Chapitre 31 (fin)
Quelques mois plus tard, une équipe de télévision s'installe au camp pour réaliser un reportage. L'expérience va être médiatisée. La chaîne de Gabriel applique à la lettre les recommandations des hackers et bat des records d'audience. Pour le moment, elle ne tient que grâce à l'argent qu'il y investit massivement. Mais, lentement, elle retrouvera un équilibre financier lui permettant de conserver les emplois et d'accomplir son rôle de média de l'information et de la culture. Sans les revenus mirobolants générés par la publicité, les présentateurs stars de la chaîne ont revu leurs gargantuesques salaires à la baisse, ils n'ont pas eu le choix.
Techniquement, Les gardiens de la paix n'ont pas la moindre chance d'appréhender les pirates. Ils n'ont pas non plus la motivation pour mener à bien cette mission. Comme chaque citoyen, ils aspirent à un profond changement. Que l'éthique retrouve sa place sur le trône du monde. Une nouvelle idéologie de masse s'avance, celle du partage et de la vertu. Les scientifiques le disent maintenant haut et fort : l'évolution n'est pas le résultat d'une compétition acharnée, mais bien au contraire, le fruit d'une coopération universelle entre les espèces depuis la nuit des temps.
La rêvolution se durcit. Les hackers brandissent une nouvelle menace : procéder à un reset de tout le système financier international. Ils prétendent être en mesure de remettre tous les comptes bancaires à zéro. Ils exigent que le FMI crée un compte spécial, où les puissants de l'ancien monde devront déposer leurs fortunes. Ce remboursement servira à abolir les inégalités et à réparer les injustices sur toute la planète. Plus personne ne devra mourir de faim, de soif ou de froid, sinon ils déclencheront le chaos ! Pour commencer, ils demandent à tous les citoyens du monde qui soutiennent leur action, de se tenir prêts à aller retirer le plus d'argent possible en liquide, même les plus pauvres. « Si rien ne se passe dans les jours et les semaines à venir, nous saignerons les banques ! » Cette petite phrase fleurit sur tous les supports, de la traditionnelle banderole jusqu'aux réseaux sociaux. Et ça se bouge en haut lieu, pour éviter à tout prix cette manifestation pacifique, individuelle et universelle, qui dès le premier mois, mettrait tout le système à genoux. Au Nord, du milliardaire au simple ouvrier, nul n'a envie de se retrouver sans rien du jour au lendemain. Au Sud, les peuples manifestent leur joie et les rues sont en fête. Toutes les lignes sont en train de bouger, le système capitaliste sauvage rend son dernier soupir.
Assise face à Mathéo, sur la petite terrasse devant le mobile-home, Chloé regarde tourner sa girouette installée sur le toit de la maison. C'est une énorme marguerite géométrique, que le vent n'arrivera jamais à effeuiller. Je t'aime, un peu, beaucoup, à la folie, passionnément, pas du tout.... Elle virevolte légèrement sur son axe et indique l'Orient.
— Pourquoi pars-tu ? grimace Mathéo.
— Ne sois pas triste... Pour moi, aimer quelqu'un, ce n'est pas le garder près de soi, c'est vouloir son bonheur. Mes pas m'emmènent vers d'autres horizons. Ce séjour en woofing* à l'autre bout du monde pour découvrir la Médecine Traditionnelle Chinoise, c'est mon rêve !
— Je t'attendrai...
Elle se lève, contourne la petite table, passe derrière lui, se penche et glisse ses bras autour de son cou.
— Tu sais Mat, la vie est une rivière qui traverse différents paysages, elle est parfois sauvage et dangereuse, et parfois calme et limpide. Elle bouge, elle change, mais jamais ne cesse de couler. Nous aussi, nous continuons notre chemin. Nous sommes deux rivières qui se sont croisées, mélangées, et maintenant nos lits se séparent. Grâce à la mémoire de l'eau, des gouttes de toi m'accompagneront tout au bout du voyage. Pour moi, c'est ça l'amour.
Malgré lui, il sourit et l'attire sur ses genoux. Il plonge son visage dans son cou et respire profondément son odeur. Il remplit ses sens de son souvenir. Ses lèvres remontent jusqu'à l'oreille de Chloé et il murmure :
— Bon voyage, mon ange.
THE END
Avec par ordre d'apparition à l'écran
Benoît Magemil : Mathéo
Audrey Toutau : Chloé
Cécile de Trance : Louise
Gérard Dupardieu : Mathieu
Catherine Frat : Catherine
Omar No : Pierre
Albert Depontel : Gabriel
Avec la participation de Banal + - Fronce Télévision - Urte Cinéma - TV7 Monde
Film adapté du roman "L'hypersensibilité de la laitue" de Garielle Atemo
Les lumières se rallument dans la salle. C'était la dernière séance avant fermeture définitive. Les gens se tortillent sur leur siège pour attraper leurs affaires. Des murmures brisent progressivement le silence. Tout en se rhabillant, les inconnus échangent des regards, des sourires. Ceux venus en groupe ou en couple laissent échapper quelques commentaires. Une jeune femme, moins discrète que les autres, s'étire et déclare à son ami :
« C'était vraiment un super film ! Si seulement tout cela pouvait être vrai... En même temps il suffirait de pas grand-chose. Ce qui est certain c'est que battre le pavé ne sert plus à rien... Demain, j'entame ma décroissance et je retire mon argent des banques ! »
Dans un ronronnement de ventilateur, le projecteur s'arrête. L'écran redevient blanc. Une dernière page se tourne, un livre se ferme. Ce vieux cinéma de quartier part au pilon. Il sera bientôt remplacé par un immense « click & collect », point de retrait géant de la e-distribution : un nouveau et révolutionnaire drive piéton.
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