Voilé
Il est presque minuit. La lune, pleine, ronde, caresse de sa lumière blafarde les quelques meubles occupant la chambre, projetant partout des ombres dansant au gré des nuages venus tenter de la dissimuler. Qu’ils passent donc. Qu’ils se fatiguent. Qu’ils s’échinent à la masquer au Monde. Rien ne saurait l’empêcher d’exister.
Les lumières de la ville sont sans doute parvenues à priver le ciel de ses étoiles, mais elles ne sauraient renier leur existence. Elles sont là, lointaines, brillant derrière ce voile de lumière artificiel.
Il est comme ces étoiles.
Les autres sont ces lumières.
Il observe dans le lointain ces ombres qui continuent de s’activer frénétiquement, comme cherchant à quitter celui dont elles sont issues, souhaitant pour un temps n’être autre chose qu’elles mêmes, des êtres animés, libres, affranchis de toutes règles.
Mais les ombres ne dépendent que de la lumière, tout comme son existence ne dépend que de celle qui saura la voir.
Car c’est ce à quoi il aspire en secret chaque soir, tristement éclipsé par le rideau de lumière froid derrière lequel il se sent peu à peu disparaitre.
Il aimerait qu’on le voie pour ce qu’il est, sans artifice, sans devoir briller davantage que ce que sa flamme lui permet.
Il est persuadé que son existence réside dans le regard que l’on pourra porter sur lui. Dans ses rêveries, rien n’existe au-delà du sien. Il peut en un instant, d’un simple mouvement de paupières, faire disparaitre le Monde. Le Monde visible. Le Monde physique, matériel.
Il peut priver de forme, de contour, de texture, tout ce qu’il ne touche de ses yeux.
Pourtant, il le ressent, il reste quelque chose. La trace résiduelle de l’essence. Imperceptible pour celui qui ne sait poser son regard avec attention. Irradiant pourtant autour d’elle avec force pour quiconque saurait apprécier de ses sens tout ce que chaque être peut offrir.
Alors il attend. Il attend que l’essence de son âme traverse le ciel pour venir trouver le regard de celle qui saura lui faire ressentir qu’il n’est pas une simple enveloppe vide, un astre terne rendu invisible par les artifices terrestres.
Il attend patiemment, sans bouger, sans chercher à provoquer des mouvements qui dénatureraient ce qu’il est.
Puis la nuit prend fin, vidant le ciel de ses lumières éparses pour laisser place à celui venu chauffer le Terre.
Il reviendra demain.
Il reviendra chaque jour, s’installer dans l’espérance. Il reviendra en vain. Plus personne ne regarde le ciel.
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