Chapitre 24
Catherine est surprise de voir arriver les quatre amis. Ils lui relatent l'affaire. Elle a un court moment d'absence puis elle part d'un éclat de rire communicatif qui se transforme en un fou rire collectif.
— Thé ou café, les jeunes ? Nous allons réfléchir. Je trouve que c'est plutôt une bonne chose.
— Comment ça ? s'indigne Mathéo.
— Allons, c'est évident mon chéri, l'agent double ici présent va nous permettre de nous amuser un peu.
— Je ne comprends pas ! rétorque-t-il.
— Mathéo, ton père se croit plus malin que tout le monde, comme d'habitude, il pense tout contrôler ! Nous allons lui donner une petite leçon. Son plan va se retourner contre lui et il n'y verra que du feu, grâce au talent incontestable de Pierre.
— Grâce à Pierre nous pouvons lui envoyer n'importe quelle info bidon sans même qu'il se méfie...
— Oui Louise, exactement, confirme Catherine.
— Vous voulez que je continue à l'appeler ? Et que je lui fasse avaler des couleuvres, c'est bien cela ? Moi qui pensais que c'était fini ces conneries... gémit Pierre.
— Tu dois assumer jusqu'au bout ! Tu es mon héros ! Et puis cela t'apprendra à accepter de faire n'importe quoi pour de l'argent. Quand est-ce que tu es censé le contacter ? questionne Louise.
— Il doit déjà attendre mon coup de fil...
— Je vais prévenir mon avocate pour prendre son avis, ce sera plus sage.
Maître Davant est un peu étonnée, mais plus grand-chose ne la surprend. Elle a eu maintes fois la preuve que les divorces ne sont pas juste des séparations. Ils révèlent les parts les plus sombres, les agissements les plus perfides. Elle insiste sur un seul point : elle a besoin d'une preuve. Pierre doit recevoir un paiement qui laisse une trace pour pouvoir utiliser son témoignage devant le tribunal. Cela permettra de prouver le caractère quelque peu pervers et manipulateur du charmant mari de Catherine. Elle serait enchantée de pouvoir sortir cet atout de la large manche de sa robe d'avocate au cours du procès.
— Il m'a filé mille cinq cents euros, en liquide au départ de Paris, avoue Pierre plein de culpabilité.
— Bien, nous savons sur quoi nous devons réfléchir, songe Louise à voix haute. Au fait mon amour, ton petit appartement, ton soi-disant chez-toi ?
— Un meublé, je l'ai loué par internet pour la semaine. Moins cher qu'un hôtel et plus pratique pour jouer les espions.
— Comment obliger Gabriel à t'ouvrir un compte ici et à y déposer de l'argent ? Si tu lui disais que tu as des super infos mais qu'il te faut une rallonge, propose Louise.
— C'est un coriace, il ne marchera pas. Au théâtre, le levier ce serait plutôt Mathéo. Le fils qui trahirait la mère au profit de son père. Puisque je change de camp, toi aussi Mathéo, annonce Pierre.
— Euh, je ne te suis pas bien là... proteste Mathéo.
— Imaginons que je dise à ton père que ta mère t'emmerde en venant s'incruster dans ta nouvelle. Que tu trouves qu'elle débloque complet quand elle parle de divorcer et de s'installer ici, avec toi. Que tu voudrais bien l'envoyer sur les roses. Seulement, comme elle te donne de l'argent, tu ne peux pas te le permettre, et surtout que tes nouveaux amis ne t'y encouragent pas...
— En gros, tu lui racontes ce qu'il croit déjà, soupire Catherine.
— Exactement ! Ce sera d'autant plus facile de le faire marcher.
— C'est quoi l'idée ? Qu'il envoie du fric à Mathéo ? questionne Louise.
— J'espère qu'il va plutôt opter pour une autre solution : m'envoyer du fric à moi, pour que je le file à Mathéo, sans qu'il en connaisse la provenance. Cela lui laisserait la possibilité de couper le robinet quand il veut. De garder la main ! développe Pierre inspiré.
— Pouah, je suis écœurée, crache Louise, dépitée.
— Ben oui trésor, mais là, bingo ! Il m'ouvre un compte et il y dépose de l'argent, je le retire : ticket de caisse égale preuve. Pense à sa tête quand il découvrira que nous l'avons mené en bateau, ça te remontera le moral !
— Quand même, je n'aime pas ça. Je te trouve bien machiavélique, frémit Louise.
— Je me mets juste dans la peau du personnage, c'est aussi cela le métier d'acteur. Et puis c'est pour la bonne cause cette fois-ci, non ?
— Tu as raison Pierre, intervient Catherine. Je valide ton idée et je te remercie de m'aider.
— C'est normal, je me rattrape un peu...
— Alors, à toi de jouer ! l'encourage-t-elle en désignant le téléphone du menton.
— Ce qui pourrait aider, ce serait une ou deux photos. Par exemple Mathéo et Chloé affalés là, l'air totalement défoncés et toi, Catherine avec une bonne tête de dépressive, histoire d'envoyer du lourd, vous savez "le poids des mots, le choc des photos" rajoute Pierre.
— Non, mais je rêve... soupire Chloé.
— Mais si, viens te vautrer avec moi dans la drogue, sous les yeux désabusés de ma pauvre mère ! Je suis sûr que tu as des talents cachés d'actrice toi aussi...
— Où as-tu mis les cadavres d'hier soir, Catherine, les bouteilles de champagne vides ? Qu'il voit à quel point nous nous vautrons dans la luxure, suggère Pierre qui a aussi des talents de metteur en scène.
— Je suis bien là, en pyjama, tout ébouriffée ? demande la future divorcée.
— Vous êtes tous très crédibles ! se réjouit Pierre. On ne bouge plus ! C'est parti, je lui envoie avec un petit SMS : "Appelez-moi, il y a du nouveau". Maintenant, il n'y a plus qu'à attendre...
Lorsque le portable de Gabriel vibre, il est à son bureau. Les photos qui s'affichent déclenchent un sourire mesquin sur son visage. Il le savait, il en était sûr ! Il appelle Pierre.
— Alors ?
— Bonjour, monsieur Bertrand. Hier soir, je suis allé à la crémaillère de votre femme. Vous avez vu les photos ?
— Oui. C'est quoi cette histoire de crémaillère ?
— Si j'ai bien tout saisi, elle s'installe ici, à proximité de Mathéo, elle parle de divorcer.
— Divorcer ! Mais elle est folle !
— C'est vrai qu'elle n'a pas l'air très bien, je veux dire : pas l'air tout à fait dans son assiette.
— Vous rigolez ! C'est une dépressive, elle est bourrée de cachetons, elle ne sait plus ce qu'elle fait !
— Cela n'arrange pas vraiment votre fils de l'avoir dans les pattes. Il a mieux à faire avec une des nanas du camp. Mais comme vous le pressentiez, il semblerait que votre femme arrose tout le monde assez généreusement. La fête d'hier était digne de certaines soirées parisiennes, je vous assure que rien ne manquait.
— Nom de Dieu, j'en étais sûr, je ne me trompe jamais... pas une secte, tu parles !
— Bon, ben, je rentre à Paris. Je ne pourrai pas vous apprendre grand-chose de plus maintenant.
— Attendez, attendez, il faut que je réfléchisse. Je vous rappelle. Pour le moment, vous restez là-bas, vous continuez à me surveiller tout le monde.
— Monsieur Bertrand, j'ai rempli ma part du marché. Si vous voulez que je prolonge, il va me falloir une rallonge, j'ai des frais ici.
— Vous en faites pas, vous serez payé.
— Oui, mais mon compte est à sec, je ne peux pas avancer.
— Je vous rappelle dans la journée !
Gabriel raccroche, énervé mais rassuré. Il va pouvoir faire intervenir les autorités. Il téléphone immédiatement à l'avocat qui lui a été conseillé pour les affaires familiales. Celui-ci lui confirme que oui, marié sous le régime de la communauté, en cas de divorce c'est moitié-moitié, mais que si sa femme est internée alors là, plus question de divorcer, c'est interdit par la loi. Pour faire interner quelqu'un il faut une, ou encore mieux, deux demandes de soins psychiatriques par un tiers, la sienne et celle de son fils par exemple. Ainsi que deux certificats médicaux, celui d'un généraliste et celui du médecin psychiatre de l'hôpital où sa femme sera soignée. Gabriel a enfin l'impression d'avoir un interlocuteur compétent. Après cet échange, son cerveau mouline à deux cents à l'heure... Une demande signée par son fils... Ce qu'il veut c'est du fric... L'argent, le nerf de la guerre, la seule chose qui fasse avancer le monde, partout, tout autour de la planète... Mathéo vendrait sa mère pour un peu de drogue... Il va lui en procurer et il signera n'importe quoi... Comment s'organiser ? Ouvrir un compte à Mathéo et y mettre de l'argent... S'il fait cela, il n'obtiendra jamais le papier... Non, il faut procéder à un échange : la demande signée contre les billets ! Impossible de prendre un jour de congé... Pierre est sur place, il s'en chargera. Après tout, c'était une bonne idée d'utiliser ce comédien, Mathéo ne se méfiera pas... Ensuite, contacter un médecin, là-bas, qui se déplacera pour récupérer Catherine et hop, direction l'hôpital le plus proche. Les choses s'arrangent, enfin ! Divorcer... Non, mais il ne manquerait plus que cela ! Audrey frappe et glisse sa tête décomposée à l'intérieur du bureau.
— Monsieur Bertrand, vous pouvez venir, nous avons un problème !
— Qu'y a-t-il encore ?
Le PDG sort de son bureau avec un beau sourire de vainqueur. Il est prêt à dévorer tous ceux qui se mettront en travers de sa route. Dans l'open-space, tout le monde est en effervescence. Les visages sont crispés. Il règne une ambiance apocalyptique. Les téléphones sonnent tous en même temps et l'ascenseur déverse un flot de collaborateurs affolés.
— Monsieur, c'est la catastrophe ! Ils coupent tous les spots publicitaires !
— Qu'est-ce que vous racontez ? Qu'est-ce que c'est que ce bordel ? Bon sang, Audrey, répondez à ce téléphone !
— Les hackers, monsieur, à chaque interruption publicitaire, ils nous coupent l'antenne et cela depuis une heure, déclare le chef de la régie. Le service informatique est sur le coup mais ils disent que ça dépasse leurs compétences, ils attendent du renfort de la part de nos sous-traitants, mais ne garantissent aucun résultat...
— Mais c'est incroyable ! Ah, les nouvelles technologies ! C'est bien vous qui passiez votre temps à m'en vanter les mérites, éructe-t-il contre le pauvre gars. Audrey, rappelez-moi de virer ce type quand tout sera rentré dans l'ordre. Est-ce uniquement chez nous ou les autres chaînes sont touchées aussi ?
— Uniquement les chaînes du groupe, il semblerait... bafouille le futur chômeur.
— Audrey, appelez-moi le ministre de l'Intérieur et passez-le-moi dans mon bureau. Tout de suite ! Gabriel est fou furieux. Ils vont le rendre dingue ces pirates des temps modernes. Il maudit la technologie tout entière.
— Monsieur Bertrand, le ministre n'est pas joignable, je suis désolée.
— Évidemment, ils se planquent tous, les rats quittent le navire... On déprogramme toutes les publicités pendant les émissions et les téléfilms jusqu'à nouvel ordre. On repasse à l'ancienne, des pubs entre les programmes, en espérant que ça va les calmer.
— Il nous faut refaire toutes les grilles...
— Et vite ! Sinon, ils vont zapper et le peu de téléspectateurs qu'il nous reste iront sur les chaînes concurrentes. Je veux tous les responsables en salle de réunion dans cinq minutes et qu'ils me fassent des propositions intelligentes. Bougez-vous Audrey !
Gabriel, en bon capitaine de navire sur le point de sombrer, prend les choses en main. Mais avant, il rappelle Pierre qui décroche à la première sonnerie :
— Monsieur Bertrand, j'attendais votre appel, déclare l'acteur d'une voix sérieuse.
— J'ai une nouvelle mission à vous confier, pas compliquée et bien payée. Mais écoutez-moi bien, je suis très occupé, c'est la guerre ici, je n'aurai pas le temps de répéter. Je vais vous envoyer un papier que vous ferez signer à Mathéo, un formulaire de Soins Psychiatriques à la Demande d'un Tiers pour ma femme, en échange vous lui remettrez dix mille euros. Du coup, il n'aura plus sa mère sur le dos et de quoi s'occuper ! Quand vous aurez ce papier signé, vous me rappelez ! Vous avez compris ?
— Je crois oui, mais d'où je sors dix mille euros, moi ?
— Vous passerez à l'agence de la Banque Française Générale de Biarritz, je vais tout arranger. J'effectue un virement à votre nom sur un livret et ils tiendront l'argent à votre disposition dès demain après-midi. Il y aura deux mille euros de plus pour vous. Mais n'oubliez pas, il me faut ce papier signé, le plus vite possible !
— Je vais voir ce que je peux faire, ce n'est pas aussi simple que vous semblez le penser...
— Vous verrez qu'avec l'argent, Mathéo signera sans même lire. Je compte sur vous. Je vous envoie la SPDT par mail, débrouillez-vous pour l'imprimer et tenez-moi au courant.
Gabriel a déjà raccroché. Pierre jette un coup d'œil à ses complices silencieux. Il est estomaqué que son plan ait si bien fonctionné, mais surtout un peu gêné par ce qu'il doit leur annoncer.
— Bon, et bien c'est bon... Il va procéder à un dépôt sur un livret à mon nom à la BFG, nous l'aurons notre preuve.
Des cris de joie et des rires accueillent la nouvelle.
— Mais, j'ai des instructions, et c'est pas joli joli. Il envoie un papier que je dois faire signer à Mathéo en échange de dix mille euros pour faire interner Catherine.
Les rires se figent. Le dégoût s'installe sur les visages.
— Comment peut-on être aussi pourri ? s'indigne Louise.
— Il pense que je vais signer son papier contre de l'argent ?
— Il en est absolument certain, Mathéo.
— Maman, est-ce que tu comprends bien ce qu'il envisage de faire ?
— Il veut m'enfermer dans un hôpital psychiatrique à ta demande... Maître Davant m'avait avertie que cela pouvait vite devenir l'enfer, mais jamais je n'aurais pensé à une saloperie pareille. J'ai consacré ma vie à cet homme ! Je n'arrive pas à le croire.
— Aucune empathie, aucune reconnaissance, aucun sentiment, c'est effrayant. C'est lui le malade mental ! J'ai une pensée pour Hélène... Comment peut-on aimer un être comme celui-là ? Catherine, comment c'est possible ?
— Je ne sais pas, Chloé. Je crois que jusqu'à aujourd'hui, je ne connaissais pas l'homme qui partageait ma vie. Je suis tellement écœurée que si vous n'étiez pas là, avec vos cœurs gros comme ça, pour rattraper le coup, cela me tuerait !
— C'est bien ce qui a fini par amener Hélène à se suicider, déplore Chloé. Elle a découvert qu'elle était amoureuse d'un monstre. En étant manipulée de la sorte, comment conserver un peu d'estime de soi ? Elle a préféré mourir. Son journal intime est à votre disposition Catherine, je l'ai au mobile-home. Peut-être que votre avocate pourra s'en servir.
— Peut-être, merci pour ce geste qui me touche beaucoup. Je me battrai aussi pour ton amie. Je ne vais rien lui épargner, il va payer pour tout le mal qu'il sème autour de lui !
— Il ne doute vraiment de rien, s'étonne Pierre. Il y a quand même quelque chose qui me dérange. Et si j'étais malhonnête ? Si demain j'allais chercher le pognon et que je disparaisse. Pourquoi me fait-il confiance ?
— Il te prend juste pour un raté qui a besoin d'argent et qui va en gagner facilement en arrangeant ses petites combines légales, répond Catherine. Mais il ne va pas être déçu ! La cinglée dépressive, le camé et le raté lui réservent une bonne surprise. Il va tomber de haut. Vous savez quoi, je vous invite tous au restaurant !
— C'est gentil, mais nous sommes bien là, chez vous. Lançons un barbecue et terminons les restes d'hier... À dix-sept heures, nous avons rendez-vous avec les gens de Terre de Liens chez Mathieu et j'aimerais bien méditer un moment avant de les rencontrer. Avec tout cela, je suis un peu déboussolée, avoue Chloé.
— Depuis une semaine, notre petite vie tranquille au camp a été bien chamboulée. J'ai moi aussi besoin de me recentrer. Le dossier de Mathieu c'est très important, il faut que nous soyons au mieux de notre forme, insiste Louise.
— Vous avez raison les filles ! Je débarque et avec moi tout le reste. Le plus important c'est la belle aventure humaine que vous avez réussie à construire, à l'opposé de tout cela. Nous mangeons et nous rentrons. Maman, au passage, nous te poserons chez Mathieu. Je ne veux pas que tu restes seule. Et toi Pierre, merci d'être quelqu'un de bien, je suis rassuré de t'avoir à nos côtés.
— Je suis à ma place avec vous. Le fric je m'en fous, en plus j'ai trouvé l'amour, et dire que c'est grâce à ton père.
— Ce sont les dégâts collatéraux ! s'esclaffe Louise qui a retrouvé sa gaieté. Lorsqu'il va le savoir, il ne va pas te féliciter.
— Mathéo, ne le prends pas mal, mais je préférerais que tu restes ici avec Catherine. J'ai besoin d'être un peu seule, rejoignez-nous ce soir au camp.
— D'accord Chloé. Du coup, maman, nous irons à la ressourcerie cette après-midi, ma girouette ne va pas se fabriquer toute seule et nous avons tous grand besoin de savoir d'où vient le vent.
— Oui chéri, je trouverai bien à m'occuper. j'aiderai Lili, cela me changera les idées, poncer ça défoule et Mathieu a, lui aussi, besoin d'un peu de calme pour se concentrer sur ses affaires.
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