Chapitre 3 : C’est un monde cruel, après tout…

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La charrette du groupe avait quitté une nouvelle ville pour pénétrer dans des bois et le moral n’était pas au beau fixe.

Pour la énième fois depuis le début de ce voyage, l’un des contacts de Wise refusa de leur prêter main-forte. Comme tous les autres avant lui de ce côté du continent, il était convaincu que la situation s’arrangerait d’elle-même ; que Wise dramatisait pour rien. Mais surtout, comme les autres avant lui, il était convaincu que le vieil homme ne cherchait qu’un moyen de passer le temps ou de se rendre intéressant auprès d’esprits influençables ou limités, sans se gêner pour désigner Helt et les autres.

-Nodocéphale arrogant ! pesta Wise en fumant sa pipe. Il n’a accepté de nous voir que pour le plaisir de nous rembarrer !

-En même temps, qui ne rêverait pas de rembarrer le grand Wise…, fit Helt. Cela fait combien, jusqu’à maintenant ?

-Je ne compte plus…, fit Meridiem alors qu’elle était plongée dans son livre.

-Silence, vous deux ! Vous verrez, j’ai encore de l’influence ! À notre prochaine étape, nous irons retrouver l’un de mes anciens disciples, qui a très certainement trouvé des gens susceptibles de nous aider ! Voilà une personne utile ! Parce que j’essaie de réunir un groupe efficace pour notre quête et franchement, moi ! Et jusqu’ici, aucun d’entre vous ne m’est d’une grande aide !

-En même temps, la façon dont tu présentes les choses aux autres n’est pas très convaincante. Et je ne parle que de la forme, là…, poursuivit Helt sur un ton grave.

-Qu’est-ce que tu racontes ? L’appel à la sauvegarde du monde et de sa paix, cela devrait importer à n’importe qui ! À ton époque, on…

-Wise ! Je suis plus jeune que toi et suis aussi un vieillard ! Si moi, j’ai compris que les mentalités ne sont pas immuables, comment quelqu’un né du précédent Âge comme toi, qui se prétend sage en plus, ne peut pas le comprendre ?

-Comment oses-tu, sale petit morveux ! Je…

Le visage de Wise, déformé par une rage sans nom, était hideux. Mais après avoir jeté un œil à Meridiem et Hope installés à l’arrière, il se retenu de déverser ses pensées qu’on devenait haineuse sur Helt et se contenta de fumer sa pipe en silence.

-Il boude ? demanda Hope à son père.

-Wise ? Bouder ? Non, ce n’est pas dans sa nature. Il serait plutôt du genre à attendre le bon moment pour te faire regretter tes actes ou tes paroles…

-Vous n’avez pas peur de ce qu’il compte faire ? lui demanda Meridiem.

Helt se contenta d’un sourire et de lui dire qu’il n’y avait pas grand-chose à craindre. Un mensonge, en réalité. Helt connaissait bien Wise et du fait qu’il était du genre très rancunier. Il se souvenait de ce jour où, à l’époque du groupe de la Sauveuse, après une blague bien innocente à l’attention de Wise de la part d’un de leurs compagnons…

Un bruit l’extirpa de sa plongée dans ses souvenirs.

Discret mais discernable. Le genre de bruit qu’il avait entendu à plusieurs reprises, dans sa jeunesse et après…

-Hope…

-Papa ?

-Tiens ton arc prêt…

-Pourquoi ?

-Ne discute pas !

Le jeune garçon prit peur à cause de l’expression sévère qu’avait prise son père et obéit. Wise tint fermement son bâton et Meridiem, son livre. Helt claqua les rênes, les chevaux pressèrent le pas et la charrette accéléra. Le bruit de branches qui craquaient résonnait tout autour d’eux… Puis vinrent les cris.

-CHOPEZ-LES !

Bondissant des buissons, de derrières les arbres et de toutes les cachettes possibles, des hommes armés apparurent et tentèrent d’arrêter la charrette. On aurait pu penser à de vulgaires bandits mais en faisant plus attention, Helt vit que leurs armes étaient soit des outils agricoles soit de fortunes. Si c’était des bandits à présent, il paraissait clair que ces gens étaient autrefois paysans.

-Plus vite ! cria Wise en les voyant les courser.

-Les chevaux ne peuvent pas aller plus vite ! La charrette est trop lourde ! hurla Helt.

Alors qu’ils tentaient de fuir, Helt aperçu plus loin sur la route un énorme tronc d’arbre qui la barrait, ainsi que des archers parés à tirer.

-SAUTEZ ! ordonna Helt en criant à plein poumons.

Il tira alors sur les rênes pour forcer les chevaux à s’arrêter, tandis que les autres lui obéirent avant qu’une volée de flèches ne s’envole dans leur direction. La charrette s’arrêta rapidement, limitant les possibles blessures après ce saut. Helt sauta en dernier, manquant de peu d’en recevoir une qui se planta à la place du conducteur. L’un de chevaux en reçu une dans le cou et il s’effondra lourdement sur le sol, entraînant l’autre dans sa chute.

Helt commençait à se relever lorsque l’un des bandits vint le frapper avec un gourdin en pleine tête et le sonna. Wise se fit rapidement maîtriser, ainsi que Meridiem et Hope n’avait même pas eu le temps de prendre son arc et ses flèches.

-Prenez tout ! cria l’un des bandits. Et tuez-les !

-Attends ! en dit un autre. Ceux-là ne sont que des gosses !

-Et alors ? Qu’est-ce que ça peut faire ?

-C’est pas pour ça qu’on a accepté d’attaquer les voyageurs avec vous, Conrad !

-Tu croyais quoi ? Qu’on les laisserait repartir tranquillement après qu’ils aient vu nos visages ? Tu es encore plus bête que tu en as l’air !

-Qu’est-ce t’as dit ! Répète, si tu l’oses !

Ils se disputaient entre eux, oubliant leurs captifs. Visiblement, il s’agissait-là d’une bande certes organisée mais bien loin d’être être soudée. Encore moins si les membres n’avaient pas du tout les mêmes objectifs. Une occasion en or pour Helt.

Après avoir plus ou moins reprit ses esprits, il s’empressa de dégainer son épée. Le bruit de la lame quittant son fourreau attira l’attention de celui qui l’avait frappé précédemment et ce dernier se mit à accourir pour une nouvelle frappe. Du coin de l’œil, Helt remarqua aussi l’un des archers qui était sur le point de bander son arc et de décocher sa prochaine flèche à son intention. Il serra fortement la poignée de son arme. Il ne s’en était pas servis depuis longtemps mais ce genre de chose était comme monter à cheval : ça ne s’oubliait jamais.

-Helden sterben nicht…, chuchota-t-il.

La lame de son épée s’illumina à la prononciation de ces mots étranges puis ce fut lui-même qui fut entouré d’un halo doré. Son assaillant avec le gourdin n’eut pas le temps d’être surpris : en une frappe rapide comme l’éclair, il fut pourfendu. L’archer n’eut pas le temps de bander son arc : dans un éclair, Helt disparut de son champ de vision un instant, pour réapparaître devant lui et lui transpercer le poumon. Le premier mort n’était pas encore complètement tombé au sol et Helt en profita pour tuer encore deux autres bandits, avant qu’ils n’aient pu faire quoique ce soit, dans une vitesse fulgurante.

La plupart des bandits restants, devant pareil prodige, prirent peur et aussi la fuite, quand ils étaient capables de bouger. Les derniers qui restaient réclamèrent vengeance et certains pensaient la trouver en s’en prenant aux plus jeunes. Wise, qui était sorti de leurs esprits après ce qu’avait fait Helt, profita de l’occasion pour user de sa magie, à coups de boules de feu et d’éclairs, et ainsi protéger sa disciple.

-Un mage ! s’écria l’un d’eux. Ils nous avaient pas dit qu’il y aurait un mage !

-Pas question de me frotter à ça ! Je préfère encore mourir de faim !

Le reste ne mit pas longtemps en déguerpir la queue entre les jambes, à l’exception de deux hommes menaçants, les seuls à porter de véritables armes et qui faisaient face à Helt.

-Pas question de repartir sans le butin ! cria l’un d’eux en lançant l’assaut.

Mais à peine avait-il fait trois pas qu’il sentit un poids en moins venant de sa gauche. Là, il vit Helt, son épée abaissée, mais plus son bras. Son bras gauche qui virevolta un court instant dans les airs avant de retomber, sanguinolant, sur le sol. Ce ne fut qu’après que la douleur et le sang jaillirent, le faisant hurler.

-Mon bras ! Mon bras ! Mon…

Helt le fit définitivement taire en le décapitant sans une once de merci. Le dernier bandit avait lâcher son arme et ses jambes tremblantes ne lui permirent pas de rester debout.

Hope n’en revenait. Était-ce vraiment son père qu’il venait de voir en action ? Cet homme d’un certain âge déjà pouvait vraiment se déplacer comme il l’avait fait avec tant d’aisance ? Ce n’était pas possible, pour lui. À moins d’avoir recours à la magie.

Helt s’approcha du dernier bandit au sol, qui leva les bras au ciel et s’écria :

-Non ! Attendez ! Attendez ! Je me rends ! Ça n’avait rien de personnel ! On voulait juste de quoi nourrir nos fa…

Mais Helt ne le laissa pas finir et il le tua, sans sourciller. Hope n’en revenait pas. Pourquoi avait-il fait cela, pensa-t-il.

-Pourquoi ? s’écria le jeune homme.

Helt ne répondit pas et rengaina son épée, faisant ainsi disparaître son halo lumineux. Il se dirigea ensuite en toussant vers la charrette, sans même jeter un regard à son fils. Le cheval attelé encore vivant se débattait comme un diable pour se redresser. Sans un mot, il détacha celui qui était mort tandis que Wise s’assurait que Meridiem était indemne. Hope s’énerva et haussa un peu plus le ton :

-Pourquoi tu l’as tué ! Il s’était rendu !

-Du calme, petit, intervint Wise.

-Me calmer ? Enfin, vous avez vu ce qu’il a fait !

-Oui. Et alors ? Dois-je te faire remarquer qu’ils nous auraient égorgés sans hésiter si nous ne nous étions pas défendus ?

-Est-ce que c’est une raison pour tuer un homme désarmé ! Nous ne valons pas mieux qu’eux, dans ce cas !

-Ai-je affirmé le contraire, petit ? Ce monde est cruel, habité par des personnes cruelles et régit par la cruauté. Les bons sentiments n’y changeront rien. Parfois, pour vivre ou survivre, il faut le faire au détriment de la vie d’autrui. Quitte à la prendre soi-même.

-Non mais vous vous entendez !

-Parfaitement, petit ! J’ai servi le même discours à ton idiot de père alors qu’il était plus jeune ! Il a pris le temps, mais il a compris et accepté cette réalité ! Et en ces temps qui s’annoncent difficile, il serait temps, toi aussi, que tu l’acceptes ! Et rapidement !

Hope peinait à contenir sa rage envers ce vieillard qui lui faisait la leçon, mais elle n’était rien comparée à celle qu’il éprouvait contre son père, qui restait silencieux.

-Papa ! Dis quelque chose, bon sang ! lui cria Hope.

Helt finit de réatteler le cheval encore vivant. La charrette n’avait heureusement pas subi de lourds dégâts et pouvait encore rouler. Quand il fut assuré de cela, Helt se tourna vers son fils et lui dit les mots suivants :

-Hope… Tu n’es plus un enfant. Tu dois comprendre que ce qui vient de nous arriver risque de se répéter. Ces personnes auront sans doute de bonnes ou de mauvaises raisons de s’en prendre à nous. Mais nous avons une quête à mener à bien et tant que nous sommes vivants, nous nous devons de faire tout ce qui est possible pour en venir à bout.

-Y compris prendre des vies injustement ?

Helt voyait dans les yeux de son fils le peu de respect que ce dernier avait envers lui s’effriter un peu plus. Il soupira avant de répondre :

-Oui.

Hope ne dit pas un mot de plus mais la réponse de son père l’avait clairement dégoûté.

Ils ne tardèrent pas à reprendre la route, craignant une nouvelle attaque. N’ayant plus qu’un cheval pour tirer la charrette, le voyage risquait d’être plus long. Pour le reste de la journée, Hope n’adressa pas la parole à son père ni à Wise. Il resta assis dans son coin à ruminer ses pensées, tout en leur jetant des regards noirs. Toutefois, Meridiem était resté près de lui, sa tête appuyée sur son épaule, tout en feuilletant son livre. Cela ne dissipa pas complètement la colère qu’il éprouvait actuellement.

Mais il apprécia le geste, qu’il soit volontaire ou non…

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