Partie 03
Voilà déjà plusieurs mois que je sais la vérité sur les secrets de cette demeure familiale. Sur ce qui y vit, tapi dans une éternelle apparence juvénile. L’hiver arrive, et bientôt, nous célébrerons la nouvelle année. Oui. L’an 1509 s’annonce comme l’année où je le retrouverai.
Ces derniers mois furent difficiles. Je me devais de remettre en état le bureau caché, ou devrais-je dire laboratoire, d’oncle Antonio. J’ai dû retrier les nombreux ouvrages, et Pehiros ne m’aidait nullement. Il continue de jouer le rôle de Niña au quotidien. J’ai appris que sa magie lui permettait d’embrumer l’esprit des faibles : c’est ainsi que le commis n’a jamais vraiment fait attention à son allure intemporelle depuis que j’ai repris possession des lieux. Cependant, j’ai arrêté de me rendre auprès de Julieta et Rafael à Barcelona depuis. Cela les a surpris, mais j’ai trouvé un bon prétexte. Je travaillerai sur une sculpture parfaite. Les miens m’ont donc laissé dans mon coin, et pour les rares visites qu’ils octroient : j’avance un peu une sculpture factice.
Le rangement terminé, le tri effectué, il m’a fallu changer du matériel. Ce fut plus compliqué, mais je trouvais des contacts et des informations contre l’argent nécessaire. L’occulte hein ? Je n’aurais jamais cru plonger dans ce monde un jour. Et pourtant, je m’y sens comme un poisson dans l’eau ! Probablement que les susurres de ce démon facilitaient les choses. Il peut parfois me parler des heures des scènes qu’il a surpris entre Ximo et moi. Il éveille alors mon envie de le voir, de le toucher, de le goûter. Mes sens sont fous, et je ne porte plus d’attention à grand-chose.
Peu m’importe d’être amaigri, si je peux le revoir, le retrouver au plus vite. J’ai épluché les écritures de mon oncle, je sais enfin comment m’y prendre.
La première étape est compliquée… Je me dois de trouver les ossements de son squelette. Joaquim a brûlé, alors, je dois reconstituer un squelette humain de toutes pièces. Je pense aller piller quelques tombes, mais la langue de vipère de Pehiros me donne une bien meilleure idée. Aucun ossement d’un tiers ne serait similaire à la structure de mon aimé.
Je pris sur moi, rongeant mon impatience, pour créer chaque ossement. Alors que j’avance, que je tâtonne, je me rends compte que je manque de modèle. L’argent me permet donc d’acquérir des ossements humains. La discrétion est de mise, car je sais ce que je risque si je suis découvert. Et il est hors de question que j’offre cette satisfaction à ce Dieu absent !
Au final, j’utilise mes talents de sculpteur pour me faire des moules dans lesquels je coule le métal. L’ossature de métal est fin prête. Je glisse mes doigts dessus, amoureux. Mon Ximo, tu seras bientôt auprès de moi mon amour. Là, je laissais la base sur la table métallique. D’après Pehiros, elle était indispensable pour la partie sur les Cieux. Mais n’en étant pas encore là, je ne cherchais nullement les détails. Non, il y a plus compliqué.
« Pehiros… Il est inscrit ici qu’il faut recomposer le corps, non ? Mais, dis-moi, comment est-ce possible ?
— Ah… La partie la plus amusante, si tu veux mon avis ! » me susurre-t-il en rigolant.
Je le sens se glisser derrière moi, avant qu’il ne vienne me serrer contre lui. Je ne peux empêcher une trace de dégoût sur mon visage à ses actes. Après tout, le corps qu’il utilise était la copie de l’apparence de la fille de mon oncle, non ? En somme, ce sont les traits d’une lointaine cousine morte avant d’être adulte. Il le sait, et il aime jouer de cela. Pourtant, son air pensif me surprend d’autant plus lorsqu’il se transforme en un sourire carnassier l’instant suivant.
« Tu vas devoir te plonger dans des pratiques païennes, mon petit Natan… Tu trouveras ce qu’il faut dans les écritures sur les pays de ceux que tu nommes "Sarasin"… Il y a tout ce qu’il faut savoir pour conserver un corps. »
Sa réponse me laisse perplexe alors qu’il s’en va en fredonnant. Curieux, mes pas me portent vers les livres dont il parlait. Par chance, ces derniers sont annotés par mon oncle. Pendant ma lecture, je comprends pourquoi ce fichu démon était autant amusé. Les ingrédients ne seront pas faciles à trouver et les intégrer sera délicat. Cela comprend les organes vitaux, les cheveux, la peau et les yeux. Chacun devra être à sa place dans le squelette, avant que je ne recouvre le tout de la peau. C’est la magie du Divin, la troisième étape, qui rendra le tout fiable sous les pouvoirs de Pehiros…
Un bruit sonore indique la fermeture du grimoire suivi par un rire qui s'empresse de quitter ma gorge. Oui ! Il ne manque plus que les composants ! Rien d’autre que les futurs morceaux de ton être, mon Ximo. Bientôt, tu seras auprès de moi…
Le livre dans ma main reprend place au milieu des documents, et mon air tendre, amoureux, ne peut que rêver de ce futur qui s’approche.
« Pehiros… Le commis a bien les yeux verts, non ? Et ta magie peut embrouiller l’esprit… » murmurais-je donc.
Le sourire qui me répondit fut suffisant. Oui, il m’aidera car c’est son intérêt. Lorsque le commis vint avec nos denrées, il ne quitta jamais la demeure. Il avait été si aisé, alors qu’il allait s’en aller, de trancher cette gorge et d’énucléer ce qui sera sien. Car ces yeux, à l’éclat semblable à mon Ximo, ne pouvaient qu’avoir été volés par ce gueux, voyons. Oui, les yeux de Mon Joaquim… Je suivais les indications de différents grimoires pour conserver ces billes qui me faisaient vibrer, me plongeaient dans le passé et m’offraient l’avenir en rêve. Un bocal que chaque jour, j’appréciais d’observer.
Quelques jours après son escamotage, on vint au domaine nous annoncer sa mort. Il avait été retrouvé dévoré par des charognards et on supposait une attaque de Loups. Mon masque sur le visage, je jouais l’homme accablé de chagrin face à cette perte. J’offrais même une récompense pour celui qui trouverait ces fameux loups. Finançant cette battue, je me fis bien voir. Au village, j’étais le grand homme sensible et aimant le peuple.
Cela me prit du temps, mais je passais des accords avec quelques brigands. Ils m’apportaient des hommes, des voyageurs. Ainsi, je pus récolter les organes que je cherchais. Les prélever alors qu’ils étaient encore vivants, hurlants, cela me permettait de mieux les conserver une fois mis dans le mélange de ces vieux textes arabes. C’était comme les transformer en cire, mais selon Pehiros cela suffisait. Le plus dur arriva après plusieurs mois : je ne me satisfaisais point de la situation. Où allais-je trouver une peau aussi parfaite que celle de mon Quim ? Où trouverais-je ces cheveux un peu rêche mais d’un brun envoûtant ?
Finalement, je retournais à Barcelona. Écumant les bars et tavernes du bas-peuple, je trouvais un ancien soldat à la jambe manquante qui avait la bonne chevelure. « Niña » avait dû rester chez ma chère sœur et mon cher beau-frère… Mais peu m’importait. Je l’avais acculé dans les égouts de Barcelona je l’avais poussé à me suivre. Il pensait que je lui donnerais de l’argent, je n’avais cure de quelques pièces voyons ! Mais une fois seul, je m’étais emparé de ma lame pour lui transpercer le cœur. Longuement, je tailladais sa gorge pour observer cette odeur familière et ce flux rouge sombre fascinant. Les gargouillis du sang et de ses tentatives de cris me firent ricaner, alors que je récupérais son scalp. Oui… Bientôt, bientôt. Il me faudrait faire attention mais désormais, il me fallait uniquement la peau.
J’avais fini dans un vulgaire tripot pour me nettoyer et me changer. Le genre de lieux où seuls les gredins et les malfrats venaient… Mais avec mon corps amaigri, mes cheveux longs en catogan, et mon air fou alors que j’observais le tissu où reposait mon bien, on me laissa en paix.
J’attendis à peine l’aube pour repartir. Annonçant à ma sœur, l’air jovial et si frais, avoir trouvé l’Illumination ! Je vins la prendre dans mes bras, l’embrasser comme un frère, et rire en la remerciant. Oui, j’avais trouvé la bonne chevelure en venant chez elle, et Rafael. Je repartis comme un coup de vent, en sifflotant gaiement. La peau ? Il y avait bien ce jeune paysan du Village. Le fils du nouveau commis d’ailleurs. Je fis part de mes observations à Pehiros, il souriait. Avec cet éclat que je ne comprenais pas. Moi, je ne voyais plus que mon Joaquim qui se rapprochait de moi… Bientôt, il serait de nouveau Mien. Et non à ces Enfers ou ce Dieu du Jugement !
Le soir venu de notre retour au domaine, je réfléchissais en me documentant pour l’animation par les Cieux. Sachant Pehiros installé avec un thé, un peu plus loin, je le questionnais calmement. Mes mains exploraient le grimoire page par page.
« Quant tu parlais de Cieux, cela n’avait rien à voir avec Dieu, n’est-ce pas Pehiros ?
— Oh… Tu as compris alors ? dit-il alors que la faïence m’indique qu’il repose sa tasse. En effet, ce cher Seigneur n’a rien à voir. En fait, ma Magie réagira aux Cieux pour lier l’ensemble. Le pentagramme gravé sur cette table est un excellent vecteur.
— Alors, cette peau, je dois veiller à la récupérer au bon moment. »
Mon corps pivota pour le regarder à cet instant. Voir ce visage fin me glaçait le sang, mais « Niña » me fit signe que oui. Hum…
« Le fils du commis doit prendre sa place je crois. Nous le garderons donc, lorsque le temps y sera propice. Le temps est proche, bientôt tu devras remplir ta part, Pehiros.
— Evidemment. Nous, démons, n’avons qu’une Parole… »
Mes doigts glissent sur le squelette de métal. Bientôt, bientôt mon amour.
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