Derrière la bourrasque

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Dans la Grande Boisée, tout était toujours calme. La forêt respirait l'apaisement et l'harmonie. Les immenses arbres aux branches tortueuses protégeaient ses habitants des orages et des tempêtes grâce à leurs solides troncs et à leurs larges feuilles qui n'en tombaient jamais, et qui laissaient toujours passer de chaleureux rayons de soleil. En son cœur, coulait une rivière qui ne se tarissait ni ne gelait à aucune occasion, et qui recelait de nombreuses espèces de poissons aimant jouer dans le doux cours d'eau. Là, au creux de ses méandres s'était établi un peuple d'humains, lesquels avaient jadis été en fuite. Ils avaient su au cours du temps y bâtir un beau et humble village, y cultiver des fruits et des légumes plus colorés les uns que les autres, et y chasser la viande dont ils avaient besoin dans le respect de la nature. Ils mesuraient leur chance et en étaient immensément reconnaissants. Les ancêtres de ces hommes et de ces femmes avaient connu la peur, la menace, le danger, et ils avaient dû traverser de nombreuses terres trompeuses et hostiles avant de découvrir ce lieu emprunt de quiétude. Alors, de générations en générations se contaient les histoires du passé afin que la Grande Boisée ne cesse jamais d'être remerciée pour l'asile qu'elle leur offrait. Chacun savait ce qu'il devait à la forêt, et personne ne se risquait jamais à en déranger l'équilibre afin que jamais la forêt ne les rejette. C'est pourquoi ils agirent comme ils agirent.

Un jour de sérénité comme les autres, alors que certains travaillaient à la rivière, d'autres aux champs ou dans les ateliers du village, un assourdissant bruit sourd éclata entre les arbres. Les troncs furent secoués et les branches dénudées, une vague souleva la rivière qui se mit à déborder, et par endroits la terre elle-même se fissura. Puis, immédiatement, le silence revint, presque plus assourdissant que l'explosion. Les oiseaux ne chantaient plus, la brise ne soufflait plus, les outils ne cognaient plus. Les villageois, horrifiés, n'avaient jamais connu un tel chamboulement. Plusieurs étaient tombés à genoux tant la terre s'était agitée, et tous tournèrent les yeux vers le centre de l'explosion. Portées par une forte bourrasque, les feuilles des arbres éprouvés volaient en tourbillon et dissimulaient pour l'instant l'origine de l'explosion. Lorsqu'il n'y eut plus de feuilles à faire tomber, la bourrasque se tarit, et alors les villageois devinèrent une silhouette humaine. La silhouette devint de plus en plus précise au fur et à mesure que le vent s'étouffait.

Une jeune femme se tenait ainsi devant eux, voutée, essoufflée, la tête recouverte de la capuche d'un long manteau sombre dans lequel elle disparaissait presque entièrement. Lorsqu'elle se redressa, elle croisa le regard des villageois et fut prise d'une panique irrépressible.

  • Oh non, non, non, non, pas encore, non, non, l'entendit-on murmurer.

Aussitôt, sans se concerter, tous les villageois sans exception saisirent l'outil le plus proche de chacun d'entre eux et s'élancèrent comme un seul homme vers elle. Les hurlements bestiaux qu'ils poussaient ne laissaient planer aucun mystère : elle avait perturbé leur monde et ils allaient la tuer.

  • Non, non, non, non répéta-t-elle mais cette fois-ci plus fort.

Elle observa son environnement en quête d'une échappatoire. Elle ne courait pas assez vite pour semer les plus rapides d'entre eux, et ne pouvait pas escalader un arbre puisqu'elle serait bien un jour forcée d'en redescendre. Aucune arme ne se présentait à elle, et quand bien même elle en aurait trouvé une, elle n'aurait certainement pas été suffisante pour arrêter les dizaines de personnes qui se ruaient dans sa direction. Son cœur accéléra dans sa poitrine, son souffle devint court et ses jambes flanchèrent. Alors que l'un d'eux arrivait à sa hauteur, elle ferma les yeux et sentit dans son corps la chaleur incontrôlable qui annonçait un nouveau déplacement.

  • Oh, eut-elle le temps de dire avant de disparaitre dans un impressionnant claquement qui secoua une nouvelle fois les arbres et la terre.

Interloqués, incrédules, les villageois cessèrent brusquement leur course et leurs cris. Dans leur stupéfactions ils firent plusieurs fois un tour sur eux-mêmes à la recherche de la jeune femme. Elle s'était évaporée, comme si elle avait soudain était aspirée par l'univers lui-même. Comment était-ce possible ? Alors qu'ils s'apprêtaient à faire demi-tour et prendre le temps d'étudier les dégâts causés par l'explosion, ils firent volte-face.

Un troisième claquement, bien que discret, résonna aux abords du village. Devant eux, apparut subitement encore une femme, une autre, plus âgée et parfaitement droite. Celle-ci ne se cachait pas sous la moindre cape, elle portait un simple pantalon de toile souple et une chemise claire, et il émanait d'elle une impression de puissance et d'assurance qui aurait dû forcer le respect. Elle eut à peine le temps de jeter un œil aux alentours pour comprendre le déroulé des événements particulièrement récents, et les villageois levèrent à nouveaux leurs bras armés et reprirent leur course accompagnés de leurs cris sauvages.

  • J'arrive encore trop tard, ça devient pénible, marmonna-t-elle.
  • Messieurs, Mesdames, j'ai pas le temps pour ça, annonça-t-elle ensuite en guise de salutations avant de disparaitre elle aussi.

Elle ne laissa rien derrière elle, pas même un claquement sec résonnant entre les troncs. Les villageois restèrent pantois un long moment avant de laisser tomber leurs bras et de retourner inspecter les dégâts pour tenter de tout réparer. Ils espéraient que la forêt centenaire leur pardonnerait ces perturbations et que leur vie continuerait telle qu'elle avait toujours été. Aucun d'entre eux n'imaginait que sous leurs yeux s'était présenté l'un des plus puissants êtres de l'univers, et même s'ils l'avaient su ils s'en seraient bien fichus.

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