Coteless-1
Après le cuisant échec de la première sortie extravéhiculaire, tout l’équipage, désespéré, avait décidé d’aller se coucher. Un suppo et au lit, avait lâché Von Dutch. Fusillé du regard par les autres, Von Dutch avait vite compris qu’ils n’iraient quand même pas se coucher sans avoir graillé un bout. Ce soir là, Von Dutch prépara donc un bon gros koukous agrémenté d’une sauce à la kaleubasse. Et, enfin, tout le monde dormit.
Ayant réglé le réveil de son tube cryogénique une bonne heure avant tout le monde, Tipek fut réveillé sur le coup des 06h30 par un courant sinusoïdal déphasé lui traversant l’hypothalamus. Son tube chuinta un bon coup, manquant de réveiller tout le monde, puis s’ouvrit dans la noirceur de la zone de repos. Tipek se leva et, sur la pointe des pieds, se faufila dans le sas. Il chercha sa combi, qui traînait dans un coin, puis il fonça dans le compartiment des laveries. Là, il passa une bonne demi-heure à laver les traces de son lamentable échec de la veille. Le cleaner à nanopompes cradophiles toussota un peu en aspirant la merde, mais le nettoyage à sec par laser hydroponique lustra la combinaison comme au premier jour. Personne n’avait remarqué sa vautre… et maintenant plus personne n’en saura jamais rien, pensa Tipek en laissant échapper un bon gros « gniark gniark » bien de circonstance.
Le petit-déjeuner se composa essentiellement de gore-flakes à la banane reconstituée et de quelques burples décongeulés. Tout le monde mangea avec entrain, et Klebz ne fit même pas la gueule. Tipek était fier de son équipage, de le voir ainsi capable de se montrer plus fort que la louze. Brossard fut le premier à s’habiller, bien décidé à coller la branlée à quiconque se mettrait en travers de son chemin et de celui de l’Amérion. Klebz lui emboîta le pas, puis il passa quelques minutes à réparer les systèmes de ventilation tombés en rade. Il identifia rapidement le coupable : un petit transistor de type ‘toupouru’, bien connu pour sa durée de vie n’excédant pas les dix minutes et qui n’aurait jamais dû être installé dans des combinaisons destinées à un vaisseau comme l’Amérion. Klebz sortit sa caisse à outils, en sortit une bonne grosse clé à molette, et se mit au travail. En moins de deux, le matos fut comme neuf.
En descendant de la passerelle, Tipek grinçait des dents et serrait les fesses. Pas question de se prendre une branlée comme la veille. Lumi avait bricolé une mini hôte à transfert d’induction, censée générer un effet semblable au kagubu de Faraday, capable de protéger l’équipage pendant les réparations de l’Amérion. Klebz menait les opérations avec efficacité, poussant un « groumf » de ci, de là, indiquant les réparations à effectuer et expliquant les procédures qualité associées. L’air était atrocement électrique, irradiant une lueur bleu orangée. Bien à l’abri sous la hotte, il n’y avait aucun danger, mais Lumi expliqua que si l’on restait trop longtemps exposé aux rayons, on risquait d’être victime de l’effet kassoulé, comprendre : d’être cuit comme un œuf. Et il n’y avait que deux places sous la hotte. Tipek décida de laisser Klebz et Lumi réparer les avaries. Ils avaient l’air de gérer. Pendant ce temps, lui, Yababoua, Von Dutch et Brossard iraient inspecter les environs, bien à l’abri de l’abri dans la forêt dont l’aspect semi-conducteur semblait limiter les effets des rayons.
- Et Wall-ID mon capitaine ? s’enquit Von Dutch.
- On le réactivera au retour. Ça nous fera des vacances.
- Ah ? Bon.
Munis de tronçonneuses de poche à inverseurs multiphasés, les quatre hommes pénétrèrent la forêt et avancèrent à vive allure, taillant la zone avec entrain. Les arbres de la forêt s’avérèrent particulièrement cassants. Même les feuilles se pétaient comme des assiettes lorsque Klebz était de corvée vaisselle. Intrigué, Brossard brandit son scanner à télémètre multifonctions et entreprit de passer au crible la végétation. Celle-ci s’avéra être essentiellement constituée de borure de silicate. Comme personne n’était spécialement calé en chimie végétale, Tipek contacta Lumi par l’intercom.
- Tu t’y connais, en… borure de silicate ? demanda t-il.
- Pourquoi ?
- Ben, euh… la forêt semble faite de cette matière ! fit Brossard.
- Et j’imagine que les végétaux sont plutôt fragiles ? interrogea Lumi.
- Comment tu le sais ? s’étonna Yababoua.
- C’est normal. C’est dû à la structure cristalline à invariance d’échelle du borure de silicate. Les contraintes générées par les efforts transverses ne peuvent être compensées par les effets de couche limite, à viscosité nulle j’entends.
- Et alors ?
- C’est tout.
- Je vois, fit Tipek comme s’il avait compris le pourquoi du comment.
- Oui. C’est pour ça. Bon, maintenant, c’est pas que j’ai du boulot, mais les soudures à effet zig-zag sont rendues difficiles par toute cette activité électromagnétique, et je doute de pouvoir terminer la mise en kanban de…
Tipek avait coupé la communication. ‘commence à me lourder, celle-là, pensa t-il.
- Continuons, fit Tipek d’un air viril pour se donner un peu de contenance.
Et les quatre hommes de continuer de massacrer tous ces pauvres arbres, prenant un certain plaisir à les voir s’effondrer dans un nuage de poussière brillante. Une heure plus tard, ils arrivèrent dans une drôle de clairière. Il n’y avait plus un seul arbre, mais une douce pente concentrique, donnant sur… ben, c’était pas très clair. Tout ça ressemblait à une espèce de cratère, mais Tipek n’en était pas bien sûr. Au fond, il faisait tout noir et, pourtant, une étrange lueur semblait briller quelque part, en dessous. Brossard sortit instinctivement une corde de son barda et, avant que Tipek ait pu dire quoi que ce soit, les quatre hommes étaient reliés les uns aux autres par ladite corde via les points d’ancrage de la combinaison RJ-45.
Brossard marchait en tête – après tout, c’était lui qui avait eu cette idée de con. Les quatre hommes descendaient lentement dans le cratère, comme terrorisés par ce qu’ils allaient trouver au fond. La pente se faisait de plus en plus raide, et la surface de plus en plus glissante. Pour ne rien gâcher à l’affaire, une épaisse fumée sortait du fond du cratère, plongeant notre joyeuse équipée dans un brouillard plus épais qu’une sauce à la Von Dutch. Tipek marchait précautionneusement, pas question de se boîter comme la veille. Mais ce fut Yababoua qui chuta. Glissant sur on ne sait quoi, Yababoua dérapa. Et là, l’intérêt de la corde qui reliait nos quatre gugusses fut des plus limités. En temps normal, ladite corde permet aux hommes restés maîtres de la situation de rattraper celui qui s’est brêlé. Manque de bol, Yababoua s’étala tellement comme une grosse merde, et le terrain était tellement glissant, que l’effet de la corde s’en trouva douloureusement inversé. Au lieu d’être stoppé par ses camarades, Yababoua entraîna tout le monde avec lui. La chute fut longue, pas tout à fait dénuée de fun, ponctuée d’une avalanche de « merd’merd’merd’merde ! » et autres « putain, ‘chier » non sans oublier un long « ‘cheeeeeeeeeccc !!! ».
Quelques instants glissants plus tard, les quatre bougres débouchèrent dans une salle de grandes dimensions (environ) par le plafond percé en son centre, et tombèrent d’une dizaine de mètres jusqu’au sol recouvert d’une épaisse couche de boue. Leurs armures à rigidité variable se durcirent afin d’absorber la violence de l’impact, puis reprirent leur souplesse initiale. De bonnes combardes, ça, au moins, pensa Brossard, bougon. Le plafond de l’exotique caverne était ponctué d’innombrables champignons bioluminescents qui conféraient au tout une ambiance un peu lounge à base de lumière feutrée et pulsante, de couleur variable. Pour un peu on aurait commandé un mojito au taulier, si taulier il y avait eu. L’ensemble du sol de la caverne n’était pas sans rappeler les antiques légendes des Abaures du Laukvhal, habité par l’infâme Canditaure (cf. Les très riches heures du chasseur Röh-Lan, des mêmes auteurs). Il était couvert d’une couche de boue à l’exception des côtés qui, constitués d’espèce de rives en roche, offraient au voyageur fatigué un halte hospitalière. Quelques bulles perçaient de temps à autre la surface en un gros chloupk glaireux qui laissait échapper une fumée verdâtre. Klebz aurait beaucoup apprécié, pensa instantanément Tipek.
- Capitaine, venez voir !
Yababoua, à quelques mètres de là, contemplait la surface de boue d’un œil attentif. Une sorte de protubérance se formait peu à peu dans la vase, d’environ trente centimètres de diamètre et cinquante de hauteur. Les quatre militaires armèrent leurs fusils Dassault comme un seul homme, et attendirent la suite. Cela prenait forme… Une forme vaguement humanoïde se dessina jusqu’à atteindre la taille des voyageurs égarés. Celle de Yababoua, plus précisément. Des traits plus nets marquaient désormais la forme, et Hal ne put retenir une exclamation.
- Mais c’est moi !
Et en effet, c’était lui. La fange infecte dans laquelle ils barbotaient avait laissé pousser à sa surface une excroissance qui désormais ressemblait comme deux gouttes de limon à Hal.
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