Les cendrillons
Moi, moi, j'ai 65 piges, 65...et je vous pisse dessus comme je pissais gamin sur les transfos d'Edfmout. Je ne me nomme pas Bernie. Je m'appelle Robert. Je suis un gars riche, très riche, des pépettes en veux-tu en voilà, plein les roubignoles, pas comme mon voisin, là, qui s'picole tout son RSA dans de la mauvaise bière. Ouais, j'suis riche moi, m'ssieurs, m'dames. Je m'habille comme un pouilleux pour me donner du genre, genre celui qu'en a rien à battre de l'apparence, de la vue et qui se retrouve soir venu bien endormi dans son lit en bambou (made in Oural). J'erre dans les rues comme j'ai erré dans ma vie, c'est-à-dire à poil et commercial de surcroît. Ah j'en ai vendu des conneries, grosses, petites, ridicules, contrefaites, de l'apparence et des encyclopédies animalières. Je m'appelle Robert et j'ai jamais eu les couilles qui vont avec ma carrure. Forte, droite et grande. Je me suis faufilé au fur et à mesure de mon opportunisme. Des articles en kit, j'en ai vendu à la pelle. Les restos pour VRP étaient pour moi les restos du coeur, notes de frais en pile, vin à volonté et cahuètes à la pipi. Aujourd'hui, aujourd'hui je suis à la retraite, je m'emmerde, je bois des cafés dégueulasses dans des bars qui le sont tout autant. Je gaspille mon temps à regarder des gens, des vieux, des moches, des pédés, des journalistes, des politiques, des enculés, des bourgeois et des quinontpaslesous. Je postillonne en parlant à la boulangère. Je me suis assez vendu pour ne plus avoir envie de reconnaissance ou de zeste d'admiration dans les mirettes. Je dis oui à tout, je les emmerde par derrière. Tout glisse. Juste la sensation d'avoir passé ma vie comme une boîte de salsifis marque repère. Je barbe, les passants rient, ricanent, se pavanent ou s'attristent charitablement. A mon poignet 525 euros TTC. J'écume les centres sociaux, les hébergements d'urgence, le squatt de l'ancienne piscine municipale, je fais copain copain avec des gonzes qui dealent de la fausse marocaine internationale. J'vagabonde, je n'ai plus peur des alligators, ni de rien autour d'ailleurs.
Je vous jure, j'avais de l'ambition au départ, de la grande vie, des tripes au corps et des troupes à l'arrière. Vingt ans passés, de chouilles en chouilles, de brisbi en brisbi, bastons et canapés en velours, je remplissais à l'époque ma vie. Si, si promis! J'ai été quelqu'un avant d'avoir été commercial puis plus rien. Tour du monde en 4L, m'agenouiller au pied du kilimandjaro en tee-shirt rasta, regarder le soleil se coucher sur des plages désertes en costume cravate, crapahuter dans les ruelles sombres de Téhéran en anorak. Ouais j'avais de l'ambition. La rage au coeur, la fureur de vivre comme ils disent les gens. Me foutre en l'air dans un camtar vintage au détour d'un carrefour ou d'un leclerc. Puis la réalité est arrivée, bête, dure, brutale et mensongère. "Faut de la liquidité mon gars, faut que tu te sortes les doigts du cul'. Le train déjà parti, le reste avec...
Fabrice m'a dit : « Va te faire mettre, espèce de nazebroke de mes testicules ! » Fabrice fut trente années durant globalement le seul ami que j'ai eu. Aujourd'hui, je suis encore plutôt d'accord avec lui, avec ses paroles, avec son point de vue objectif sur la situation, quoi... Je me suis pris une veste et suis sorti dans les rues glauques et désertes de la ville. Je ne pensais à rien, à tout aussi, à la contingence des choses de la vie, aux engrenages des sentiments et des rancoeurs. 05H37 à la pharmacie rue des martyrs. Où comment se prendre des claques en symbiose sans synthol. La débandade dérisoire continuait voilà tout, pas plus. C'est à ce moment-là, enfin, non pas tout à fait, je vous raconte des cwonneries. C'est quelques jours plus tard où j'ai décidé de tout claquer, de tout vendre pour me retrouver ici, d'où je vous écris, de mon squatt de luxe.
J'avais passé trois jours entiers enfoncé, défoncé dans le canap' à engloutir des merderies d'une belle espèce, le salon ne ressemblait plus qu'à une vague décharge sauvage, les clips de Directstar tournaient en boucle, le son saturé et les images formatées. Vomir sur Nagui, et pisser sur Jean-Pierre Pernault. Vous me croirez ou pas...mais dans l'ensemble, ce sont « les vacances de l'amour » qui m'ont sauvé de cette léthargie-ci. « Les vacances de l'amour » pour ceux qui ne connaissent pas (« shame on you ») est une série made in AB prod, suite mémorable des diverses sitcoms à la noix qui ont pollué nos écrans des années durant. Une bande de djeun's à Saint-Martin à qui il arrive toujours des trucs de dingues, où les gentils sont beaux et les méchants moches, les premiers toujours gagnants, les suivants toujours...C'est donc là pendant l'épisode 17 de la saison 3 que j'ai éteint le bazaar, pris un vieux sac au fond d'un placard doré, quelques affaires et basta ! Á la Nicolas ! J'ai tout abandonné avec pour seule ambition de m'en battre de tout. Des gens, des choses, de la crise des matières premières, du réchauffement climatique, des phtalates, des cadavres retrouvés au bord d'une nationale. Il en a fallu au fond très peu pour que je fasse écrouler la petite vie que j'avais engendré au fur et à mesure des dollars et des rencontres. Six mois avant vous m'auriez vu le plus beau du quartier. Toujours est-il que j'ai claqué la porte de ma petite maison bourgeoise de banlieue, envoyé un message à Fabrice par sms « t'as raison, je me barre de chez moi, de la ville et du reste, mon portable avec. » J'ai laissé la porte ouverte et me suis barré par le bus 35.
J'ai passé quinze jours à l'hôtel Accor du bassin Vauban, le temps de régler les choses, de bazaarder tout le tintouin, baraques ,voitures, actions, stockoptions, participation dans les hedgefunds (oui j'en avais du pognon à gogo!).Je ne suis sorti au fond que très peu, j'ai quasi tout fait par le point internet de l'hôtel ou par téléphone.
Le vendredi suivant il ne me restait plus qu'à me barrer définitivement en oubliant pas bien sûr pour l'image, pour la symbolique, oui je suis assez attaché à ça, de mettre la chambre en vrac. En balançant la chaise du bureau sur le téléviseur, je me souviens avoir eu ce sentiment vain, mais pourtant bien présent de retrouver mes 17 ans et ma rage avec. Je m'harnache depuis à ma condition comme un vieux clébard à son os.
Je quittais le train ou la ville, je quittais ma vie ou une autre, au fond peu m'importait à l'époque. Je voulais juste une chose, une seule, toute petite, fuir. Courir. Sans porter les années. Sans porter de numéro de sécurité sociale. Je me suis dès lors avachi dans le fauteuil numéro 37, voiture 11 du train 8137, premier train du matin et je n'ai attendu qu'une chose...le terminus. Pas de bol pour moi, c'était un TER et il m'a déposé 70 kilomètres plus loin, Rouen-rive droite. Bourgeoisie de bord de Seine, fils, fille de médecin qui veut devenir pharmacien, pharmacienne. Hercule sous les pavés, mais bien enterré. J'ai marché, marché jusqu'à puer de tout ce que je pouvais de transpiration, d'effluves de douleur. Les rues vrombissaient de madames en shopping, et moi, moi, je passais au milieu, à contresens, à me demander tout juste pourquoi. A me demander au fond si tout cela servait vraiment à quelque chose, de continuer, d'essayer encore, et encore. Je me suis raccroché à une seule idée pour marcher, marcher encore sans m'écrouler tout net dans ce beau milieu chic et glam's. « Je ne vais rien trouver en ce monde pour une simple et bonne raison, je ne cherche plus rien ». Oh oui, ce n'est pas la maxime du siècle, ce n'est pas du Rembrandt, (quoi Rembrandt était un peintre? Bah mon vieux comme si un peintre n'avait pas le droit d'écrire, de penser à autre chose que ses vulgaires dessins?). Mais je vous jure que cela m'a fait fuir encore plus loin, regarder ailleurs, m'a fait tenir quelques années encore. La nuit était tombée, les couples pour le restos avaient remplacé les shoppeuses. Je n'avais trouvé rien de mieux à faire que du stop sur la D3 de Moulineaux. Je ne sais pas, je trouvais que ça avait de la gueule, puis bien aléatoire comme truc, bien dans mon rapport. Les berlines se sont déchaînées, me frôlant la moustache que je n'avais pas encore, les routiers ne passaient plus et les maris étaient pressés de rentrer faire coucouche panier dans la belle maison. La vieille 205 rouge cramée s'est alors arrêtée, deux djeun's en vadrouille, lunettes cassées et mèches folles. « Riding the dragon » au coeur de la zone industrielle.
Puisqu'ils avaient l’air plutôt paumés, puisqu'ils avaient l’air plutôt sympathiques, puisqu'ils avaient l’air plutôt enthousiastes de prendre un stop en viok, nous avons roulé toute la nuit, voguant sur les départementales comme dans un vieux rafiot déglingué. Partir chercher un camtar à Saint Hilaire de Riez pourquoi pas ? Engloutir des 8-6 et les balancer dans le coffre, pourquoi pas ? Qu'ils racontent dès lors un peu de la vie, un peu de la bastonnade. Que je raconte dès lors un peu de la misère, un peu de la spéculation à gogo et les ventes à la tire. Certes, je voyais bien au fond que ces djeun's là, ils en avaient globalement rien à battre de mes histoires ridicules, de ma présence, un oranger à la place aurait fait tout comme, peu importe. Toujours est-il qu'une fois qu'il avait engainé, le gens qui conduisait, l'autoroute, nous nous sommes plus dit grand-chose, ou plutôt je n'ai plus dit grand chose, assommé par le sommeil et l'alcool. Regarder les barrières de sécurité se prendre pour des coupes gorges puis fermer les yeux. Se réveiller entre Rennes et Nantes, petit village perdu, visage lourd et gueule à l'envers, m'ont regardé, m'ont dévisagé et ont éclaté de rire comme des cons. Moi avec. Nous sommes descendus pour aller se prendre un café, grosse bonne femme désagréable et vieille bourge sur le déclin à la terrasse avec son clebs immonde à chouchou vert. Enfin, lorsque je dis prendre un café, ce n'est pas tout à fait la réalité, deux d'entre nous avons pris un verre de rosé, le troisième, le chauffeur, bien plus raisonnable, n'a pris qu'une bière. La tôlière a suivi jusqu'à notre table dehors, sans piper mot, mais n'en pensant pas moins. Petit soleil et grande fraîcheur sur la ruelle déserte et presque somnolente, chien dégueu de vieille bourge aboie. Nous ne nous entendions presque pas parler avec ce couple à la con, bon, en même temps, il est vrai que nous ne nous disions rien, mais c'est pas une raison bordel. Aboiement, « Arrête Morandini ! ». Aboiement, « Arrête Morandini !». Oui elle avait appelé son bâtard Morandini, allez savoir pourquoi. C'est qu'elle nous a accusés ensuite en plus cette cul-bordée ! « Vous l'excitez, il était très calme avant que vous n'arriviez avec votre allure et votre odeur là ! » Les djeun's ont commencé à se défendre gentiment d'une quelconque offense, je me suis levé, me suis approché, ai pris sa grande tasse de café et l'ai versée sur sa jolie permanente et fourré son foulard dans...la gueule de son sale clébard! « Je ne veux pas de procès d'intention ! T'as compris vieille catin ? » N'a plus dit un mot, mais je crois que si j'avais eu envie de pisser je l'aurai bien fait volontaire là maintenant, pour bien lui faire comprendre mon interprétation de la situation. La patronne est sortie un peu affolée, un peu colère a commencé à m'engueuler et à me dire de dégager comme quoi sinon elle allait appeler les flics, ni une ni deux, j'ai renversé la table et me suis barré en gueulant « Allez-vous faire foutre sales bretonnes ! » oui, j'avais une dent contre les bretons, et alors ? Jo et Tarin ont enclenché le pas, eux aussi, avec le petit lot d'insultes qui va bien. Nous sommes partis sur les chapeaux de roues usées vers le Sud et ce n'est qu'au bout de quelques kilomètres que Jo, le chauffeur, mon taxi, a jeté un regard vers moi, « Bah mon vieux, toi faut pas te casser les couilles longtemps ! »
Se quitter comme on embrasse une poule pendue, déplumée au chalumeau et dégoulinante de sang. Ils ont récupéré le camtar, j'ai récupéré ma galère. Les bermes pour mirages et les bornes pour étoiles. Le chemin, oh le chemin pour tout dire, il n'a pas duré longtemps encore. Les godasses, sans même avoir le temps de se trouer. Je me suis retrouvé la gueule en vrac, dans le fossé ou ailleurs, tête ramassée entre un sac plastique et un pneu de vélo en décomposition. Il m'a dit pardon, je lui ai foutu une mandale dans sa façe d'oiseau maudit. Le point de non-retour atteint. Me faire foutre en l'air par un trentenaire en trottinette, faut pas déconner, il y a de quoi en mandale. Le souci, le seul petit hic fut la capacité de la partie adverse à riposter. Cinq jours à l'hosto, en vrac et sous prozac. Ce qu'il y a de bien, lorsqu'on est comme ça, cassé de partout, coincé comme un canard dans un micro-ondes, c'est l'attente. La longue attente en espérant pas grand chose certes, mais...ça laisse le temps de réflechir, le temps d'apprendre, de rigoler dans sa barbe tout con sans pour autant recevoir le jugement dernier. On a le temps de tout ça à l'hopital, entre deux piqûres point point et le journal télévisé de David Pujadas, refaire le monde, enfin du moins le sien. Envisager autre chose, le pourquoi du comment nous en sommes arrivés là. Comment, d'une manière génerale, la société en est arrivée là. A ce niveau-ci où le seul médium trouvé par un connard lambda est la fuite, le grand saut. Pourquoi le mutisme est devenu religion sans que personne ne s'en émeuve ? Pourquoi l'indignation est-elle dans chacun de ses recoins et qu'aucun ne brandisse des triques ? Pourquoi ce putain de tuyau à la con s'emmêle autour de la perche à chaque fois que j'esquisse un mouvement ? Des choses bandantes quoi...Mais...Mais.... Shouté aux calmants et autres bonbons chimiques, essayer donc de penser avec des bas de contentions et un cas psy de l'autre côté du rideau ! Fucking hell ! J'en suis sorti sans même embrasser les infirmiers et le gars de la maintenance. J'ai franchi la porte tournante, j'aurais pu me barrer au Brésil, Belem ou ailleurs. Au fond, partout reste une ruche à trentenaires médiocres. Je ne jette pas la Pierre, ni à moi, ni aux autres, nous ne faisons que passer après tout, nous ne faisons que se foutre à l'intérieur. Je ne suis pas parti, je ne suis pas parti du tout, j'avais toujours un mal de chien, je me suis fait un spa et la vie continue !
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