" Nous sommes ambitieux."

Pas de doute.

Ambitieux, ils l'étaient tous.

Mais ils n'arrivaient pas à sa cheville.

L'officier souriait, poli et respectueux.

Il les regardait évoluer.

Sachant très bien qu'il les verrait tomber.

" Je suis entré au service de XXXX, à mes dix-huit ans. J'étais son premier ami et son plus fidèle. Le savez-vous ?, expliqua sèchement le conseiller au jeune officier.

- Oui, monsieur.

- Le plus fidèle. Le plus ancien. Le plus sûr. Le savez-vous ?

- Oui, monsieur.

- Rien de ce qu'il se passe ne doit lui parvenir sans passer par moi au préalable. Le savez-vous ?

- Oui, monsieur.

- RIEN !"

Il répéta encore une fois " Oui, monsieur" avec un sourire poli et respectueux.

Il était ambitieux.

Il lui suffisait d'être patient.

" Je ne comprends pas l'objet de ma présence dans ce bureau, claqua le si proche conseiller du chef.

- Nous avons des questions, sourit le jeune officier.

- Et vous vous permettez de me convoquer pour...

- SILENCE !, claqua la voix bien reconnaissable du chef. Mon cher XXXX m'a parlé de l'attentat et des soupçons vous touchant. Je lui ai demandé de vous interroger.

- Moi ? Des soupçons ? Voyons, cher XXXX. Cela ne peut être qu'une erreur et...

- Je vous laisse à votre travail, mon cher ami. Vous me ferez votre rapport plus tard.

- Oui, monsieur."

Une main glissant sur l'épaule de l'officier chargé des interrogatoires, un sourire amical et le chef disparut.

" Alors voyons ces questions, monsieur. Nous en arriverons bien à bout.

- Oui. Oui, certainement."

L'officier était si jeune, si beau, si impeccable.

Il faisait peur tout à coup.

Complètement décalé dans ce luxueux bureau du palais de XXXX, où les dorures et les vastes miroirs illuminaient les pièces.

" L'attentat a été une terrible épreuve pour notre chef, expliqua l'officier. J'ai eu la chance de bénéficier de sa confiance. Il m'a demandé de mener une enquête discrète pour savoir exactement ce qu'il s'est passé.

- Oui.

- J'ai commencé par compulser la liste des passagers et un détail anodin m'est apparu.

- Oui."

Le conseiller, si proche, si ancien, si puissant, du chef ne blêmit pas, il resta impassible et attentif. L'officier applaudit la perfomance.

" Votre fils aurait dû participer à ce voyage, or il ne s'est pas présenté au départ du train."

Une longue respiration.

Et le conseiller répondit posément :

" Oui, il devait rester avec sa mère pour gérer un problème familial.

- Un problème familial ? Je vous demanderai, monsieur, de bien vouloir être plus précis.

- Ceci ne vous regarde pas !, claqua le conseiller.

- Je suis désolé, vous avez raison, mais notre chef voudra savoir."

L'officier souriait, désolé et dépité.

Mais sûr de lui.

" Ma femme est mal portante.

- Vraiment ? J'ai pourtant le dernier rapport médical de votre femme. Elle a une santé de fer.

- Le dernier rapport médical ? Comment osez-vous ?"

Le conseiller s'était levé avec tant de violence que la chaise était tombée derrière lui.

" Bien entendu, monsieur, se justifia l'officier. Il faut vérifier que tous les plus proches conseillers du chef sont en bonne santé, ainsi que leurs familles. C'est une demande du chef.

- Je...je comprends... Ma femme a une santé qui est versatile. Elle est bien portante et le lendemain peut avoir une migraine atroce. Elle voulait son fils avec elle. Je...Je n'ai pas eu le coeur de refuser.

- Je comprends. Surtout que le voyage de votre fils a été décidé au dernier moment. Par vous ?

- Non. C'est le conseiller XXXX qui a réclamé la présence de mon fils.

- Oui. Il est mort durant l'attentat. Vous avez sauvé la vie de votre fils en l'empêchant de prendre ce train, monsieur.

- Une coïncidence.

- N'est-ce-pas ?"

L'officier souriait.

Puis, doucement, il avança ses pions.

" Il en fut de même le 15 janvier XXXX et le 7 novembre XXXX. Votre fils devait participer à ces voyages ferroviaires mais vous avez annulé toujours au dernier moment. Pourtant, les voyages sont réguliers dans le poste de votre fils.

- Oui.

- Un jeune secrétaire d'Etat prometteur. Mes félicitations, monsieur.

- Merci."

Mais le visage du conseiller devint pâle.

D'une pâleur mortelle.

" Il... Il ne sait rien... Il...

- Oui, monsieur ?

- Ce furent des coïncidences, heureuses.

- Bien entendu, monsieur."

Nouveau dossier déposé sur la table et ouvert devant le conseiller.

L'homme, si proche du chef, si important et si loyal, s'épongeait le front avec soin.

L'officier le vit mais ne releva pas. Il eut juste un sourire en tournant le dossier pour que le conseiller le voie.

" Vous avez fait vos études avec le professeur XXXX."

Ce n'était pas une question.

Le conseiller avait sous les yeux la photographie d'une de ses classes universitaires. Année XXXX. On le reconnaissait parfaitement et à ses côtés se tenait le professeur XXXX.

Mort des suites des tortures infligées en prison par le jeune officier assis devant lui.

Mort et enterré dans une fosse commune d'une prison d'Etat.

" Ai-je le droit d'appeler ma femme ?

- Oui, nous ne sommes pas des monstres, monsieur, sourit l'officier. De toute façon, nous allons avoir quelques questions à lui poser à elle aussi. Ainsi qu'à votre fils.

- Ne prenez pas cette peine, officier, je vais tout vous dire.

- A la bonne heure. Je vous en suis très reconnaissant, monsieur."

Et le conseiller parla.

" Quel salopard !, s'exclama le chef en ayant une de ses crises de colère effroyables et régulières. Où est-il ?

- En route pour la prison de XXXX," répondit l'officier.

Il se tenait debout, droit, au garde-à-vous.

Le chef sembla le remarquer enfin et lui hurla dessus :

" Interrogez-le encore et obtenez tout de lui ! Je vous laisse agir comme vous l'entendez !

- Et s'il meurt, monsieur ?

- Aucune importance !"

L'officier souriait.

On l'avait admonesté et rabaissé.

On allait le payer !