17 - Labyrinthe

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Elle avait fini par s’allonger à nouveau. Plus elle fouillait ce bureau, plus son malaise enflait. Plus l’odeur terreuse du bâtiment lui piquait le nez. Alors elle était retournée se coucher. Là, elle s’était endormie comme une masse.

Elle avait rêvé de morts. De cris. De pleurs. De froid. Et elle avait vu Clarisse tomber d’une échelle rouillée sur la coque d’un navire vicié. Et chuter. Chuter. Chuter encore et à jamais. Avalée par les brumes.

Puis il y avait eu la main d’Izac sur son épaule. Sa phrase. Sa voix.

Reste debout.

Et encore Clarisse. Qui tombe. Tombe. Tombe. Se fracasse. S’enterre sous les grêlons. Sous le vent. Sous les hurlements.

Crr-crr

Elle se réveilla en sursaut. La bouche pâteuse, les sens en nage, elle mit un instant à se souvenir de l’endroit où elle se trouvait. Puis, encore à bout de souffle, elle repéra une à une les silhouettes de ses camarades endormis et se détendit.

Même Izac avait plongé dans le sommeil, avachi sur le bureau, la tête dans ses bras croisés. Le Rhapsodie avait soufflé sur les égarés un étrange vent de torpeur.

Morgane avait la tête lourde, les yeux humides. Gauche, elle chercha sa gourde et la décapsula en grommelant. Si elle faisait abstraction de ses horribles cauchemars, elle avait enfin réussi à prendre du repos. Et voilà qu’un impromptu crissement venait de la réveiller.

C’était bien connu, elle haïssait qu’on l’interrompe dans ses siestes.

L’esprit un peu plus clair, les battements effrénés de son cœur apaisés, elle se redressa avec gaucherie et se massa la nuque. Bon sang… Quel mal de tête elle avait !

Elle poussa un long soupir et s’étira.

Quelque chose clochait.

Crr-crr.

Elle se figea soudain, les sens en alertes. C’était la deuxième fois qu’elle entendait ça, non ?

Crr-crr.

La porte. À droite. Quelqu’un derrière. Elle en était persuadée. Non. Ce n’était que la tempête. La tempête qui rugissait tout autour d’eux.

Elle fronça les sourcils. La tempête ? Pourquoi n’entendait-elle plus la tempête ?

Plus de grêlons, plus de vent. Plus de coups de tonnerre à en faire trembler la terre. Était-ce elle qui devenait sourde ou le bateau qui l’assourdissait ?

Elle eut peur, soudain.

Elle abaissa la poignée

Se figea. Sentit son dos s’inonder d’une sueur glacée. Suffoquer. Elle recula en titubant.

- Qu’est-ce que…

Premièrement, comment était-elle arrivée devant la porte ? Deuxièmement, pourquoi le lustre au plafond était-il allumé ?

Et qui avait enlevé les barricades, par les Enfers !

Dans un sursaut, elle fit face à la pièce et inspecta attentivement chaque visage.

- Eddy…

Où était Eddy ?

Cette fois, il y avait urgence. Plus question de comprendre comment diable ce maudit lustre fonctionnait encore...

D’un bond, elle s’empara de sa lanterne, la fixa à sa ceinture. Elle enjamba chacune des silhouettes endormies, et se pencha sur Izac dans le but de lui effleurer l’épaule. Elle eut à peine le temps de le toucher qu’il se redressait d’un bond, et elle crut bien qu’il allait lui tordre la nuque. Il s’apaisa dès qu’il croisa son regard. Puis il balaya l’environnement d’un coup d’oeil et fronça les sourcils. Les laissa s’affaisser. Grinça des dents, lâcha un juron. Quand il l’observa à nouveau, elle sut qu’il cherchait un refuge dans ses yeux.

- Ça recommence. Souffla-t-il, en proie à une horreur qu’il peinait à contrôler.

- Eddy a disparu.

Il cilla, sembla sonné un instant. Elle n’osa pas prononcer la moindre parole réconfortante, redoutant qu’il se braque et se ferme. Elle eut sans doute raison, car en moins d’une seconde, il avait retrouvé la maîtrise et s’emparait de sa lampe torche pour l’allumer.

- Debout ! Rugit-il, sans l’ombre d’une faille dans la voix. Je vous veux sur pieds dans une minute !

Les deux silhouettes, à terre, sursautèrent en concert. Le ronflement de Nina s’étouffa, elle arracha ses couvertures et fut parée en moins de dix secondes. Son conjoint mit au moins autant de temps qu’elle pour être prêt.

- Qu’est-ce qu’il y a, Izac ? S’enquit le médecin de bord d’un ton tranchant.

À la grande surprise de Morgane, le capitaine la pointa du menton.

- Demande-lui. C’est elle qui m’a réveillé.

Les regards convergèrent sur elle. Elle hésita longuement, ne sachant quoi répondre, butant sur ses mots. Pourquoi avait-elle les pensées aussi pâteuses ? Tiens, le lustre était éteint, à présent. Et on entendait de nouveau le vent.

Ha, voilà qu’il se rallumait. C’était étrange, de voir comme l’environnement changeait. Tantôt tout semblait neuf, pimpant. Tantôt tout était mort. Mourant.

Les époques clignotaient.

Quand elle vit le capitaine se masser distraitement les tempes, elle sut qu’elle n’était pas la seule dont l’esprit ramait.

- J’ai entendu des bruits à l’extérieur de la pièce. Dit-elle enfin. Les barricades ont été retirées. Eddy n’est plus là. Et puis ce lustre qui… Qui... Je pense que si nous ne le retrouvons pas très vite, il…

Elle n’osa pas terminer sa phrase. À la disparition de Clarisse s’enchaînait celle d’Eddy, à même pas trois heures d’intervalle. Si ça continuait ainsi, dans l’équipage, il ne resterait plus personne pour pleurer.

- Allons-y. Conclut Izac, épaulant son sac à dos.

Les deux, autres, en moins d’une minute, remballèrent leurs affaires et l’imitèrent.

Pour ponctuer leur angoisse, la radio de la cabine se mit brutalement en marche.

Diffusant un tube musical vieux de sept ans.

__

Morgane poussa le battant avec prudence. Pivotant sur ses gonds, la porte rouillée émit un grincement d’outre-tombe. Très loin, comme pour lui répondre, un éclair déchira la tempête. La machiniste fronça les sourcils. Elle l’entendait étouffée, comme à l’autre bout du monde. Comme si elle se trouvait prisonnière d’une bulle de silence.

Quelque part, un bruit sourd résonna. Elle sursauta, déglutit. Cette fois, elle l’avait entendu comme s’il était à côté. Qu’est-ce qui lui avait pris de vouloir s’enfermer dans ce bateau, par les Enfers !

Ha oui, la tempête… Elle l’avait encore oubliée, celle-là.

Ils échangèrent des regards lourds d’angoisse et Nina s’humecta les lèvres, nerveuse. Seul Izac Médian conserva un visage de marbre, ses sentiments verrouillés à double tour au fond de ses orbites. Pourtant, Morgane n’eut pas besoin de planter ses yeux dans les siens pour savoir ce qu’il redoutait.

Que l’un des siens meure comme lui avait failli mourir.

Quatre âmes égarées dans cet étroit corridor. Toutes les lumières s’allumèrent en grésillant allègrement. Le papier peint reluisait, épanchant ses couleurs presque neuves. L’instant d’après, il se ternit de nouveau, reprenant sa teinte morte. Puis se raviva encore une fois.

- Eddy ? Lança Mikaël, hésitant.

Seul un épais silence lui répondit, aussi poisseux que l’étrangeté, aussi lourd que l’ignorance.

Sans nul besoin de se concerter, ils partirent vers la gauche.

Vers les profondeurs.

Ils traversèrent plusieurs couloirs tapissés de papiers peints vieillot. Morgane osait à peine les regarder. Ils lui rappelaient trop ceux du salon de Silver. Ou ceux de son bar préféré. Ou ceux de l’hôtel où elle dormait parfois, quand la tempête ne lui permettait pas de prendre la route pour rentrer chez elle.

En fait, il lui rappelait trop la maison.

Cet endroit où elle ne connaîtrait plus jamais.

Ils descendirent, s’enfoncèrent, suivant la direction que leur dictaient leurs pas. De temps à autre, ils sursautaient. Il leur semblait entendre des voix, dans les couleurs, les époques changeantes. Milante se sentit soudain prisonnière d’un disque rayé. Le film d’une existence se jouait dans ce navire, dans le plus anarchique des désordres, rejouant des scènes dérangées et des sons insensés. Jusqu’à présent, ils n’avaient croisé personne. Y avait-il seulement quelqu’un ? Elle redouta ce moment tout au long de leur marche erratique, serrant les dents à chaque fois que les murs autour d’elle ondulaient pour retrouver leur vivacité d’antan ou la perdre à jamais.

L’instant arriva au bout de vingt minutes.

Quand Nina poussa une porte et qu’ils entrèrent dans une chambre.

Le noir complet les accueillit. Milante, levant haut sa lanterne, passa en tête. Partout cette même hideuse tapisserie. Un vieux lit engoncé dans des couvertures à l’aspect vieillot. Des bibelots inutiles.

Puis tout clignota. Les appliques murales s’illuminèrent, les rideaux ondulèrent sous une brise sans sources. Une femme dansait, seule, une bouteille à la main. Floue, image oubliée, elle tournait comme un oiseau. Un oiseau abattu en plein vol qui chute avant de s’écraser. Ses pieds déchaussés titubaient sur la moquette, soutenant son poids oscillant. Une rage malade dans le regard, elle se pencha sur une table, se servit un verre et le leva à l’adresse d’un angle de la pièce.

Tournant la tête, Morgane trouva une deuxième personne. Avachie sur son fauteuil, le regard hanté, parfaitement sobre et l’air si loin de tout.

- À ta santé, capitaine ! Lança la première à l’adresse de sa camarade, sa voix incertaine chargée de rage. À ta santé, à celle de tes petits princes ! Tes putains de petits princes !

Le souvenir s’évapora comme il était venu. En l’espace d’une fraction de seconde, la machiniste se retrouvait de nouveau à fixer le néant avec des yeux ronds. À ses côtés, Nina suffoqua.

- Qu’est-ce que… Qu’est-ce que c’était que ça ?

- Ça… Répondit Izac d’un ton si sombre qu’il sembla s’être coulé dans l’obscurité. Ça, c’est le piège dans lequel nous ne devons pas tomber.

Morgane sentit un frisson malsain courir le long de son dos, dégouliner jusqu’à ses jambes. Ici, tout pouvait être faux. Comment être sûr du contraire ? Ce néant qu’elle observait n’était peut-être pas le néant qu’elle était censée observer. Et s’il était l’obscurité d’une autre époque, d’un autre lieu ? Un souvenir comme les autres ?

Leurs sens les trompaient, ici. L’illusion les hantait, ici. Ici, leur œil était biaisé, ils ne pouvaient l’écouter.

Désemparée, en nage, terrorisée, elle s’avança d’un pas. Comme pour rejoindre l’emplacement de la danseuse ivre. Comme pour prendre sa place et mieux comprendre.

Au lieu de ça, son pied buta contre quelque chose et elle baissa les yeux.

Un hoquet lui échappa, elle recula en sursaut.

C’était un cadavre.

Un cadavre de femme conservé par la glace qui l’enveloppait dans une dernière étreinte. C’était elle. Conservée à l’identique. Même pull rouge, même coupe au carré, même cicatrice sur la lèvre. La femme du souvenir était là, par terre, dans un sarcophage de givre.

- Ho non, c’est pas vrai… Pesta Mikaël en titubant.

Allongée sur le dos. Gripée. Les iris fixaient l’infini, vide et vitreux. La bouche ouverte dans un cri tut. Les doigts crispés sur la moquette tâchée. Les jambes pliées dans un sursaut de douleur.

Elle avait un trou sombre au milieu du front.

Suffoquée, la machiniste tomba à genoux au chevet de ce corps alangui. Comment était-ce possible ? Comment était-elle encore là, figée à terre ? Pourquoi n’errait-elle pas comme l’équipage du Perce-Néan, captive de son navire pour l’éternité ?

Elle était effrayante. Effrayée.

Elle sentit les écharpes d’Izac lui chatouiller la tête quand il se pencha par-dessus son épaule.

- Une balle en pleine tête. Commenta-t-il. Elle n’a pas eu le temps de souffrir, seulement d’avoir peur.

Morgane déglutit : observer un cadavre ne le dérangeait pas le moins du monde. Elle ne sut pas si elle le trouvait répugnant ou fascinant.

Elle se remit sur pied et lui fit face pour toute réponse. Il lui braqua sa lampe torche dans les yeux.

- Pourquoi son corps est encore là ? Demanda-t-il sèchement, comme si c’était de sa faute. Pourquoi elle n’est pas… revenue ?

Elle repoussa sa lumière, agacée par sa manie. Au moins, il se posait la même question qu’elle...

- Je n’en sais rien, mais je n’aime pas ça. Pas du tout.

Mikaël se mit à frissonner.

- Trouvons Eddy et enfermons-nous quelque part, par pitié. Balbutia-t-il dans un geignement suppliant.

Milante s’abstint de tout commentaire. S’enfermer quelque part, vraiment ? Alors que le piège même se trouvait dans leurs têtes ? Dans leurs sens ? Ils ne pouvaient fuir leur propre perception. Ha, et puis cette odeur ! Cette odeur de terre mouillée ! Ferreuse, acide et chargée de moisissures ! C’était à en devenir folle.

Elle emboîta le pas aux autres, sachant que quitter cette pièce ne changerait rien à son malaise. Elle sentait que cet endroit pouvait écraser son esprit, exterminer sa raison. Quand elle vit, du coin de l’oeil, la morte la suivre du regard dans son écrin d’obscurité, elle fut certaine que leur séjour dans les tripes du Rhapsodie serait le plus difficile de tous.

Voir celui qui mettrait fin au périple.

__

Elle s’empressa de claquer la porte dans son dos et réprima les tremblements de ses mains. Les autres avaient pris de l’avance, imperturbables. Comme si marcher plus vite calmerait les sursauts insensés du temps. Comme si ce qui les menaçait attendait qu’ils s’arrêtent pour leur sauter à la gorge.

Car Morgane le sentait, ce poids qui augmentait dans ses entrailles. Ce picotement dans la nuque, cette humidité nerveuse dans ses yeux. Elle avait peur. Elle se sentait observée. Terrorisée. Elle avait l’impression, là, maintenant, tout de suite, que la Grande Blanche jouait pour elle sa carte la plus puissante.

Son scénario le plus macabre.

Son piège le plus dangereux.

Son instinct lui hurlait de laisser tomber le Rhapsodie. Laisser tomber Eddy. Courir, courir, fuir, trouver une pièce et se cacher. Attendre la fin de la tempête.

Mais c’était lâche. Déloyal. Ridicule. Et de toute manière, les autres avançaient sans l’attendre. Si elle ne les suivait pas, elle finirait seule.

Dans les boyaux du monstre.

Sous l’oeil de la Reine.

Prise d’un soudain élan de panique, Morgane accéléra le pas. Il ne fallait pas qu’elle traîne… ou le néant la rattraperait.

Son sale pressentiment se confirma lorsqu’elle passa près de la porte entrouverte d’une cage d’escalier. Le temps s’éteignit, s’alluma. Le couloir reprit son visage d’antan, les tapisseries leur aspect d’origine, les lumières leur éclat premier. Dans les escaliers, les bruits sourds d’une course effrénée la firent sursauter. Un cri jaillit de l’embrasure, un cri sauvage qui lui arracha un frisson.

- À mort ! À mort !

Un homme déboula sous ses yeux, couvert de sueur, le regard plein de panique. Il serrait contre lui quelque chose de luisant, de brillant. Une boîte de conserve ? Il eut le temps de faire trois pas, de tituber, indécis, sous les yeux ronds de sa spectatrice. Puis un deuxième inconnu surgit de la cage d’escalier, il y eut une puissante déflagration et il émit un hoquet sinistre. Morgane, pile en face de lui, eut le temps de voir une peur panique fuser dans ses iris. Puis, lentement, il bascula.

Si le temps n’avait pas clignoté à nouveau, l’effaçant comme il l’avait fait apparaître, il lui serait tombé dans les bras.

Mais désormais, à l’endroit où il s’était trouvé, il ne restait plus qu’un sol vide et gelé. Où était passé le corps ?

Soudain, Milante se rendit compte, tétanisée, de quelque chose de glaçant.

Elle était seule.

Seule ! Elle émit une guirlande de juron et redressa sa lanterne pour y voir plus clair. Quelle idiote elle faisait ! Fascinée par le théâtre du souvenir que rejouait la Grande Blanche sous ses yeux, elle en avait oublié le plus essentiel. Bon sang, elle avait réussi à perdre les autres ! Elle s’était laissée distraire, voilà ce qui arrivait quand on écoutait trop les murmures de ces lieux !

Le temps ne changeait pas. Les époques ne s’inversaient pas. Les éclats du passé se répétaient devant elle au meilleur moment, aux meilleurs endroits. Maudits soient-ils ! Maudite soit-elle…

À présent, elle devait retrouver la trace des trois autres. Comment savoir dans quelle direction ils étaient partis ? Eux non plus n’avaient pas la moindre idée de l’endroit où ils allaient. Décidant qu’il fallait bien qu’elle fasse quelque chose, la machiniste se mit en marche, pestant à mi-voix entre ses dents. Elle traversa un couloir, en trouva un autre identique. S’arrêta devant un escalier.

Les lumières du navire s’allumèrent de nouveau. Cette fois, misérables, elles clignotaient. Les néons malmenés peinaient à rester éveillés.

Sonnée par le changement brutal, Morgane tituba un instant. Autour d’elle, les tapisseries délavées avaient retrouvé leur couleur vert pomme et leurs motifs hideux. Elle constata alors que, quelques mètres devant, une large tache de sang s’étalait sur le mur. Prenant la forme d’un grand coup de pinceau, elle glissait jusqu’au sol où s’étalait une flaque. De là partait une traînée informe, un sillon macabre, qui s’éloignait dans les couloirs. Elle frissonna de dégoût.

L’image qu’elle avait sous les yeux était celle du navire déjà échoué, ça ne faisait pas l’ombre d’un doute. Mais alors, qui tuait les membres d’équipage et qui cachait leurs corps ?

Dans les lumières hésitantes, un nouveau bruit de cavalcade la tira de ses pensées. Suivant son instinct, elle se jeta dans la cabine la plus proche et ferma la porte sans un bruit. Elle se plaqua contre le battant et attendit.

Les sons sourds de la poursuite arrivèrent à sa hauteur. Un ordre fusa. Un cri claqua. Une supplication, peut-être ? Après quoi il y eut un gargouillis étranglé et un bruit sourd de chute.

Morgane, tendue comme la corde d’un arc, se rendit compte qu’elle avait l’impression que c’était réel.

Réel.

Était-ce réel ?

- Qu’est-ce qu’elle a, dans son sac ? Tonna une voix de l’autre côté de la porte, étouffée par l’épaisseur du battant.

Instant de silence.

- Une conserve et des piles.

- Bon, c’est déjà ça… Allez, filons avant que les éboueurs arrivent.

Morgane attendit cinq minutes encore, après que le silence soit tombé. Elle voulait être sûre d’être seule.

Puis, avec lenteur, avec prudence, elle se décolla du battant et se retourna pour l’ouvrir, se préparant déjà à ce qu’elle verrait de l’autre côté. Quand elle sortit de la cabine, elle dut retenir un haut-le-cœur. Sur le sol, à demi adossé au mur, gisait une inconnue dont le cou perlait d’un lourd collier. La profonde trace d’un coup de couteau qui courait d’une oreille à l’autre, laissant voir toutes les subtilités de l’œsophage, jusqu’à la blancheur du rachis.

La machiniste tituba, les jambes en coton. Elle n’avait pas besoin de miroir pour savoir qu’elle était livide. Un cauchemar. Cet endroit était un cauchemar ! Sa respiration s’accéléra, son estomac se retourna. Non ! Non, si elle vomissait le peu de choses qu’elle avait mangé…

Elle ravala sa bile avec dégoût. L’acidité lui mit la larme à l’oeil. Pliée en deux contre le mur, elle s’éloigna en chancelant du cadavre encore tiède. Enfer et lame de fond…

À l’autre bout du couloir, un bruit sourd retentit, suivi d’étrange chuintements. Quelque chose approchait en pleurant.

Elle ne réfléchit pas l’espace d’une seconde avant de prendre ses jambes à son cou. Elle revint sur ses pas durant quelques mètres, se jeta dans la cage d’escalier la plus proche et descendit d’un étage. Elle poussa une porte, puis une deuxième, et déboucha dans un nouveau corridor.

Pas de tapisserie, ici, pas de lustres. Des néons nus, des murs de fer à demi rouillés, des tuyaux apparents courant sur le plafond. Pour seule décoration, on avait placardé quelques affichettes vantant les mérites de telles villes ou dépeignant la beauté de tel paysage. Morgane reconnut sans mal les côtes escarpées de HorKër, dans le Sud de Denfèr, et sa végétation florissante. Évidemment, la photo avait été prise en été. En hiver, on n’aurait eut droit qu’à une plaine enneigée au sommet d’une falaise tranchante et un vol de mouettes à demi congelées.

Un peu apaisée par cette vision familière, la machiniste s’autorisa une pause pour retrouver son souffle. Courir avait rincé ce qu’il restait de force au fond de son organisme, et de violentes douleurs dans les jambes lui faisaient prendre conscience de l’immensité de sa faiblesse. Elle avait faim.

Lorsqu’elle se sentit mieux, que la nausée fut partie, qu’elle fut sûre sur ses appuis, elle se redressa. Un fumet vague, lointain, lui fit froncer le nez. Du bois brûlé, odeur des poêles de Denfèr et des chaufferies. Elle comprit qu’elle se trouvait dans le couloir des cuisines en apercevant plus loin un chariot chargé d’assiettes propres. Il avait été renversé, son contenu s’était déversé sur le sol, et les piles de vaisselle avaient explosé.

Ne sachant ni où aller ni que faire, Morgane décida qu’elle ne voulait pas rester statique. Attendre ici, plantée comme un piquet ne l’avancerait à rien. Alors elle s’engagea dans le couloir, le cœur battant la chamade. Quand les corridors du Rhapsodie redeviendraient-ils à ses yeux les coursives sombres et gelées, mais ô combien désertes, qui lui semblaient désormais bien plus rassurantes que cet éclat de passé ?

Elle était justement en train de penser cela quand trois inconnues déboulèrent au fond du couloir. Voyant leurs chemises sales, leurs bérets et leurs mitaines à demi déchirées, elle n’eut aucun mal à deviner qu’elles étaient comme elle. Des machinistes, couvertes de cambouis jusqu’aux coudes, les ongles salis par le travail. Distraite, un instant, par cette apparition soudaine, Milante mit un instant à se rendre compte d’un point important.

Très important.

Elles semblaient la voir. Était-ce seulement possible ?

- Toi ! Lança la première, balayant tous ses doutes et la plongeant dans une horreur sans nom. Toi, donne-nous ton sac !

Ce n’était pas tant son ton agressif qui l’effraya, d’autant qu’elle se serait fait un plaisir de lui répondre dans d’autres circonstances. Non, c’était plutôt le fusil à pompe qu’elle tenait, collée contre sa hanche, et qu’elle braquait dans sa direction.

Morgane papillonna des paupières, sonnée, saisie d’un doute horrible. Et si tout cela était réel ? Et si elle était retournée dans le passé ? Ho, par les morts, par les mourants, comment sortirait-elle de ce piège si elle changeait sans cesse d’époque !

- Hey ! S’écria l’étrangère armée lorsque sa cible recula d’un pas.

Milante ne lui accorda pas plus de son attention et tourna les talons avant de prendre ses jambes à son cou.

Du moins fut-ce là son idée première.

Avant même qu’elle n’ait pu faire demi-tour, une puissante explosion déchira le silence. Le canon du fusil vomit une gerbe d’étincelles anormales, une forte odeur de poudre envahit l’air et une soudaine douleur la coupa en deux.

Son souffle devint rauque, soudain, comme si l’air peinait à descendre jusqu’à ses poumons. Elle suffoqua, tituba, baissant des yeux ronds de surprise vers son abdomen. Ho non… Ho non… Ho non…

Les deux mêmes mots tournaient en boucle dans sa tête sans qu’elle puisse penser à autre chose. Elle passa une main sur son ventre, la ramena trempée d’un magnifique rouge écarlate. Du sang. Son sang.

Ho non !

Elle… Elle était en train de mourir ! Les balles l’avaient traversée de part en part ! Elle sentait un froid insidieux s’infiltrer dans les boucles complexes de ses intestins ! Elle sentait ses vêtements s’imbiber lentement de ce liquide vital !

Elle crut bien tourner de l’oeil. Au lieu de cela, la douleur la fit tomber à genoux.

- Je suis désolée. Lâcha sa tueuse, mélancolique, en baissant son arme avec lenteur.

Mais Morgane se fichait bien de ses excuses. Cherchant toujours son souffle râpé par la panique, elle la fixait, horrifiée. Était-ce possible ? Était-ce possible ? Mourir par un souvenir ? Non… Non, elle refusait d’y croire… C’était…

Par les Enfers, qu’est-ce qu’elle avait mal !

Ses agresseuses s’approchèrent, requins tournants autour d’une proie mourante. L’une d’entre elles, la plus âgée de toute évidence, dégaina un couteau à la longueur effrayante.

Lorsque Morgane aperçut le morbide éclat que renvoyait la lame, son hyperventilation alla en s’empirant. Le tranchant se déposa sur sa gorge tandis que la doyenne se penchait vers elle. Ses yeux bleus, lointains, irréalistes, s’emplirent d’une empathie décalée. Elle lui passa une main affectueuse, burinée par des années de bricolages, sur la joue, et prononça la phrase la plus atroce que Milante ait jamais entendue.

- Je m’excuse, moi aussi. Repose en paix.

- Non…

Ce fut le seul pathétique mot qu’elle parvint à prononcer. Tout le reste de ses suppliques fut écrit dans ses iris remplis de larmes instinctives. Puis le froid du couteau s’enfonça dans sa peau, se fondit dans ses chairs, la douleur fut pratiquement aussi difficile que l’horreur, et enfin, d’un coup sec, l’inconnue trancha. Coupa. Sectionna.

Et tout clignota.

Morgane chercha l’air, remplit ses poumons avec une peur panique. Rauque, sa respiration était incapable de retourner à la normale. Tremblante comme une feuille, de la tête aux pieds, elle tâtonna sur son cou à la recherche d’un trou. Elle ne trouva que sa peau, fraîche et sans défauts.

Elle tomba à quatre pattes, ses épaules agitées de soubresauts soutenant difficilement son corps choqué. Ses doigts gantés se crispèrent dans le givre qui couvrait le sol, à peine luisant dans l’obscurité.

Tout était revenu à la normale. La tempête hurlait dehors. Le silence hurlait dedans. Et Morgane hurlait en silence.

Elle revoyait, en boucle, ce couteau s’enfoncer dans sa gorge. Elle ressentait, sans fin, sa lame s’incruster dans sa chair. Une fois encore, elle vérifia en frissonnant qu’elle n’était pas coupée en deux. Elle se força à vider ses poumons pour mieux retrouver son souffle. Elle tenta de s’asseoir, mais tomba allongée. L’état de choc l’agitait de soubresauts incontrôlables.

Elle se revit, à terre, le ventre percé et en sang, supplier en silence cette inconnue sur le point de l’égorger.

Son estomac se souleva avec violence, elle se redressa brusquement à genoux. Un hoquet déchirant la fit sursauter, et elle rendit dans la douleur les restes de son maigre repas et le peu d’eau qu’elle avait bu. Impuissante, elle regarda s’étaler sur le sol ses dernières ressources et sentit que son corps cherchait à en rejeter encore plus. Mais il n’y avait plus rien, dans son ventre, qui puisse être vomi, et elle attendit, les dents serrées, que les hoquets s’espacent. Puis disparaissent.

Là, elle se redressa en titubant. L’épuisement manqua de la faire tomber à nouveau. Elle renifla, son nez lui piquait. Elle avait des remontées acides dans les narines, et un goût terriblement mauvais sur la langue. Le sang pulsant à ses tempes, elle ouvrit son sac à dos de ses doigts tremblants. Elle trouva, au fond, une boîte de gélules contre la toux et en sortit une avec fébrilité. Elle la prit sans réfléchir, comptant sur le goût doux des plantes mentholées qu’elle contenait pour apaiser ses sens. La saveur familière de la pastille la ramena peu à peu à la réalité.

Bien. Il fallait qu’elle bouge, maintenant. Il fallait qu’elle… Qu’elle… Elle chancela et s’appuya contre le mur. Il fallait qu’elle retrouve ses esprits. Ce ne serait pas une chose aisée après ce qu’elle venait de vivre. Son cerveau arrivait au seuil de tolérance. Bientôt, il ne serait plus capable de supporter la moindre horreur ou aberration de ce genre sans disjoncter.

Elle sentit ses nerfs lâcher tous en même temps. L’adrénaline s’échappait de son corps et la laissait seule face à l’horreur de la situation.

Alors elle se laissa glisser jusqu’à terre et décida qu’il était temps de craquer.

Là, elle enfouit sa tête dans ses mains et éclata en larme. Jamais elle n’avait rendu un sanglot aussi déchirant. Jamais elle ne s’était sentie aussi déchirée. Jamais un pleur ne lui avait paru si lourd de peines, de peurs, de secrets.

Ça faisait un bien fou de se laisser aller.

__

Elle avait pleuré longtemps. Elle s’était donné le temps. Elle en avait eu besoin. Après, elle avait essuyé ses joues avec soin, elle avait bu un coup, elle s’était relevée comme si de rien n’était. Elle avait épaulé son sac et elle s’était remise en marche.

Dans le noir, elle avait eu le courage d’appeler quelques fois les noms d’Izac, Mikaël et Nina. Celui d’Eddy ? Elle l’avait oublié. S’il était seul, lui aussi, elle ne donnait pas cher de sa peau.

Les cuisines étaient labyrinthiques, dédale de placards, de fours, d’ustensiles, de tables, de coutelas. Le tout plongé dans une obscurité si poisseuse qu’on eut dit une glaire d’encre.

La lueur sinistre de sa lanterne créait autour d’elle un halo de quelques mètres, lançant de faibles reflets sur les casseroles les plus éloignées. Sur un four, affalé, les bras écartés, le visage collé contre le fer glacé, un homme la fixait de ses grands yeux vides. Il avait un couteau long comme l’avant-bras planté dans le dos. C’était sans doute ce dernier qui l’épinglait façon pense-bête sur la surface gelée du plan de travail. Sa bouche entrouverte laissait s’échapper un filet de sang noirci par le temps. Figé par le froid.

Morgane sursauta à sa vue, s’immobilisa un instant. Et s’il se levait, soudain, pour arracher la lame qui lui chatouillait les vertèbres et la lui planter dans le crâne ? Pourtant, quand elle fit un pas de plus dans sa direction, il ne broncha pas.

Un cadavre est un cadavre, après tout.

Un instant, le temps clignota. La cuisine se remplit de vie, d’odeurs, puis se vida. Un cri retentit au fond d’un couloir, une détonation, et le néant revint.

Troublée par la rapide vision, Milante mit un moment à se réhabituer à l’obscurité. Dans la semi-pénombre, elle s’approcha un peu plus du mort.

Prudente, elle le contourna incapable de le quitter des yeux. D’ici, elle voyait l’arrière de son crâne. Son oreille éclaboussée de sang. Puis, avançant, elle découvrit sa joue. Ronde et fraîche de jeunesse.

Enfin elle vit, sur l’épaule de son uniforme, le logo d’une compagnie cantinière bien connue chez les marins Denfèriens. Ce signe familier, un de plus, lui tordit le cœur et lui fendit les tripes. Puis, grand final, elle aperçut ses yeux. Sa bouche béate. Et ses deux iris.

Rivés sur elle.

Elle sursauta, se cogna contre le four derrière elle dans un sourd bruit de ferraille.

La glace qui l’emprisonnait craqua quand le maudit bougea.

- Gare aux lames. Gare aux couteaux.

Ses lèvres bougeaient à peine. Sa voix était un souffle étranglé. Ses yeux vitreux, à demi révulsés, se concentraient pour la fixer.

- Les couteaux dans le dos. Répéta la bouche. Les couteaux dans le dos. Quittez le Rhapsodie… Quittez le Rhapsodie tant qu’il est encore temps.

Morgane n’entendit pas la suite. Elle tituba en arrière, le cœur en compote, heurtant les meubles et les outils sans s’en soucier. Elle renversa un présentoir à casseroles dans un bruit d’apocalypse, manqua de trébucher en arrière et se rattrapa de justesse à un four. Il y eut un sursaut dans l’air, les lumières se rallumèrent, et une puissante odeur de tourte lui sauta aux narines.

Sonnée, elle se redressa, cherchant du regard le mort sur son plan de travail. Elle n’y trouva rien de plus qu’une pomme de terre émincée par un jeune homme méticuleux, absorbé par sa tâche, au visage orné d’une charmante moustache.

Déglutissant avec difficulté sa salive lourde d’angoisse, elle manqua de bousculer une matrone chargée d’une lourde soupière.

- Qu’est-ce que vous fichez-là, pouilleuse ? S’agaça-t-elle en rattrapant difficilement sa pesante charge. Dégagez des cuisines ou je vous accompagne à la porte au rythme de coups dans l’pétard !

Morgane ne se le fit pas dire deux fois. Repoussant loin de ses pensées affamées les odeurs alléchantes de la pièce, elle la traversa en sens inverse, courant presque. Elle ne voulait pas se prendre un couteau dans le dos…

Mais à peine avait-elle fait la moitié du trajet que le temps clignotait de nouveau. Elle trébucha contre un chariot qui jusqu’à présent ne se trouvait pas sur son chemin.

- C’est pas vrai ! Pesta-t-elle en massant sa cuisse endolorie.

Au même instant, un cri déchirant lui arracha un sursaut. Elle tituba, fit volte-face et sentit son cœur se bloquer dans sa poitrine.

La scène était simple. Le jeune homme des patates, le moustachu, mis en clef de bras par la matrone. La matrone qui tenait un couteau. Un couteau long comme l’avant-bras.

- S’il vous plaît ! Supplia le cuistot alors qu’elle lui écrasait le visage contre le plan de travail. S’il vous plaît, non !

Morgane se mit à trembler. Ce n’était pas réel. Ce n’était pas réel. Ce n’était pas réel. Tourne les talons, contourne le chariot et tire-toi. Tire-toi bon sang !

- Je ne le referais pas, je vous en supplie ! Margea, je vous en supplie !

D’ici, elle ne voyait pas les traits de l’inconnu. Elle n’en avait pas besoin. Elle savait, au seul son de sa voix, qu’il pleurait à chaudes larmes, agité de sanglots incontrôlables et d’une terreur sans fond. Elle savait que son bras lui faisait mal, au vu de la manière dont "Margea" le lui tordait. Elle savait qu’il savait quelle mort atroce l’attendait. Quelle longue agonie lui réservait la vie, à lui, épinglé sur un plan de travail par un couteau de boucherie.

- Ce n’est pas encore trop tard, Elias… Trancha fermement la cheffe de cuisine. Tu sais bien que ce n’est pas encore trop tard.

Elle avait, disant cela, cruellement promené sa lame sur le dos de sa victime. Sa pointe acérée avait, de la base de la nuque, couru jusqu’au sacrum sans mordre ni la chair ni l’habit. Pourtant, l’impression devait être tout aussi douloureuse, car le cuistot s’était crispé de la tête aux pieds.

Morgane, elle, mordue par l’indécision à côté de son chariot, observait la scène sans être vue. Incapable de bouger. Incapable de fuir.

- Je vous jure que je ne sais pas où est cette clef.

Il était évident que ce n’était pas la première fois qu’il prononçait l’aveu, et que ce n’était pas la première fois qu’il n’avait aucun effet.

- Tu vois, Elias, tu as laissé la clef au capitaine. Or, le capitaine nous a tous trahis. Et maintenant, nous sommes aux Enfers par sa faute. Et toi, tu t’es permis de lui venir en aide. Ce n’est ni pardonnable, ni pardonné.

Bon sang… Morgane commençait à comprendre l’horreur qui avait secoué cet équipage, ici, en ces terres. Là où elle était tombée au sein d’un groupe plus ou moins soudé, les marins du Rhapsodie s’étaient trouvés face à une mutinerie sanglante qui s’était transformée en tuerie interminable. Chacun pour sa peau. Les naufragés avaient compris que personne ne viendrait les aider et ils s’étaient battus pour survivre.

Les uns contre les autres.

Mais cette scène qui se jouait sous ses yeux n’était pas réelle. C’était un souvenir, un écho que rejouait la folie des lieux sous son regard. Non, ce couteau qui se levait lentement n’existait pas. Pas ici, pas comme ça. Cet homme qui se débattait de toutes ses maigres forces était déjà mort. Captif du givre et de sa malédiction. Et cette femme qui s’apprêtait à lui offrir de la plus tranchante des manières le repos éternel n’était sans doute, elle aussi, rien de plus qu’un cadavre congelé quelque part à bord. Elle avait survécu plus longtemps, voilà tout.

Pourtant, Morgane s’activa. Son instinct se réveilla. Elle en oublia presque où elle était et pourquoi, jusqu’à en confondre le vrai et l’illusion.

Elle bondit, s’empara au vol d’une lourde poêle fonte. Elle arma son bras, fit jouer ses muscles épuisés, et son arme improvisée fendit l’air.

La Margea avait à peine eu le temps de la voir arriver que l’arrière de son crâne épousait la fonte douloureuse de l’instrument de cuisine. Sa tête, sous le choc, partit violemment vers l’avant. Le soubresaut qu’elle eut la fit lâcher son arme et sa victime, qui se jeta sur le côté en haletant. Le visage de la cheffe s’écrasa sur le plan de travail avec un bruit sourd. C’était son front qui avait cogné en premier.

Elle tituba, incapable de se redresser, tâtonnant autour d’elle à la recherche d’un repère. Morgane, d’un puissant revers de poêle et avec un cri sauvage, lui explosa la partie droite de la face et la regarda s’affaisser sur le sol pour de bon. Comme elle tentait encore de se relever, elle l’acheva d’un puissant coup sur la nuque et lâcha son outil de mort quand le silence tomba.

Sonnée, elle regarda le sang s’étendre sur le carrelage. Si la Margea n’était pas morte, elle était mourante. Quelques gargouillis informe laissèrent penser à une agonie paresseuse.

Haletante, dégoûtée, Milante recula en titubant de son œuvre. Réel ou non, elle venait de tuer. Elle venait de tuer. Elle venait de tuer.

Elle crut bien qu’elle allait vomir le peu de bile que contenait encore son estomac quand une voix l’arracha de ses pensées.

- Qui êtes-vous ? Souffla Elias, appuyé tremblant sur le plan de travail où il aurait dû mourir, la fixant avec un mélange d’horreur de fascination.

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