Une longue nuit
" La nuit allait être longue. "
Longue.
Si longue.
Elle allait durer une vie.
Les regards sont biaisés et nul homme n'est objectif.
On voit son ennemi par des prismes.
Tout est déformé.
" Bonjour, officier.
- Bonjour, chauffeur."
Cela fit sourire le terroriste.
" En effet. Je suis le chauffeur.
- Avant cela, vous étiez le commandant XXXX de la division XXXX placé dans les montagnes de XXXX sur ordre de ses supérieurs."
Le chauffeur eut un sursaut de surprise.
" Comment le savez-vous ?"
L'officier eut un sourire amusé et essaya de se redresser, malgré les menottes qui le retenaient.
" Parce que je ne suis pas con et parce que votre petite copine avait la langue bien pendue."
Une gifle fit taire l'officier.
Mais il ajouta tout de même :
" Et j'ai longuement interrogé le passeur. Il m'a fait une description de vous extrêmement détaillée."
Il ne fallut que quelques minutes d'attente pour voir la situation être totalement renversée.
Des dizaines de soldats pénétrèrent les lieux et arrêtèrent les quelques terroristes présents.
L'officier se retrouva libéré et un de ses hommes vint l'aider à remettre son long manteau de lainage noir.
Puis il vit qu'on embarquait le chauffeur au-milieu des autres terroristes.
Il les arrêta avec un sourire mauvais.
" Celui-là est pour moi ! Dans mon bureau à la prison de XXXX."
Sur son bureau étaient disposés un café, un couteau, un rapport vierge, un stylo fonctionnel, une pince, un revolver, une photographie de femme assassinée dans la neige...
L'officier savourait le café et regardait la photographie sans rien ressentir, sauf un profond dégoût.
" C'est plus laid sur le papier glacé, remarqua le bourreau. Je n'ai pas été si mauvais avec elle."
Le terroriste, ancien commandant au service de la Cause, baissa la tête pour ne pas exposer la haine qui faisait briller ses yeux.
" Je ne l'ai pas frappée, je ne l'ai pas violée, je ne l'ai pas mutilée."
L'officier, jeune et dur, reposa la photographie sur le bureau et conclut :
" J'aurais dû."
Le chauffeur ne dit rien.
Le bourreau lança l'interrogatoire :
" Alors, commençons par le commencement : nom, prénom ?"
Et il ajouta :
" Matricule ?"
Le chauffeur ne dit rien.
Il ne dit rien.
Puis, entre ses doigts brisés, une photographie fut glissée : il reconnut l'épouse de l'officier.
" Je ne suis pas quelqu'un de sympathique et je n'ai aucune empathie. Je ne connais pas ça. Mais elle, elle en avait. Vous avez mal choisi votre proie.
- Je voulais vous attirer.
- Vous avez réussi. Me voici."
L'officier souriait largement, ses yeux clairs brillaient de joie.
" Et maintenant que vous m'avez, je suis tout ouïe. Allez-y !"
Le chauffeur parla.
De sa louve.
L'officier en fut surpris, il écouta mais ne reconnut pas ces sentiments.
" Un jour, j'ai rencontré une femme officier," raconta le bourreau.
Le chauffeur leva la tête et contempla le bourreau avec stupeur.
Il se mit à sourire.
" Non ? Vous ?"
L'officier rit et sortit ses cigarettes.
Il en alluma deux et en posa une entre les lèvres du chauffeur.
" Elle a été assassinée par les vôtres.
- C'est la guerre."
On accepta l'excuse qui justifiait tout.
Les femmes assassinées, les enfants massacrés, les hommes mutilés, les amis trahis et les pays dévastés.
" Ainsi, votre femme était dans ces montagnes ?
- Oui.
- Qui vous a donné les ordres ?"
Cela fit ricaner le chauffeur qui redevenait peu à peu le chef d'un groupe de résistants.
" Je crois que je n'ai rien à vous dire, officier.
- Vous croyez ?"
Le terroriste ne dit rien.
Il gardait le front haut et défiait le bourreau.
La douleur se lisait dans ses yeux déterminés mais c'était tout.
" Nous savons que XXXX vous fournissait les armes pour continuer à mener la lutte. Nous savons que vous avez hébergé les ingénieurs de l'école de XXXX. Vous avez même hébergé Adrien XXXX et sa famille.
- Vous remontez dans le passé, articulait difficilement le terroriste.
- Nous sommes toujours dans le passé."
La nuit allait être longue.
Par Dieu, elle le fut.
Elle dura des jours.
Une nuit faite de douleur et de sang, de cris et de questionnement.
" Nous recherchons une piste pour détruire les terroristes, monsieur, rapporta l'officier à son supérieur.
- Avez-vous une chance ?
- Oui, monsieur."
Une main fut déposée sur son épaule et une voix bienveillante lui murmura :
" Nous en sommes contents. Son sacrifice ne fut pas inutile.
- En effet, monsieur.
- Nous sommes bien tristes pour votre perte, officier, mais nous sommes satisfaits de vous voir si dévoué à la cause.
- Oui, monsieur."
La nuit allait être longue.
Longue.
Si longue.
Elle allait durer une vie.
On ne devenait pas un bourreau par hasard.
Il fut une époque où on était bourreau de père en fils, certes, mais lui avait choisi sciemment son office.
Un bourreau, le meilleur.
Les regards sont biaisés et nul homme n'est objectif.
On voit son ennemi par des prismes.
Tout est déformé.
Mais si on renverse la situation ?
Alors qui est le bourreau ?
" Ma femme était une jeune femme douce et jolie, assénait le bourreau.
- La mienne était une tigresse. Mais elle avait tellement souffert."
On se regardait. Prisonnier et bourreau.
On se jaugeait.
" Ma femme avait même commencé à m'apporter des noms, se mit à rire le bourreau. Je devais lui faire peur.
- Vous faites peur à tout le monde !"
L'officier cacha son sourire derrière sa tasse de café. Ses doigts étaient maculés de sang et il aurait juré que le café en avait le goût métallique.
" Merci, je prends cela pour un compliment."
Le terroriste ne pouvait plus rire facilement, la douleur était forte lorsqu'il ouvrait trop la bouche.
" J'ai perdu la tête lorsque j'ai capturé votre épouse," admit le prisonnier.
Cela surprit le bourreau.
Avait-il perdu la tête ? Il ne pensait pas. Il était toujours conscient de ses actes et de ses décisions.
" J'ai tué votre femme parce qu'elle refusait de me laisser partir," reconnut l'officier.
" Qui vous a donné les ordres ? Il me faut le nom des chefs du bureau central ! Vous étiez en poste dans les montagnes, c'était votre section mais nous savons qu'il existe un quartier général de la résistance !
- Vous en savez des choses..."
Le terroriste n'avait plus la force d'ouvrir les yeux.
Exsangue.
Affamé.
Assoiffé.
Fatigué.
Blessé.
" Vous savez que votre femme m'a parlé ?, demanda tout à coup le chauffeur.
- Cela ne m'étonne pas.
- Elle m'a donné l'adresse de votre garçonnière.
- Elle ne m'aimait pas et je ne l'aimais pas. Vous y êtes allé ?
- J'ai vu.
- Vous en pensez quoi ?"
Le commandant ouvrit ses yeux ternes et regarda le bourreau bien en face.
" Vous avez peut-être choisi le mauvais camp...
- Peut-être... Alors ces noms ?"
L'avis de décès fut déposé sur le bureau du Chef à trois heures du matin le samedi 4 avril XXXX.
Il portait comme mention : " Mort à cause des rigueurs de la prison."
Le chef l'examina et eut un mouvement de colère.
Mais l'officier sourit en déposant un deuxième rapport sur le bureau.
Celui-ci mentionnait un nom.
Le chef le vit et ouvrit de grands yeux.
" Qu'est-ce ?
- Le chef de la section locale de résistance, monsieur."
Nous sommes les plus forts.
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