Oubli
Il se dresse fièrement dans son habit de bois, la mine joyeuse, toujours prêt à s’offrir aux services du plus prompt.
Il ne cesse de s’émouvoir des moindres traces laissées séant dans le sillon de son passage.
En voici justement une sujette à l’accueillir. Elle est belle, elle est pleine, droite comme la lampe qui l’éclaire, la sublime.
Attentif, il s’approche, sans brusquer les choses, sans risquer d’esquinter celle qui déjà semble céder sous ses premières caresses.
Les premières volutes tracées épousent avec perfection les lignes de son corps. Un léger feulement semble s’échapper tandis qu’il s’affère à faire courir sur elle l’extrémité pointue dont il sait faire jaillir toute chose sans effort.
Les contacts se font plus vifs, plus soutenus. Il suffirait de tendre l’oreille pour l’entendre gémir du plaisir dont elle est envahie. Elle s’abandonne, oubliant un instant ce qu’aucune n’ignore. Elle n’est qu’un passage, un trait tiré vers l’après, vers l’ailleurs.
Il disparaitra bientôt, glissant jusqu’à une autre, après l’avoir emplie de toute sa substance. Elle n’en sera pas vexée. Elle n’en retiendra aucune contrariété. Elle n’était rien avant lui, elle n’existait que dans son attente. Elle sera tout après son passage, elle appartiendra à l’infini, ses gestes à jamais gravés dans sa peau.
Mais soudain tout cesse, tout prend fin. Il s’écroule avant d’avoir pu terminer son ouvrage. C’est l’incompréhension, la stupeur.
Une lumière vive vient d’envahir l’espace. Les yeux se plissent, les sourcils se froncent, les regards se chargent de curiosité.
Une autre présence. Une présence froide, austère, semblant jouir d’une omniprésence implacable.
Il roule sur le flanc avant de s’immobiliser dans un dernier râle.
Elle en est persuadée, la lumière est seule responsable du spectacle qu’elle contemple, impuissante.
Puis c’est l’horreur. Le fracas des doigts s’abatant contre les morceaux de plastique blanc, le rythme effréné, l’absence de respiration, les lignes qui n’en finissent plus d’apparaitre et de disparaitre sous les coups toujours plus violents.
J’ai délaissé le bois pour le plastique. J’ai préféré le froid à la chaleur, l’immobile à la vie. J’ai cessé de tracer des lignes. J’ai laissé la lumière s’en charger.
Assis derrière mon ordinateur, je regarde tristement un crayon dont j’ai oublié l’existence, dépossédé de ce qui faisait son sel, sevré de contact avec celles qui n’attendent que lui et dont elles se trouvent désormais privée.
J’ai posé mes premiers textes sur du papier, contemplant la nature qui m’entourait alors. Je pose ce dernier texte sans rien observer d’autre que des doigts frappant contre des dalles à ressort.
Il aura fallu un crayon oublié. Demain, je renoue avec la feuille.
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