One of those nights
Il y a des jours comme ça, on dirait des nuits. Comme si les rayons du soleil s’étaient taris. Il parait que le soleil il a des taches, lui aussi. J’imagine des taches de rousseur mais ça doit être différent. J’aime bien imaginer des choses comme ça, voyez, sans queues, ni têtes. Ce n’est pas qu’il fait plus sombre, ou plus froid, mais il plane dans l’atmosphère comme un filtre, quelque chose, qui met du bleu dans mon coeur et des flocons au bout de mes orteils, c’est étrange quand on y pense, ce sens particulier de la météorologie qu’ont mes doigts de pieds. C’était quelque chose du plomb, ce côté un peu triste vous savez, qu’on voudrait bien, tous, un peu alchimistes, changer en or. Mais non, rien n'y fait, le ciel reste de plomb sous les rameaux du soleil, ou de marbre, bleu, fissuré de nuages longs et blancs qu’on dirait de la pâte à pain qui s’étire et s’étale sous les doigts d’un boulanger invisible.
Moi, ces jours là, je regarde, je ne suis bon qu’à regarder, un peu vide. J’aime regarder, je ne sais pas, le temps filer, le monde passer, le ciel, le vide inremplissable du ciel, comme un miroir. Ces jours là, je voudrais seulement observer le monde, de loin. Ne plus me soucier de vivre. Je voudrais juste regarder les arbres se balancer dans le vent et la course du soleil. Je n’aurais plus à penser à l’heure du réveil, à mon prochain repas, à la solitude. Tout serait paisible, simple. Parfois je souris, la tête penchée, le sourire penché à contresens, et je ne bouge plus, je ne respire presque plus, mon sourire un peu penché, un peu lointain, fait une ancre avec laquelle je plonge, en apnée, au fond de rien, ou de moi, peut-être, au fond, quelle différence. Je suis bien, là, au fond de moi comme au fond d’un océan. L’océan c’est un peu pareil que la nuit, ou qu’une boîte fermée à clé, c’est mystérieux. Ces jours là, j’aimerais bien être comme l’océan, ou la nuit, ou une boîte pleine de secrets.
Ces jours là, qui sont des nuits, je les aime bien, malgré le plomb et les flocons qui mordent les orteils. Ils sont beaux. À leur manière. Ils ont cette splendeur désuete de fleur qui fane, de mouchoir agité ou de dernière page. Ces jours là, des pensées me viennent comme du café le long d’un sucre, par capillarité, je ne sais d’où, d’un fond de moi que j’ai oublié dans un coin. Ce sont de drôles de pensées. Par exemple je me dis que tout le monde sur cette terre a pleuré au moins une fois mais que certains, sans doute, n’ont jamais souri. Puis je trouve ça triste, mais c’est étrange, légèrement. Ce n’est pas une tristesse de l’intérieur, elle est pelliculaire, comme de la poussière sur un meuble, on dit c’est triste comme on dirait c’est sale, mais il suffit de souffler dessus pour que la poussière et la tristesse s’envolent. C’est important de comprendre que la tristesse peut s’envoler, parfois, et c’est important de souffler dessus, sinon elle s’installe et l’on dit, c’est triste, et l’on vous regarde comme un vieux meuble poussiéreux. Personne ne veut ça, je crois. Moi je ne veux pas, alors je souffle dessus, et je regarde les paillettes et les grains voler en apesanteur, comme des étoiles filantes. Je sais qu'ils finiront par retomber mais c'est loin, c'est flou, et leur danse est si belle.
Ces jours là, ces nuits là, au fond, je n’ai pas vraiment le bourdon. J’ai plutôt une abeille, récoltant le pollen de ma tristesse, distillant une douce mielancolie.
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