Une dernière lettre

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Bonjour Madeleine.

Quand cette lettre te parviendra je serai déjà sûrement de l'autre côté du monde. Je t'écris, non pas pour te raconter toute l'horreur que je vois ici, mais pour te dire que tu n'as plus à souffrir de mon absence, chérie.

Et si tu m’as aimé un jour tu comprendras toute la peine qui ravage mon cœur et tu te diras sans doute que tu ne pouvais rien et que c’est mieux ainsi. Tu ne souffriras plus je te le promets, mon amour. Nous aurions vécu le temps d’une danse, nous aurions vécu l’amour que jamais il nous était permis de vivre mais comprends que maintenant je ne peux plus retenir mes larmes. Je ne peux plus supporter que tu sois chaque jour sans savoir si je suis en vie ou non. Je pleure, mon amour. Tout le monde pleure ici.

T’aimer m'est devenu trop dur, trop douloureux. Les mots que je couche ici resteront à jamais gravés au fond de mon âme, même lorsque la tombe me fera prisonnier de la terre. Ils sont la dernière lame qui brisera pour toujours ma raison. Je ne peux plus laisser mon âme défaillante entre tes douces mains. Elles me font trop de bien et trop de mal à la fois pour que je puisse continuer. J’aurais voulu tout t’offrir, te donner tout le bonheur du monde mais je ne pus t’apporter que larmes, peurs et douleurs. Tu souffres trop avec moi.

M’aimes-tu?

Oui?

Donc tu comprendras pourquoi je te pose ici mes derniers mots. Éloigne toi de ce monde de violence, oublie la guerre. Va chez ta mère, elle sera contente de te voir.

Pour moi, plus jamais je ne parlerai, je n’écrirai, plus jamais je ne penserai. Tu as pansé bon nombre de mes blessures et pourtant de nouvelles apparaissent toujours. La guerre a fait fuir mon âme, tu le sais. Tu n’as plus à avoir peur pour moi. Tu ne souffriras plus. Je t’en fais la promesse. Le temps guérira tout je te le jure. Et même s’il ne te délivre pas tout à fait de ton chagrin, dis-toi toujours que celui que tu as tant chéri est serein dans le néant. J’ai tant espéré, tant désiré, tant attendu. C’était tout bonnement écrit que je me retrouve seul loin de toi. Mon arrogance et mon égoïsme ne te blesseront plus. Tu ne voulais pas que je parte mais je devais me prouver à moi même que je n'étais pas un lâche comme mon père. Mais finalement être lâche c'est ce que je suis. Je t'ai laissé seule et sans défense. Et tu l'es depuis bientôt un an.

Le souffle de l’amour douloureux je l’enterrerai sous ma tombe. Plus profond encore que mon corps putride, il sera loin de toi. Moi qui n'ai jamais su te protéger je veillerai sur toi, même mort. Oui je préfère enterrer mon âme plutôt que de me tuer à trop penser. L’histoire ne connaîtra jamais mon nom. Les livres n’existeront pas. Je ne vivrai qu’au travers du vague souvenir que tu auras de moi dans quelques années. Je m’éteindrai avec toi. Mes idées malsaines dans mon crâne, mes idées pures dans le tien. Souviens-toi de moi dans ma joie et non dans ma colère. Oublie tout le reste. Oublie ma haine, ma peine, mes blasphèmes. La poésie du doux amour n’était pas pour moi. Je fais partie de ces gens réfractaires qui fuient dès leur naissance.

Les défaitistes, les pessimistes, n’ont pas droit à l’absolution. Les heureux vivent pourtant moins longtemps. Comme si Dieu avait choisi de faire durer la souffrance de ces gens souffrants plus de temps. Tu comprends maintenant pourquoi je n’allais pas à l’église avec toi ? Non que je n’étais pas croyant, mais parce que je suis un enfant oublié de Dieu et les cieux en sont témoins. Peut-être que quelqu’un m’attend là haut, peut-être aurai-je ma place parmi les nuages. Qui sait ?

Jean est mort, il y a deux jours. Il n'a pas supporté la mort de son fils la semaine dernière. Sa femme ne le sait pas encore.Ne lui dis rien s'il te plaît je le ferai.

Mais Madeleine, pour en revenir à nous, j'ai une dernière requête.

Mes derniers mots, ne les oublies pas, sont pour te dire à quel point je t’aime. À quel point tu m’as grandi. Mais même dans mon dernier adieu je suis égoïste...

Me pardonnes-tu?

Je comprendrai si tu voulais répondre "non". Et je comprends la haine qui peut ravager ton coeur. Je ne mérite pas le pardon. Je ne mérite même pas la mort. La déchéance de mon âme, la brisure de mes pensées, l’abandon de mon corps ont maudit la beauté. Ils ont bafoué la bonté.

Va à l’église, voilà ma dernière demande. Pries pour moi, une dernière fois. Sois une ultime fois mon amour et sois une dernière fois bonne avec moi. Pris Dieu de me laisser en paix dans ma mort. J’ai prié pour toi. J’ai demandé ton bonheur, tu mérite de connaître l’amour après moi. Tu mérites tout ce qu’il peut y avoir de beau et de bon sur terre.

À chaque pas que tu feras je serais de l’autre côté du miroir. Tu marcheras sur mes mains. Je te soutiendrai dans la vie qui te reviens.

Maintenant, si quand tu vois cette lettre tu es triste, tu te souviens du malheur, si tu éprouve de la rancœur, si ne vois en moi plus qu'un soldat, si tu ne vois plus que celui qui va mourir, brûle la. Acharne toi sur ce plis, déchire le, détruis le. Et si le souvenir de ma chair, de mon visage, et de ma voix te fais mal, détruis cette lettre aussi. Si je te fais encore souffrir, détruit moi. Je comprendrai.

Alors j’espère de tout cœur que tu comprendras toi aussi que je ne t’en veux pas. Tu auras fait ce que tu avais à faire. Ma carcasse ne sera que plus légère si je te sais heureuse. Et dans la putréfaction qui m’attend je sourirai. Je n’ai plus peur de mourir. La guerre m'appelle.

J’avais juste trop peur de vivre.

Je t’aime ma Madeleine.

Juin, 1916.

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