Guéguerre
Tipek se redressa, et scruta le laboratoire. Sur les plans de travail maculés de sang gisaient encore quelques spécimens de gognols disséqués, et les écrans de contrôle intégrés aux murs n’affichaient rien d’autre que des « syntax error » bien peu engageants.
- Lumi ?
- Capitaine ?
- Est-ce que vous avez les codes d'accès à la centrale de regardage de CRETAION ?
- Oui capitaine, vous y avez accès normalement.
Tipek tapota quelques commandes sous le regard circonspect de ses équipiers, puis transmis les données au HUD de chaque baukval. Klebz, Hal et les autres virent alors un plan s'afficher devant leurs yeux, sur lequel figuraient sept points verts regroupés dans une pièce.
- Très bien, déclara Tipek. On passe en 887-2 au transpondeur, communications cryptées par protocole Kadeunah.
- Pourquoi cela, capitaine ? questionna Klebz, détendu.
- Klebz, vous avez entendu comme moi les révélations post-mortem du tas de viande froide, dit Tipek en désignant le cadavre du laborantin. On a eu de la chance de s'en tirer jusqu'ici, mais les aliens nous ont sûrement déjà repérés. Passez donc en mode tactique sur votre HUD.
Klebz et les autres s'exécutèrent, et ils virent plusieurs points rouges qui se dirigeaient vers eux. Il ne leur restait plus que quelques minutes avant l'assaut. En bons militaires, personne ne céda à la panique, sauf Skofüld qui, rappelons-le, était plutôt indigène que troufion. Klebz le rattrapa de justesse par la combarde alors qu'il tentait de fuir. Un bon coup sur le baukval ramena Maïkeule à la raison, et Tipek put donner les ordres nécessaires afin de parer à l'impact alien VS explorateurs.
- Von Dutch ! Brossard ! De part et d'autre de la porte !
- Héé mais il va me cramer la tronche avec son soleil portable, capitaine !
- Mais non mais non. Klebz, Lumi, vous restez en retrait et vous protégez Skofüld, qu'il n'aille pas nous casser les roustons en plein combat ! Hal, avec moi, on se place en façade et on dégomme tout. Si on laisse repartir un seul alien de ce groupe d'éclaireurs, on aura tout l'essaim sur le dos. Et avoir l'essaim sur le dos, ça m'emballe pas, ajouta-t-il en jetant furtivement un regard en coin à Lumi.
Il fallut auparavant barricader soigneusement les lieux, notamment au niveau porte. Les parois vitrées qui séparaient le couloir du laboratoire étaient en transparostafa treize points, et résisteraient probablement à de violents coups. Mais la porte, uniquement conçue pour étanchéifier la pièce, n'offriraient qu'une maigre protection. Encore un truc bricolé par un stagiaire, maugréa Tipek. Chacun prit son poste, et un silence de mort s'abattit sur le local, éclairé par les capricieux néons du couloir. Déjà, les cris des bestiaux se faisaient entendre, au loin dans les couloirs sombres de la station abandonnée. Tipek envoya un SMS à Wall-ID afin qu'il enclenche, une fois de plus, la procédure de repli d'urgence, en précisant bien qu'il ne faudrait l'initier qu'une fois l'ensemble des membres à bord. Avec ce couillon de robot, il fallait toujours s'attendre au pire. Soudain, un choc terrible ébranla les murs en titane de carbone de la pièce. Un feulement aigu transperça les oreilles des embusqués. Tipek agrippa fermement son blaster à ondes transversales périodiques, et regarda Klebz. Visiblement, le mécanicien ne stressait pas trop. Il protégeait de son imposante personne le demi-assommé Skofüld, et regardait tout de même avec attention la porte soumise aux assauts répétés d'un alien visiblement vexé de n'être pas autorisé à carnager comme il l'entendait. Lumi, quant à elle, n'en menait pas large : elle redoutait l'instant où la porte céderait, ce qui est assez logique, finalement. Et comme pour confirmer ses craintes, la fameuse double-porte, l'ultime double-porte céda. En craquant. Un silence de mort succéda à ce craquement, globalement personne ne savait trop à quoi s'attendre. Tipek se doutait qu'il n'y aurait pas trop de bestiaux, mais il ne savait en revanche pas du tout à quoi ils allaient se mesurer. La bio-toxine avait peut-être radicalement transformé l'essaim...
Plusieurs paires d'yeux réfléchissaient furtivement la lumière dans l'encadrement de la porte, lorsque Brossard réagit enfin. Il pivota de manière à ne pas trop esquinter Von Dutch, et canarda les sanguinaires créatures. Tipek ouvrit le feu lui aussi, bientôt suivit du reste de l'équipage embusqué. Une charge au grauzarh remplit la pièce d'une lueur aveuglante l'espace d'une seconde, et les visières bio-variables des baukval s'opacifièrent afin de protéger les yeux de l'équipage de l'Amérion. Tipek put toutefois compter sept aliens, dont deux avaient l'air sérieusement amoché. Von Dutch était aux prises avec le plus gros d'entre eux, et manifestement le combat dans l'obscurité n'était pas à leur avantage, malgré les caméras thermiques intégrées à leurs casques. Les aliens étant apparemment des bêtes à sang froid (mais peut-être n'avaient-elles tout simplement aucun fluide vital) lesdites caméras ne servaient finalement pas à grand chose. Klebz envoya un gros meuble à roulette dans une direction où ça meuglait, et fit mouche. Un de moins, s'exclama-t-il joyeusement. Brossard, qui venait apparemment de descendre son troisième alien, entama le rechargement de son lance-flamme, puis se ravisa. Il sortit un couteau long comme une queue de fleubl'h'bl, et décida de finir le gros qui attaquait le baukval de Von Dutch, d'après les cris et autres appels au secours de ce dernier. Tipek lança une fusée éclairante qui alla directement s'encastrer dans le faux-plafond du laboratoire. Il vit que personne n'avait souffert de l'assaut, relativement bien contenu, se félicita-t-il. Brossard avait sauté sur les épaules du dernier alien et visiblement n'arrivait pas à trouver de faille dans la carapace du gredin, qui braillait tant qu'il pouvait. Le capitaine stoppa net Klebz qui s'approchait du dernier bestiau avec une clef à molette de la taille d'un jambon à l'os.
- Plus un pas, Klebz. Vous risqueriez d'amocher Brossard.
- Et alors ? plaisanta ce dernier.
- Klebz !
- Oui bon...
Brossard finit toutefois par couper l'agresseur en deux d'un coup de machette bien placé, soulageant par là-même ses compagnons.
- Bon, on ne traîne pas dans les parages, les autres ne vont pas tarder et ils ne seront pas de la même trempe, croyez-en mon expérience, affirma Tipek. C'est par où la sortie, Lumi ? Que... Mais qu'est-ce que c'est que ce truc-là encore ?
Au coin de la porte, escaladant les gravats, une espèce de bête sautillait de parpaing en cadavre. Haute d'un mètre vingt environ, le robot – car il s'agissait d'une machine, de toute évidence – possédait quatre pattes articulées et assurait son équilibre en étant constamment en mouvement, un peu à la manière d'un... En fait cet étrange droïde ne ressemblait pas à grand chose, mais avait l'air étonnamment ridicule. Klebz s'approcha prudemment du curieux montage, et le poussa violemment du pied. Le droïde tangua violemment, manqua de se boîter contre un meuble mais se rattrapa finalement.
- Huhuhu c'est marrant ce truc, rigola-t-il.
- Hal, passez-moi ce truc au scan, ordonna Tipek.
Quelques tülülüt plus tard, Hal affichait sur son HUD l'ensemble des caractéristiques de ce bidule.
- Pas d'armement offensif, capitaine. Apparemment cet engin est l'équivalent de Wall-ID pour CRETAION-1, d'après les relevés radios d'entrées/sorties. Par contre au niveau communication, c'est pas brillant. Il ne sait pas parler, et ça m'étonnerait qu'on puisse lui transmettre de l'information non compilée. En revanche le système de codage est connu, d'ailleurs c'est un standard. Ce qui est plus intéressant c'est son système de pattes. Sûrement un prototype.
- Capitaine, qu'est-ce qu'on fait ? demanda Lumi. Je vous rappelle qu'on n'a pas beaucoup de temps avant l'arrivée du gros de l'essaim.
- On plie bagage.
Chacun remballa ses petites affaires, Klebz releva Skofüld et l'équipage se dirigea vers la sortie de la station, ou plus exactement vers l'Amérion. Quelques mètres plus loin, Hal broadcasta :
- Heu le bidule nous suit, là. Il missionne un peu mais il tient l'allure.
- On peut le garder, capitaine ? Je veux dire ce pauvre petit droïde sans défenses, on ne va pas le livrer aux extra-solaires, tout de même? demanda Lumi.
- Bon écoutez, on a déjà ramassé un indigène en route, on en va pas accueillir tous les paumés du cosmos, non ?
- Merci pour l'indigène, railla Maïkeule.
- Moi je propose qu'on fasse rien et qu'on voit s'il arrive jusqu'à l'Amérion. De toutes façons ce n'est ni le lieu ni l'endroit pour parler de ça. On pourra toujours l'éjecter par un sas, proposa l'intendant.
Tout le monde se regarda, interdit devant la justesse de la remarque.
- Von Dutch, vous allez bien ? questionna Tipek.
- Heu bin heu je... répliqua celui-ci du tac au tac.
- Bon bref. Vendu, on verra à bord. Pour le moment on reprend la marche. Hal, prévenez Wall-ID, tiens, pendant que vous y êtes.
Le petit groupe se remit en marche, mais, quelques instants plus tard...
- Hé mais j'y pense ! fit Klebz.
- Quoi encore ? soupira le capitaine.
- Ah euh non, non non rien, pardon.
- Grmblbl... Le prochain qui nous oblige à stopper la marche, il va voir de quel plastique je me chauffe.
Cet avertissement eût l'effet escompté, vu que le seul à stopper la marche fut un éclaireur extra-solaire égaré dans un couloir. Il fut accueilli à coups de bottes dans la tronche, et ne demanda pas son reste. Un grondement sourd agita toutefois la carcasse de la station, accompagné d'un violent vent qui entraîna dans son souffle toute une variété de trucs, du tabouret de laboratoire aux rations déshydratées périmées en passant par des bouts de cadavres.
- Pas de panique, cria Brossard dans l'intercom. J'ai piégé le laboratoire avec des charges à fusion confinée. L'essaim vient de prendre une bonne fessée !
- Et vous avez percé la coque de la station, dans la foulée, c'est ça? hurla le capitaine.
- Euh... Peut-être !
- Brossard t'es vraiment qu'un bourrin ! dit Klebz en se marrant.
Tipek ne put que soupirer une fois de plus devant l'état d'esprit de son équipage. Mais il valait mieux ça qu'une troupe de neurasthéniques, se dit-il. Le courant d'air se calma peu à peu, coupé par les portes anti-souffle qui descendirent avec fracas, jusqu'à permettre au groupe d'aventuriers de continuer la marche. Arrivés au niveau du sas reliant l'Amérion à la baie d'amarrage, ils constatèrent que le finalement sympathique quadrupède suivait toujours. Tipek déclencha donc l'ouverture de l'iris de protection, et l'équipage put regagner le vaisseau, non sans une décontamination minutieuse d'à peu près tout, quadrupède inclus.
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