Le petit cirque

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 Marcel est un peu désabusé ces temps-ci. Marcel est pourtant quelqu'un de pas mal. C'est con, enfin pour lui quoi. Jusqu'ici, il n'avait rien, pas grand-chose de grand, de concret, d'aventurier dans sa petite vie tranquille, comptable content chez Jouvert, une entreprise de contreplaqué. Trente-cinq heures, treizième mois, ticket restaurant, panier repas bien garni. Cela fait vingt ans qu'il travaille ici et s'il en a plein les coucougnettes de son boss et de cette boite, il ne changerait pour rien au monde. Chaque matin, le même rituel, le même consensus, rythme infaillible aux caprices du temps. Réveil sept heure quinze, café cigarette dans la véranda. Radio, Europe 1 devant la préparation du "p'tit déj". Madame se lève. Son thé est déjà prêt. Sa cuillère juste à côté. Un baiser, pas à la Modiano, mais pas loin. Un arc-en-ciel sous la douche. Madame part. Il réveille la marmaille embrumée. Presse. Orange, lait au chocolat et tartine. Brossage de dents collectif. La voiture tourne déjà, elle "chauffe", dégivre en hiver, refroidit en été. Dans l'autoradio, les infos, dans le rétroviseur, des ceintures attachées la tête déconfite de devoir encore aller à l'école. Balancés au portail, à ce soir. Boulot, tout juste, pas en retard, pas en avance. L'équipe du matin s'en va, il arrive. Et, chaque jour, en revenir au même point, au même schéma directeur. Oh, il ne s'en plaignait pas tant que ça, les habitudes rassurent, les rites réconfortent. Le soir, la pellicule se déroule à l'envers, toujours en bichrome. Il n'a pas de cheveux sur la soupe, tout roule, bien huilé, bien graissé. La douce horloge de la vie, pas plus, ni moins. Les pirouettes sous la girouette n'étaient plus qu'une vague étincelle aléatoire d'un vieux briquet.

 Madeleine s'occupait de rien dans sa vie. Non, elle ne s'occupait de rien. Elle s'occupait d'un rien dans sa vie. Ou elle occupait sa vie de rien. Elle n'a jamais été très claire sur ce sujet. Elle a trente ans,"grosso modo". De déception en joie, sa vie ressemble peu ou proue à un roman de Bernard Lavilliers. Enfin si ce dernier avait déjà écrit un roman, ou même une chanson d'un de ses voyages. D'ailleurs peut-être qu'il n'a jamais voyagé du tout celui-là. Peu importe le sujet n'est pas là. Le sujet, c'est Madeleine. Madeleine a donc trente ans, célibataire comme il faut. Elle a amélioré son quotidien depuis. De la liberté, enfin de la notion de la liberté qu'elle se fait, elle s'en est donnée une priorité. Courir tant qu'il est encore temps. V'là le défi, qu'elles disent ses copines, un peu envieuses néanmoins. Elle n'a pas envie de grandir vieille peau ! Chaque fin de journée, elle va se promener dans son quartier, dans sa ville, dans le métro même si il n'y a pas de métro, dans sa région. Voiture, vélo, marche, les moyens sont bons, la destination au hasard. Son boulot ne lui plaît plus depuis des lustres, mais elle se contente du compromis, boulot pas trop chiant, bonne paye, pas trop crevant, pas trop à réfléchir. "Elle est heureuse" clame-t-elle devant la foule et dans le vide, aussi, quand elle s'endort en chialant entière comme toutes les parisiennes, pas si sereines.

Marcel et Madeleine se sont croisés ce matin, rien n'a changé, tout revient, tout recommence, tout est beau. Demain, le jour s'élevera ailleurs, encore. Le petit cirque de la vie, quoi en somme.

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