Contrepartie
Le jeune homme déchanta bien vite car parmi les mails de félicitations reçus de la part de sa famille, figurait un message de son oncle, « tonton magot ». Lui-même médecin, il s’était tout de suite proposé pour financer les études de son neveu et ce, sans conditions particulières. L’homme, qui approchait de la retraite, ne s’était jamais marié, n’avait pas d’enfants et par conséquent possédait des moyens financiers importants. Malgré cela, Alex le connaissait peu. En vérité, il n’avait aucun souvenir de lui. Ses parents lui avaient alors dépeint quelqu’un de bizarre, d’excentrique mais qui prenait son travail à cœur.
Voilà maintenant quelques années, « tonton magot » avait décidé de se rapprocher de ses racines et avait intégré un cabinet médical dans la ville où lui et sa sœur, la mère d’Alex, avaient grandis. La même ville où Alex avait passé son enfance et fuit le plus vite possible.
Avec une certaine appréhension, il cliqua sur le message électronique dont l’objet était tout simplement « enfin ! ». Le jeune homme parcouru rapidement les quelques lignes écrites par son oncle, puis, incrédule, le relu une seconde fois dans la foulé.
— What the fuck ! laissa-t-il échappé, putain, mais c’est quoi ces conneries ? Il rêve éveillé lui ! s’exclama t-il enfin dans un éclat de rire.
Les yeux rivés sur son écran d’ordinateur, il ne pouvait s’empêcher de lire encore et encore le message de son oncle avec un mélange d’angoisse, d’incrédulité mais surtout, de dérision:
« Alexandre, mon cher neveu,
C'est avec une grande émotion que je te félicite pour l'obtention de ton diplôme… enfin, il était temps… »
— Au moins, les nouvelles vont vite dans la famille ! relativisa le jeune homme.
« C'est une véritable fierté pour moi d'avoir contribué durant de nombreuses années à ta réussite.
Maintenant que tu as ton diplôme de médecine générale, je t'attends avec impatience dans mon cabinet afin que tu puisses me remplacer, j’ai déjà tout arrangé.
Grâce à toi, je vais enfin pouvoir m'accorder quelques vacances d'été digne de ce nom et je t'en remercie d'avance. Je t’attends donc dès la semaine prochaine afin de t’expliquer en détail le fonctionnement du cabinet.
Mes amitiés à tes parents.
À lundi prochain.
Ton oncle Henry »
Lorsqu'il avait quitté sa petite ville natale pour étudier dans le sud de la France aux frais de son riche oncle, Alexandre s’était bien douté qu'il devrait lui renvoyer la pareille. Cependant, il ne s'attendait pas à le faire au lendemain de sa remise de diplôme. À vrai dire, il avait déjà tout planifié avec ses deux compères. Il allait passer quelque temps à Biarritz pour taquiner les vagues et draguer les belles naïades, en général pas insensibles à ses charmes, avant d’intégrer la clinique privée du père de Brice.
Le jeune homme savait pertinemment que la plupart des gens le trouvaient arrogant et vaniteux. Mais n'en déplaise à ses détracteurs, de son point de vue, il avait tout : la beauté, l'intelligence et si tout se passait bien, l'argent.
Il avait fini très bien placé dans le classement de sa promotion et dans son esprit, il n'aurait qu'à claquer des doigts pour obtenir tout ce qu’il voulait et dans plusieurs années se ranger pour peut être même fondé une famille.
Pendant son internat, il n'avait côtoyé que des gens comme lui, avec un égo qui ne passait pas le cadre des portes d’un hôpital. Alors, remplacer son oncle dans sa petite ville natale n'avait jamais fait partie de ses options.
Payer ma dette, ok, mais faut pas déconner non plus ! pensa t-il avant d’aller faire une sieste après tant d’émotions.
À son réveil, il avait les idées plus claires, hors de question qu’il cède à ce chantage honteux et il décida tout bonnement d’ignorer le mail de tonton Magot, au pire, il prétendrait n’avoir rien reçu. Cette résolution prise, il rejoint ses amis et passa une nouvelle soirée mouvementée et arrosée.
Lorsqu’un taxi le déposa chez lui sur les coups de six heures le lendemain, le jeune homme eu le genre d’idée qui ne peut sembler bonne qu’après plusieurs verres. Malgré l'heure matinale, il prit son téléphone et décida d’appeler son oncle pour décliner son offre mais surtout, lui expliquer le fond de sa pensé sur ses méthodes.
Alors qu'il s'attendait à avoir une tonalité, il y eut un bruit dans le combiné semblable à la réception d'un fax. Il regarda son écran pour s'assurer du numéro et c'était pourtant bien celui là. Il raccrocha et tenta un second appel avec le même résultat. Agacé, il posa son téléphone sur la table basse, alluma sa télévision sur une chaine d’information en continue et se figea, comme absorbé par l’écran. Quelques minutes passèrent ainsi puis il eu une seconde idée : ses parents habitaient la même ville, peut être pourraient-ils lui communiquer son nouveau numéro. Sans même penser qu’il pourrait les réveiller, Alex coupa le son du téléviseur et composa le seul numéro de son répertoire qu’il pouvait faire les yeux fermés. Une nouvelle fois, un son étrange se fit entendre ce qui commença à l’inquiéter. Il avait bu certes, mais pas au point de ne plus pouvoir appeler ses parents. Tout en gardant le téléphone à l’oreille pour voir si ce bruit cessait à un moment, il se prépara un café pour remettre ses idées définitivement en place. Alors qu’il se servait une tasse, son œil fut attiré par la télévision en face de lui. Il se rassit sur son canapé, posa le téléphone près de lui et scruta l’écran avec attention :
Un jeune journaliste de la chaine d'informations se trouvait dans l'effervescence d'une foule et semblait faire un état des lieux aux présentateurs qui l'écoutaient religieusement. Alexandre chercha alors frénétiquement sa télécommande et remit le son qu’il avait coupé quelques minutes auparavant. Plus que le journaliste ou la foule, c'était surtout le panneau devant lequel tout ces gens s’agglutinaient qu’il avait repéré : Droche. Sa ville natale.
Prenant un air solennel, le jeune journaliste semblait tout de même savourer l'attention qu'on lui portait :
— Alors, Jean Sylvain que pouvez-vous nous dire de plus sur cette étrange histoire ? demanda le présentateur.
— Et bien, pour l’heure, tout est encore confus Hugues. Je me trouve à quelques mètres de Droche, ville côtière de dix milles habitants dont une grande partie travaille pour la base militaire, qui est, je le rappelle, la plus grande d'Europe en matière d'engin nucléaire. Il y a six heures de cela, le monde extérieur a totalement perdu le contact avec la ville. En d'autre terme, plus de connexion internet, de téléphone ou même d'ondes radios. Ce qui, vous vous en doutez, provoque un vent de panique au sein de la population environnante mais aussi des autorités. Certains témoins ont aussi rapporté avoir vu au loin les éclairages de la boite de nuit très populaire de Droche : le Qeep Going, se couper, mais impossible de vérifier ces dires puisque les forces militaires de la base ont eu l'ordre de bloquer toutes les voies d'accès à la ville. D’autres évoquent même maintenant l’éventualité d’une attaque terroriste sur la base.
— Que vous ont dis les militaires justement, est-ce une simple mesure de sécurité ? Peut-il s'agirent d'une fuite nucléaire ?
— Ici, Hugues, le silence est de mise, personne n'a accepté de répondre à nos questions, d'où la gronde des personnes autour de moi qui ne savent pas ce qu'il se passe ni pourquoi personne dans la ville ne semble être réveillé. Alors, attaque terroriste ou simple panne électrique ? Tous les scénarios semblent encore envisageables.
Le journaliste fut alors bousculé par plusieurs badauds agglutinés autour de lui et l'un d'eux en profita pour saisir le micro de ses mains :
— C'est inadmissible, j'étais en déplacement et je rentrais tôt ce matin quand les bidasses en folie m'ont empêché de rentrer chez moi. Impossible de téléphoner à ma femme pour savoir ce qu'il se passe là-bas. Personne ne nous tient au courant, c'est une honte. Ah, elle est belle la république! hurla cet homme en costume face à la caméra.
Un peu paniqué, le jeune reporter lui sauta dessus, mais sans défaire sa coupe parfaite, et réussit à reprendre le control du micro. Après un temps de flottement, il reprit son exposé :
— Comme vous pouvez le constater, la tension monte, les esprits s'échauffent. Alors, devons-nous craindre le pire ? Sommes-nous actuellement tous en danger ? Je crains Hugues que nous devions tous attendre... Pour avoir des réponses.
— En effet, vous semblez au cœur de la tourmente, pour ne pas dire, de l’actualité, lança le présentateur en souriant. Merci Jean Sylvain pour votre sang froid et n'hésitez pas à nous faire part de toute nouvelle information. Un peu de sport à présent avec un dernier record....
Alexandre éteignit la télévision, abasourdi par ce qu'il venait de voir. Était-ce vrai ou bien un canular ? Avait-il autant bu ?
— Allo ? Allo ? Il y a quelqu’un au bout du fils ? Ca vous amuse d’embêter les gens à cette heure ?
Le jeune homme cru d'abord devenir fou et eu la peur de sa vie. Puis il réalisa qu'il n'avait pas raccroché son téléphone et que cette voix ressemblait fortement à celle de son père. Il saisit son portable laissé sur la table.
— Papa ? C'est toi ? Mais qu'est-ce qu'il se passe chez vous ? s’inquiéta Alex.
Son père avait une voix encore endormie.
— Alexandre? C’est bien toi ? Mais de quoi parles-tu? Tu appelles en pleine nuit, tu as un problème ?
— En pleine nuit ? Il est …six heure trente du matin, réalisa t-il, embarrassé.
— Quoi ? Tu te trompes, mon réveil indique une heure du matin.
Un silence suivit ses mots, mais Alexandre reconnu au loin le bruit des volets roulants qui s'ouvraient.
— Mais tu as raison. Mon réveil a dû se bloquer. C'est étrange, d’habitude nous nous réveillons toujours à la même heure, ta mère et moi...Mais tiens, encore félicitations pour ton diplôme, je suis si fier de toi. Pourquoi voulais-tu nous parler au fait?
— Damned ! lâcha Alex, agacé.
— Qu'y- a-t-il fils ?
Certes, son allure nonchalante et son ambition dévorante irritaient plus d’un, mais il était indéniable qu’Alexandre Cotelet était un médecin consciencieux. Pendant son internat, il avait eu à faire à des patients dont les symptômes, comme la perte de notion du temps, présageaient une maladie plus grave. Aussi, la réaction de son père l’alerta immédiatement et il ne pouvait pas rester sans rien faire. Alors que quelques minutes plus tôt il aurait préféré se pendre plutôt que de prononcer ces mots, il annonça à son père la grande nouvelle :
— Henry m'a proposé de le remplacer cet été au cabinet, confessa-t-il avant de pousser un dernier soupir, et j'ai accepté. Je serais là lundi prochain.
— Fantastique, ta mère va être aux anges ! Nous allons te préparer la petite maison au fond du jardin.
— Ouais...Génial, bonne idée. Je vous laisse, prenez soin de vous, finit son fils en raccrochant.
Le jeune homme passa le reste de la journée à regretter ses mots mais maintenant, il était prit au piège et ne pouvait plus faire marche arrière. En apprenant la nouvelle Brice éclata de rire à l’idée d’imaginer son ami dans une petite ville. Il lui fit promettre de le tenir régulièrement au courant de sa vie pendant que lui et Gauthier iraient prendre du bon temps au soleil.
Le père de Brice fut quant à lui moins moqueur et accepta de retarder son embauche de quelques semaines. C’était la plus grande crainte d’Alex et en même temps, s’il avait refusé de décaler sa venue, cela aurait été une bonne excuse pour ne pas retourner à Droche.
Allez, deux mois c’est pas la mort, se convint-il en appuyant sur le bouton envoyer du mail qu’il avait rédigé pour son oncle.
Le reste de la semaine, à contre cœur, il avait regroupé les affaires nécessaires à son séjour et c’est ainsi qu’avec tristesse, il n’emmena pas son nouveau short de bain mais à la place, la paire de bottes que lui avait offert Gauthier et Brice pour le narguer.
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