvrir son corps lascif. Sentant jaillir en elle une force nouvelle, elle inspira et commença à l'intention de l'éphèbe :

"Est-ce que..."

Sa voix se tut. Non, elle n'échangerait aucune parole avec cet amant hypothétique. La déesse se contenta de se laisser vêtir, sentant son parfum viril mais nonchalant.

Résignée, elle s'en remettait finalement à son oisiveté infinie ; se donnant une nouvel fois à son amant cruel : l'ennui.