La jeune femme du trottoir
07:45 - “SALETÉS DE GOSSES POURRIES GÂTÉES !!!
Hors de ma vue petites malpropres !!! Qu’est-ce que vos parents ont bien pu faire au bon Dieu pour hériter de ça.”
Hope sortit en trombe de la communauté et la voilà qui se retrouvait à faire un 40km/h à pied sans même savoir où aller.
L’une des gosses sur laquelle le vieux Benoît venait d’aboyer était en réalité une jeune femme prêt de la trentaine. Et à cette heure-là, elle devrait se trouver devant son petit dejeuner prête à faire la prière du matin ou dans le pire des cas, devant sa chambre, donnant une nouvelle excuse à son retard et aux cernes qu’elle avait sous les yeux, à Marie-Anne, la femme de Benoit.
Au lieu de ça, Hope se retrouvait dans une course effrénée, son esprit embué d'innombrables pensées sur l’avenir qui l'attendait après ce qu’elle venait d’oser faire.
Au commencement des années 80, les parents de Hope avaient erré ici et là livrés à eux-même depuis la période hippie qui avait emporté les leurs.
Pour échapper à ce mode de vie baba cool un peu trop minimaliste et contestataire à leur goût, Benoit et Marie-Anne avaient créé un petit groupe de survie voulant garder une même philosophie générale mais dans un cadre plus sécuritaire et organisé.
Seulement d’années en années, le groupe s'aggrandissant, les règles de vie n’en devinrent que plus étroites. C’est ainsi que les parents de la jeune femme avaient été recuillis par ce couple, pour rejoindre ce qui s’apparentait aujourd'hui à une communauté presque religieuse. Hope avait donc vu le jour dans cette communauté à présent très conservatrice.
La jeune femme fixait chacun de ses pas de ces grands yeux bleu azurés.
Cela faisait déjà un moment qu’elle marchait d’un pas assuré sans toujours savoir où aller. Elle s’arrêta à hauteur d’un arbre. Sans prendre la peine de le remarquer, ressentant distinctement la chaleur qui s’en dégageait de tout son côté, paupières reposées, elle dirigea le visage vers le ciel et entreprit d’apprécier la tiédeur de l’air emprunté à l’été. Ce mois d’automne était aussi agréable que l'onctuosité d’un fondant au chocolat dont elle ne se souvenait même pas de la saveur. La douce haleine de la brise marqua ses lèvres d’un sourire.
À cet instant, Hope oublia presque pourquoi elle était sortie aussi précipitamment.
En dialogue avec elle-même et en parfaite union avec l'atmosphère, Hope ne s’était pas senti aussi bien que depuis qu’elle pouvait profiter gracieusement de cette minute accordée...
Minute durant laquelle elle ne faisait plus qu’un avec les éléments de son univers. Enfin, son univers à elle et à personne d’autre. Presque en sortie de corps, elle se demandait comment l'Être humain pouvait passer d’un état d’esprit à son opposé en un lapse de temps aussi réduit, sans perdre le fil de la temporalité.
D’un soudain éclaircie, son attention fut attirée, magnétisée par quelque chose au loin.
Ce quelque chose semblait avoir une âme. Alors la jeune femme ouvrit subitement les yeux et son regard se porta naturellement vers…
Visiblement vers une autre femme assise en tailleurs à quelques vingtaine de mètre de là, sur le trottoir d’en face.
"Oh nooon, ça y est, ça recommence…”
L’harmonie de ses mouvements la rendait fascinante et son aura n’en était que plus lumineuse.
Elle procurait le sentiment d’une fragilité éphémère et d’une sécurité peu fiable et pourtant si réconfortante. Hope s’en délectait.
Presque coopérative, la femme du trottoir dirigea son regard absent vers Hope sans la remarquer. Elle avait un teint pâle semblable à la neige; de longs cheveux marrons rassemblés en un fragile chignon tressé en couronne. Vêtus d’habits noirs-bordeaux, ses collants laissaient entrevoir sa chair rosée par la fraîcheur de la nuit passée et ses bouts de manches noires, déchirés, laissaient timidement dépasser des mains raffinées, bien vernis roulant ce qui semblait être une cigarette parfumée. Elle glissa l’objet entre ses lèvres à peine charnues, passant sa langue d’un geste délicatement assuré le long de la feuille et fit tournoyer son Zippo d’une main experte avant d’allumer son joint. Hope la contempla savourer son moment d’extase comme l’on contemple un paysage diffus. Pour la seconde fois, le temps s’arrêta mais cette fois-ci, pour les deux jeunes femmes.
“Sublime créature, qui es-tu ? Recherches-tu la sécurité de la solitude ou est-ce la solitude qui t'abuse ? Tu es le fin contraste entre ce trottoir souillé par les restes de nos vies et la fade saveur élisant domicile dans la mienne. Ton allure en apparence inadéquate à ce par terre, rend ton attitude encore plus sophistiquée. D'où viens-tu ? Que t’est-il arrivé ?
La jeune fille du trottoir est cette femme que je t’imagine, d’une famille non sans grands moyens.
Tantôt mignotée tantôt fainéante de ses aptitudes originelles, elle règne sur une fratrie de trois, est la préférée de son père et la jeunesse aguerri et rebelle de sa mère. Une douceur dangereuse. Une douceur feinte de stratégie dont j’aimerais faire ma parfaite symbiose; mon double finaud compensant cette naïve bonhomie qu’il me faudrait bazarder à tout jamais.
Sublime créature, reste-là, ne te détourne pas de ce portrait, je viens à toi...laisse moi entrer”
Non sans courage et dans la continuité des prouesses du jour, Hope alla se présenter à la jeune femme du trottoir.
Cloîtrée devant elle, Hope se trouvait en territoire inconnu. Ne sachant comment aborder la chose, elle se rendit compte du réel désastre de sa vie. Du vide qui était en elle depuis si longtemps.
Sa vie n’avait été que mécaniques, rituels, obéissance, exécutions et vide absolu.
Sans même songer aux conséquences de son acte Hope se lança :
-“Tu me fais voyager avec toi ?”
- “Je me demandais quand est-ce que tu allais enfin oser te lancer”
lui répondit-elle en tendant l’objet.
Sa famille ne lui pardonnerait jamais cet énième écart de conduite et elle s’en fichait éperdument. Avait-elle encore une famille dorénavant…
Elle-même ne savait pas si c’était ce qu’elle voulait réellement, si c’était ce qu’elle était réellement ou si c’était un excès de rébellion face à cette communauté, face à ses parents qui l’y avaient enfermé sans son consentement depuis son plus jeune âge.
Ce dont elle était par contre certaine, c’était qu’elle voulait faire jaillir au maximum, tout ce qu’elle s’était tuée à enfouir depuis tant d'années : Elle.
Loin de ses croyances, de son lieu de culte et de la communauté qui lui avait tout dicté, tant appris sans rien lui dire de la réalité de la vie..Hope trouva son meilleur confident en Ayna. Ayna devint le confessionnal de ses péchés; ses premiers vrais sourires et fous rires; ses premières conversations profondes, ses premières querelles, ses premiers défis, son premier coucher de soleil, sa muse artistique, sa première pleine lune, son premier refrain, ses derniers baiser, la meilleure suite à ses premiers ébats, son premier amour…
Son premier Amour….Cette Douceur faite Femme.
- “Dis-moi Hope, quand comptes-tu me dire la vraie raison de la fuite
de chez toi ?”
- “Et toi Ayna, que fais-tu sur ce trottoir alors que ta place est si bien ailleurs ?”
- “...”
- “Et si on se contentait de refaire le monde ensemble,
encore une fois avant de rentrer dans la dure et sombre réalité des contes de Fée ?”
Les deux jeunes femmes se blottirent l’une contre l’autre pour regarder les étoiles.
L’hiver commençait à se faire rude.
- “Ayna, rendors toi, je reviens vite, je vais chercher une autre couverture et de quoi nous réchauffer la gorge”.
Hope revint à l’aube. Ne voyant pas Ayna, elle se mit à la chercher aux alentours.
Mais les heures passèrent et sa copine ne revenait pas.
Hope s’imaginant le pire, redoubla de force pour élargir ses recherches au quartier, à la ville, dans les cimetières...mais rien, pas d’Ayna. Le plus fou c’est que personne ne semblait vouloir l’aider alors qu’elles connaissaient tous les marchands et voisins du coin.
Elle criait son nom même dans son sommeil et commençait à faire peur aux passants qui ne comprenaient pas pourquoi s’égossiller de si bon matin et durant l’hiver qui plus est.
- “Jocelyne; regarde cette pauv’ petite”.
- “Maman, maman, elle est morte la madame ?” dit un petit garçon tirant la manche de sa mère en chemin pour l’école.
L’hiver devenait glaçial et Hope ne prenait même plus la peine de manger.
N’ayant plus la force de chercher sa moitié, elle s’était abandonnée à son propre sort pensant que sa copine avait succombé au froid en partant à sa recherche, ce jour-là. Pleine de culpabilité et lourde de chagrin, la femme se laissait mourir petit à petit; elle était moins que l’ombre d’elle-même.
Dans son dernier souffle, elle songeait à l’ironie de son prénom dans ce genre de situation.
C’était donc ça la liberté ?
Dès le lendemain, alors qu’il ne lui restait que quelques heures à tenir, comme si cette pensée avait été une invocation des cieux; un inconnu vint alors nourrir la femme, matin et soir pendant plusieurs jours.
- “Mais qui êtes-vous ? Vous me rappelez quelqu’un...
Vous avez retrouvé Ayna ?”
- “Bonjour Hope” dit-il d’un sourire chaleureux et angélique.
“Chuuut, mangez d’abord, nous parlerons ensuite” dit-il dans un chuchotement à peine perceptible.
- "Dites-moi où est Ayna !!! S’il vous plaît,
je vous en prie, c’est tout ce que je vous demande”.
- “Ecoutez Hope, vous avez traversé des semaines très éprouvantes.
Et vous m’aviez promis de me suivre si vous surviviez.
Si nous survivons à tout ça.
Votre chambre est prête vous savez, elle n’attend plus que vous...Enfin nous, si vous le voulez toujours”.
- “Mais...hein ?? Vous êtes envoyés par la communauté c’est ça hein,
dites le, c’est ça ?!!! Est-ce que vous connaissez ma copine oui ou non bordel ??!!! Vous nous avez vu assises là, tous les jours...Vous savez une jolie jeune femme au teint neige, au regard sombre je vous l’accorde mais qui allumine toute la rue depuis des mois dès qu’elle sourit…
J’ai du mal à saisir ce que vous me racontez…
- “Il n’y a pas d’Ayna Hope ! Ayna c’est toi. C’est moi. C’est NOUS.
Et moi c’est Manua.
Tu sais -refaire le monde ensemble avant la dure et sombre réalité des contes de Fée-
Je ne suis qu’un oiseau envoyé pour te rendre heureuse, moi.
Mais je ne peux pas te forcer à sortir de ta rêverie Hope,
tu dois m’y aider...laisse moi y entrer.
- “...”
Chacune de leurs saisons s'acclimatent à une chanson
Incursion excuse à cette fougueuse excursion
Elle, l’hote et lui, reclus de mille et une leçons
Ils étaient la raison à leur intrusion mutuelle
Dans leurs vies, intempérie à temps, d’envies
Vis-à-vis de leur tempérament, luisant
L’été de leur solitude; l’hiver de leur passion
Chacune de leurs intrépides attitudes de magnitude, sens
Alors que l’un supplie l’autre d’une fuite en vain
En haute altitude, leur séisme, alibi commun
Secousse
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