VII. 8h24

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 Un parc pour enfants jonché de vieilles colonnes d'acier à moitié érodé. Est-ce que c’est bien là

 Depuis l’extrémité de la rue, une Poleïka à vitres teintées s’approche de ma direction, avant de s’arrêter à mon niveau. La vitre du côté passager se baisse et révèle le sourire de Xiǎo Tào.

“Je suis vraiment content que vous soyez venue ! Montez, on va s’installer un peu plus loin pour les préparatifs.”

 La voiture fait le tour du parc avant d’emprunter une ruelle et de s’arrêter devant un magasin abandonné.

“Bien, si vous pouvez rester à l’extérieur un instant, pendant que j’installe le matériel…”

 Je profite de l’attente pour observer l’intérieur du magasin depuis la vitrine. De petits androïdes pour enfants, des étagères remplies de boîtes de jeux virtuels, et des peluches sont recouverts d’un mince duvet de poussière. Depuis combien d’années ces objets attendent vainement un propriétaire ?

“Vous pouvez monter !” s'exclame Xiǎo Tào.

 Sur la banquette arrière, une panoplie de boîtiers électroniques a été disposée au milieu d’une jungle de fils multicolores.

“Le système est relativement simple. Vous voyez, ce petit tube de crème ? Je vais m’en étaler sur le bras, et, après, vous aller me piquer avec la seringue.

— Xiǎo Tào ?? Vous avez perdu la tête ?

— Je vous assure que ce n’est pas ce que vous croyez, haha !

— Il faut dire que vous avez choisi l’un des seuls endroits abandonnés de toute la ville pour me demander ça… il y a de quoi être sceptique.

— Pas le moins du monde ! C’est un nouveau dispositif de transmission intra-cutané, développé par une firme arabe. Vous saviez que certaines armées en étaient déjà équipées ? Je l’ai appris lorsqu’on me l’a remis.

— Vous allez vous… injecter une puce ?

— En gros, c’est ça. Les avantages sont énormes : à moins que les shouddhs ne décident de me charcuter avant l’entretien, aucun risque qu’ils ne la découvrent ! Et, comme c’est alimenté avec la chaleur corporelle, le seul moyen qu’elle tombe en panne, ce serait de… (il tord son cou, se met à tirer la langue et ferme les yeux) Haha !

— Ce n’est pas vraiment drôle…

— Pour moi, ça l’est ! Donc, le système, comme je disais, est très simple, vous allez embarquer cette petite manette et des écouteurs, et aller faire un tour. Moi, je dois rester ici, pour m’assurer que l’injection ne pose pas de problème.

— Vous êtes sûr que vous ne risquez rien ? Vraiment ?

— Sûr à 96 %. C’est ce que m’a dit l'inspecteur-général.

— Et les 4 % restants, c’est pour quoi ?

— Nausées, tremblements, urticaire…

— … et ?

— Bon, ça représente un cas sur un million, mais il y a une possibilité de… enfin, que le dispositif n’ait plus accès à votre chaleur, si vous voyez ce que je veux dire.

— Je vous conseille de prier avant de l’injecter, dans ce cas. J’espère vraiment que ça n’arrivera pas.

— Une chance sur plus d’un million ! Si je cane à cause de ça, alors je vous autorise à aller jouer un ticket de loto à mon nom après ma mort.

— Ce n’est vraiment pas drôle !

— Pardon, pardon. Bon, vous me le mettez dans le bras ?”

 Xiǎo Tào dévisse le capuchon de la crème anesthésiante, révèle son bras droit, aussi bien taillé que s’il était sorti de l’atelier d’un artisan-sculpteur, et le badigeonne avec la même générosité qu'un européen et sa crème solaire en plein mois d'août.

“C’est malin, à vous en mettre partout comme ça, vous n’allez plus être capable de bouger du tout.

— Mais non, voyons, tout ira pour le mieux. Vous êtes trop inquiète, Jiēshòu. Tenez, vous voyez ce petit sachet plastique ? Enfilez une paire de gants et attrapez l’étiquette sur le côté.”

 L’appareil dégage une odeur de pus. Il me rappelle l’araignée mécanique qui traînait dans le placard, une paire de pattes en moins. Il me semble qu’il fait quasiment la même taille.

“Parfait, faites-moi un garrot avec l’élastique en-dessous du sachet.”

 Je m’exécute, et, bientôt, une veine sur le biceps de Xiǎo Tào se met à tripler de volume. Le sang à l’intérieur palpite contre la paroi de sa peau. Je récupère la seringue, dépose la bestiole à l’intérieur d’un liquide visqueux et transparent, avant d’approcher l’aiguille de sa veine.

“Pourquoi est-ce que vous fermez les yeux ?

— Je… je préfère, ça m’évite de sentir la douleur, bredouille Xiǎo Tào.

— Petite nature…

— Aïe ! Aïe ! Mais, Grands Sages, allez-y doucement !

— Je n’ai même pas introduit l’aiguille.

— Ha ! Eh bien, faites vite, alors.”

 Il laisse s’échapper un cri strident au moment où j’introduis le bout de fer à l’intérieur de sa peau. L’espèce de parasite s’approche dangereusement de sa veine : j’ai envie d’arrêter l’injection, mais il se faufile à l'intérieur avant que je n’aie le temps de réagir. J’aperçois sa silhouette se dessiner à la surface de la peau, avant de disparaître dans le corps de Xiǎo Tào.

“Donnez-moi une lingette coagulante, s’il vous plaît. Dans la boîte en arabe, là.”

 Xiǎo Tào passe le tissu sur sa veine, et, bientôt, le sang cesse de couler. Il attrape deux électrodes avec son bras encore réveillé et les accroche à ses cervicales.

“Comment vous vous sentez ?

— Eh bien, pour dire la vérité, je ne sens rien du tout. C’est perturbant… En tout cas, le tracker de santé ne détecte aucune anomalie. Vous pouvez aller faire un tour avec le casque et me dire ce que vous entendez. Quand le signal aura disparu, il vous suffira d’appuyer sur le bouton rouge au-dessus de la molette. Sachez que je n’ai pas choisi cette rue au hasard : non seulement on y sera à l'abri des regards, mais elle mesure exactement 600 mètres, soit la portée du signal d’après le fabricant. Avant d'aller à l'entretien, je garerai la voiture sur le parking d’une supérette à proximité de l’Office. La portée devrait être plus que suffisante pour ne rater aucune miette de l’entretien.

— De l’interrogatoire, hm ?

— Vous voilà encore avec ça, hein ? Appelons-le comme vous le souhaitez, l’important est qu’on en garde une trace. Si vous êtes prête…

— Je le suis.”

***


“Les chaussettes de l’archiduchesse sont-elles sèches ?

— Sérieusement, Xiǎo Tào ? C’est ça que vous allez me répéter pendant vingt minutes ?

— Il fallait bien en choisir une, de phrase, non ?

— Oui, mais vous auriez pu, je ne sais pas, moi, réciter de la poésie ou quelque chose d’un minimum intéressant.

— Je n’y connais rien en poésie.

— Alors il me faudra vous faire votre éducation à ce sujet.

— Avec plaisir ! Les chaussettes de l’archiduchesse sont-elles…

— Je n’ai même pas eu le temps de faire cinq pas.

— Je sais, c’était pour vous embêter ! Sinon, que pensez-vous de la qualité de l’audio ?

— Elle est… excellente. C’est très perturbant de se dire que vous n’êtes pas la micro-tablette collée à l’oreille.

— Parfait, dans ce cas, vous pouvez continuer.”

 Je revois le petit parc, et profite de ce moment pour observer plus en détails l'espèce de cage d'acier qui trône en son milieu. Une balançoire a été installée en-dessous d’une arche sur laquelle sont gravés de dizaines de noms d’adolescents, de numéros de téléphone certainement disparus, et de blagues sexuelles.

“Les chaussettes de…

— Je vous entends toujours.

— Ok !”

 Une fontaine reconvertie en piscine à balles. J’aperçois une vieille femme sur son balcon, l’air surpris de croiser une visiteuse dans le quartier. Le manque de vie en moins, il aurait de quoi me rappeler le village. Ça me fait du bien de voir un peu de délabrement, j'ai l'impression que ça rend son Humanité à cette ville.

“Les chaussettes…

— Toujours bon.”

 J’arrive assez vite au bout de la rue, à une intersection ou quelques rares voitures défilent. De loin, j’aperçois le haut de l’énorme fresque statique qui orne la devanture de l’Office des Shouddhs.

“Les chaussettes de l’archiduchesse…

— Sont toujours bien sèches.

— Eh bien, il semblerait que la portée aille même un peu au-delà de ce qui est écrit. Continuez jusqu’à la papeterie sur le trottoir gauche.”

 Un enfant accompagné par sa mère jette un œil jaloux sur la manette. Bientôt, la façade de Crayons d'Orient apparaît.

“Le…..ssette…rchi…

— Ça commence à couper.

— …cent mètres…vrai…yable !”

***

“Vous vous rendez compte ? Sept cent cinquante mètres ! Avec ça, aucun doute, tout se passera pour le mieux.

— J’avoue que je suis bluffée.

— Bon, ça va être l’heure du rendez-vous. Installez-vous ici, jetez de temps en temps un œil à mes signes vitaux ; on ne sait jamais. J’ai déjà lancé l’enregistreur, vous n’aurez rien à faire.

— Xiǎo Tào ?

— Qu’y a-t-il ?

— Je me demandais, la puce, comment est-ce que vous comptez la sortir, après l’entretien ?

— Elle peut passer par l’estomac et finir dans les intestins si on le lui ordonne. Après ça, restera plus qu’à attendre la fin d’un gros repas.

— Je crois que je préfère ne pas en savoir plus. Bon courage pour l’inte… l’entretien.”

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