Des goûts, pillés.
C'est décidé, finie la vie d'artiste, Drag queen, c'est sympa, mais c'est peu lucratif.
Je vais devoir travailler.
Et de mes mains, pour changer.
La responsable du personnel qui me reçoit dans son bureau a dû faire carrière dans l'administration pénitentiaire. Une belle matrone large comme un frigo américain, aux cheveux rassemblés en chignon, si serré que le moindre clignement de ses yeux fait osciller la boule parfaite au sommet de son crane. Justement, deux petites prunelles de musaraigne cocaïnomane me fixent avec sévérité, derrière d'épaisses lunettes à monture de plastique noir. Je n'ai pourtant pas joué la coquette : une simple petite robe de coton imprimé, coiffure sage et maquillage discret. Peut-être est-ce mon aspect plutôt frêle qui la dérange ? Je ne postule pourtant pas pour un poste de déménageuse de piano.
Hôtel de luxe recherche femme de chambre, références exigées.
Je me suis dit, ça, Léopoldine c'est pour toi. Le combo luxe/femmes/chambre, c'est complètement moi. Je n'ai qu'une seule et unique référence, mais je peux surement faire des photocopies, non ?
— Mademoiselle Léopoldine, asseyez-vous, je vous prie.
J'obtempère sans délai, croisant mes jambes gainées de nylon couleur chair, puis pose mes mains aux ongles parfaitement manucurés sur mes genoux.
— Vos références et vos certificats de travail. Merci. Mais...Mais, il n'y a qu'une feuille, et votre dernier emploi, chez un particulier de surcroit, date d'une vingtaine d'années !
— J'ai beaucoup profité de la vie, c'est vrai...
— Cela ne plaide pas en votre faveur. Si l'on ajoute à cela que vous n'avez pas l'air bien... résistante, c'est mal parti pour vous. Femme de chambre, c'est un métier physique, vous savez. Voyons votre CV, je ne veux pas vous juger... hâtivement, me dit-elle en me jetant un méchant regard en coin.
Elle ouvre l'enveloppe que je lui ai confiée.
— Alors... voyons... Léopold Ine, OK. Âge, d'accord. Adresse, très bien... Sexe : Masculin. C'est une coquille ?
— Euh, non, je ne porte pas de coquille, pas besoin, une petite culotte fait l'affaire.
— Répondez-moi : êtes-vous de sexe masculin ?
— Bien sûr. Pourquoi, vous n'aimez pas les hommes ? Personnellement, cela ne me pose aucun problème si vous préférez les femmes, hein ! Cela nous fait un point commun, dis-je avec un petit clin d'œil de complicité.
— Non mais ! Bien évidemment que j'aime les hommes ! Pour qui me prenez-vous ?
— Ah, je me disais aussi ! Cet air de louve affamée, ces courbes généreuses, ce corps fait pour le plaisir... Femme à lunettes, femme à quéquettes, n'est-ce pas ! Petite coquine, va !
— Mais, Mademoiselle, euh... Monsieur, vous êtes folle !
— Le terme de folle est un peu insultant et passé de mode, mais par égard à votre âge avancé, je ne vous en tiendrai pas rigueur.
— Fou ! Je voulais dire, vous êtes fou ! Bon, ça ne va pas du tout : nous cherchons des femmes de chambres, pas des hommes de ménage.
— C'est parfait alors : je peux être les deux, si vous changez d'avis plus tard. Donc, je commence quand ?
— Jamais ! Vous n'avez pas de références assez solides pour occuper ce poste.
Je sors de mon sac à main un paquet de cartes postales maintenues par un ruban rose.
— Ah, mais je ne vous ai pas tout montré ! Des témoignages de mon efficacité, j'en ai des tonnes ! Tenez, au hasard, de la part de Richard, de Menton : "Vous êtes très accueillante, puis-je venir avec un ami la prochaine fois ?", de Marcel, de Lyon : "Encore merci ! Mais j'ai perdu ma chevalière, pourriez-vous vérifier si je ne l'ai pas laissée à l'intérieur de ..."
— Suffit ! Vos turpitudes sexuelles ne m'intéressent pas !
Je joue l'offusquée :
— Vous avez l'esprit bien mal tourné, madame ! Ces lettres concernent un petit appartement avec vue sur mer que je loue l'été. Richard veut savoir s'il peut venir avec son amant, quant à Marcel, il avait oublié sa bague dans le coffre que je mets à disposition des locataires ! Je suis outrée ! Je pourrais porter plainte, vous savez !
Elle se lève et tombe à genoux devant moi.
— Pitié ! Ne dites rien à la direction ! Je suis en sursis depuis que j'ai détourné des barquettes de Nutella en cuisine il y a dix ans ! Encore une erreur et je suis à la porte ! Corrigez-moi, fessez-moi, mais ne dites rien !
Elle se retourne alors, désignant du bout de sa règle son postérieur rebondi, puis attend sa punition, les mains posées au sol.
Belles miches, mais je ne mange pas de ce pain-là.
— Levez-vous, Madame. Et, permettez-moi de sortir de cette pièce, sinon j'appelle l'agent de sécurité.
— Qu'il vienne aussi ce fripon ! Et avec sa grosse matraque et ses grenades, chargées à bloc !
Elle pète un cable, la pauvresse. Elle a retiré sa culotte, large comme une montgolfière familiale, et commence a en manger l'élastique, tout en roulant des yeux fous.
Je crie Au Viol ! Au Secours !
La porte s'ouvre brusquement, la serrure arrachée par la pression de la Ranger de cuir noir qui a percuté le battant. La porte n'étant pas fermée à clé, c'est un peu extrême, mais ça met de l'ambiance. Bon, je suis sauvée.
— Monsieur, vous me sauvez, seul le courage, dont votre sexe fait habituellement preuve, pourra me soustraire aux appétits de cette furie, crié-je malgré moi en direction de mon sauveteur .
Jouant négligemment avec sa matraque de latex, le militaire me regarde, l'œil brillant.
— Sauf que moi, c'est Madame, ma belle. Ou Natacha, si tu veux être plus... intime.
Plaçant sa matraque derrière ma nuque, elle m'attire contre elle et m'embrasse à pleine bouche. La dernière chose que je vois avant de fermer les yeux sont ses pendentifs d'oreilles, une paire de grenades dégoupillées.
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