Epave
Passé les premiers instants d’émoi, chacun retrouva un air grave : ok, ils avaient retrouvé leur vaisseau, et celui-ci n’était pas totalement détruit. Il n’empêche qu’il faisait quand même grave la gueule, tout tordu de partout, éventré comme un tutube à essai depuis le niveau 4B jusqu’à la passerelle du personnel. La coque était vrillée, fumante, et déversait tout un tas de liquide et autres gaz par ses canalisations tranchées. Si, quelques minutes auparavant, Koostau caressait encore l’espoir de revoguer un jour sur sa Kalüpsauh, il ne se faisait maintenant plus d’illusions. Le regard sombre, il fit signe à Pulup d’évaluer les dégâts, comme si un diagnostic approfondi pouvait encore révéler une infime chance pour le vaisseau.
Pulup sortit son périgrauscope, et entreprit un scan en fausses couleurs de la structure. Il demanda au semiprocesseur intégré à ses jumelles de cartographier les contraintes, actuelles et résiduelles, auxquelles était soumise la structure de la Kalüpsauh. Le verdict était létal : vrillée par des contraintes de plasticité non conciliantes, ainsi que de dislocations coins avec préméditation, la Kalüpsauh n’était officiellement que l’ombre d’elle-même.
A cet instant, toutes les pensées des rescapés du vaisseau se cristallisèrent sur un seul être, un petit robot autonome qui n’avait vraiment pas intérêt à la ramener de sitôt.
Mais Koostau était déjà passé à autre chose : son unique priorité désormais, c’était de rallier la zone de confinement cryogénisé dans la soute du vaisseau, où soixante-dix mille de ses compatriotes étaient peut-être morts… ou vivants. Koostau ne put s’empêcher de penser que des êtres inférieurs se serait forcément remémorés le célèbre paradoxe du chat de Schrödinger, mais la technologie finfonienne avait triomphé de la physique quantique depuis un bon bout de temps déjà.
Koostau fit signe à son équipe de pénétrer dans le vaisseau par la première brèche pratiquable, et d’activer au plus vite les processus d’assistance aux victimes et de réveil d’urgence. L’Amiral avait là une nouvelle bataille à mener, la plus importante de sa carrière : sauver tout un peuple. Son peuple.
- GO GO GO !!! hurla Grauzart en se ruant vers le vaisseau.
En bon techniciens, lui et Pulup repérèrent très vite un point d’accès au vaisseau : la fissure sous le hublot sud-ouest semblait la meilleure option. Consolidée par des jets de plasmousses à haut rendement, la brèche fut rapidement sécurisée.
Chacun alluma sa biotorche et Steinbock demanda l’application immédiate de la procédure d’extraction de victimes en milieu hostile.
Tipek, tout en regagnant la passerelle de commandement de l'Amérion, réfléchissait aux évènements des dernières vingt-quatre heures. Qui aurait pu prédire que Skofüld trouverait une solution là où Lumi, Klebz et même Hal avaient échoué ? La réparation de l'Introducton était un miracle, un véritable miracle. En revanche, dès qu'il y avait une sottise à faire, Wall-ID n'était jamais loin, et le cataclysmique boîtage de la Kalüpsauh avait fait les frais de la créativité débridée du petit robot. Tipek se sentit tout à coup détaché de tout ça, comme... éloigné. La soudaine perspective de retourner sur Terre donnait un sens dérisoire à chacune des préoccupations auxquelles les membres de l'équipage s'étaient habitués. Trouver de la nourriture pour plusieurs mois, ou évaluer leurs chances de tomber sur une planète colonisée, tout cela était éclipsé par ce formidable espoir né de l'intuition de Maïkeule. À leur retour sur Terre, il obtiendrait probablement les honneurs de la Cellule. Une pensée frappa le capitaine Tipek. Le silence de la Terre restait encore et toujours une énigme... Et puis cette mission qui les avait emmenés si loin de chez eux, quel en était le but ? Tipek s'assit sur une caisse à Outz déposée par Klebz quelques instants auparavant. Une sonnerie le tira de ses rêveries.
- *ksshhhhh* Koostau à Tipek, Koostau à Tipek.
- Ici Tipek, parlez Koostau.
- Nous avons retrouvé le bâtiment, il est trop endommagé pour de quelconques réparations, nous avons donc entamé une procédure de décongélation à base de micro-ondes, l'ancienne, quoi. De votre côté, quoi de neuf ?
- Euh... hésita Tipek en voyant Klebz et Lumi fêter la réparation de l'Introducton. Nous... étudions certains aspects des paramètres de navigation de l'Amérion en vue d'une possible retour chez nous, Amiral.
- Ah... Bon, je reviens vers vous avec Grauzart qui de toutes façons ne sert à rien ici.
Tipek raccrocha comme il entendait Koostau brailler des ordres à l'attention de son bourrin de subalterne. Il héla Hal au loin :
- Hal, avez-vous détecté une quelconque vie pensante sur cette planète, avec vos supers antennes, là ?
- Euh pas vraiment, Capitaine, enfin rien de vivant. Il y a certaines traces énergétiques résiduelles intéressantes à quelques kilomètres au sud d'ici, enfin sauf qu'il n'y a pas vraiment de sud sur cette planète vous comprenez capitaine ? Je veux dire si l'on part du principe que – et je parle là au sens littéral du terme – le haut et le bas ne sont que des notions *extensives*, et bien...
- Non euh bon bref. Allez voir, coupa Tipek qui finalement était bien content de rentrer prochainement sur Terre. Tenez, allez-y avec Klebz, qui doit pas être loin, et voyez si il y a quelque chose d'intéressant. Après tout, nous aurons peut-être un truc à ramener sur Terre ! acheva-t-il d'un ton badin.
Hal fut un peu pris de court après cet ordre : Tipek n'était pas trop du genre badin, d'habitude. Le retour sur Terre semblait avoir des effets secondaires imprévus, ou tout du moins mettait du baume au cœur à l'équipage. Même lui, l'imperturbable Hal Yababoua, même lui se sentait comme guilleret, tout excité à l'idée de raconter ses aventures à ses élèves, dès son prochain cours de physique des éléments mal finis à l'Université de Poskak'a. Il retrouva Klebz dans le hangar D de l'Amérion, où ils armèrent deux patrouilleurs en vue d'une exploration des alentours. Brossard passa en courant derrière Wall-ID dans un couloir en faisant klong klong de ses bottes ferrées sur les grilles du sol. Les deux explorateurs se regardèrent, puis reprirent leur activité. Hal enclencha la phase d'allumage et.. rien. Allons bon, pensa-t-il.
- Euh Klebz, que se passe-t-il avec ces foutus engins ? Ont-ils souffert pendant le crash ?
- Lequel ? rétorqua ce dernier, amusé.
Le mécanichien fit un rapide tour d'inspection du patrouilleur de Hal, fila deux ou trois coups de pompe dans l'engin qui finalement démarra. Hal et lui échangèrent un deuxième regard interdit. Une fois de plus, l'homme triomphait sur la machine mais... sans savoir pourquoi. Ils décollèrent en trombe sous les regards de Lumi et de Skofüld qui venaient de terminer les ultimes réglages sur la structure propre de l'Introducton.
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