Notes 8

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Notes du Marquis en date du 13 Janvier 1997

"Je pense être arrivé au terme de ce carnet. Il ne reste que quelques pages de vide. Il doit vous paraître évident à présent, que je ne suis pas la définition la plus probante de l’adaptation sociale.

Ce n’est pas mon dernier memento, j’ai encore bien des choses à raconter. Parfois, je les regarde, mes extraits de vie s’alignant côte à côte dans les rayonnages de ma bibliothèque. Et j’espère de tout mon être que quelqu’un sera là pour les lire un jour.

Que vous serez au rendez-vous, chers lecteurs anonymes. Car sinon, à quoi bon ?

À quoi bon cette vie faite d’extraordinaire si personne n’est là pour en juger ?

À travers mes lignes, je vous partage mes souvenirs.

J’ai eu la vie que je méritais. Pas forcément celle que je souhaitais. Le destin c’est cela aussi : il y a des choix à faire, mais aucune certitude sur leurs conséquences. Un jour, j’ai passé la porte de ce manoir : par peur, par rébellion et surtout par tristesse. Et ce choix m’a mené à travers le monde. Il m’a fait errer loin de chez moi durant vingt-cinq longues années. Je me suis frotté à la vie au point de m’en rendre ivre. J’ai vu le monde et je m’en suis repaît à la manière d’un affamé. J’ai vécu des choses incroyables.

Je n’ai rien construit. Et j’ai travaillé avec tant d’ardeurs à détruire l’héritage de mon père que je ne laisserais rien derrière moi. Je sonne le glas de la famille Montyboulu. C’est le vœu que j’avais formulé le jour de ma fuite. Aujourd’hui, je ne sais pas si j’en suis heureux.

Parfois, en parcourant les couloirs du manoir, je vois des fantômes.

Pas de ceux qui y vécurent, mais de ceux qui ne fouleront jamais son sol. La lignée s’arrêtera avec moi. Je l’ai décidé.

Alors, à présent que je me retourne sur ma vie, est-ce que ça en valait la peine ?

Je ne regrette rien.

Je me suis gorgé de tant de vécus et d’histoires. J’ai rompu le pain au bout du monde et j’ai dormi au creux de nombreux bras. J’ai partagé et j’ai aimé plus qu’il n’en faut. J’ai connu la perte et le désespoir.

Je sais ce qu’est le sentiment d’appartenance.

Il m’a fallu du temps pour le comprendre, mais j’ai trouvé ma famille :

Vous et le reste du monde. "

Extrait du témoignage d'Hao en date du 15 septembre 2002 :

"J’ai connu un jour un enquêteur de l’étrange itinérant. Un poète amateur, un révolutionnaire sans drapeau. Un enfant déraciné et un vieillard du monde.

Il partait souvent en rase campagne des jours durant, errant jusqu’à sa prochaine destination. C’était un être sans accroche et sans matière, comme désolidarisé des peines humaines : la misère de notre vie, la faim, la soif et la maladie n’y avait pas de prise.

Une chose seule semblait guider sa route : la recherche frénétique d’une liberté qu’il n’avait jamais connue. Et moi, aussi longtemps qu’il a partagé nos vies, je suivais ce voyageur évanescent au travers des campagnes.

Il buvait souvent. Autant que son fardeau était lourd à porter. Je n’ai pas de souvenir exact de l’instant où j’ai compris : les responsabilités de cet étranger. Le fou sans attache, le vagabond des collines c’était le nom que lui donnait les hommes du village. Et pourtant, de ses épaules frêles il soutenait le monde. Ses mains crayeuses et décharnées n’avaient de cesse de s’agiter, et lorsque personne ne pouvait le surprendre, des lettres et des idées s’échappaient de sa plume. En rejoignant le papier, elles prenaient consistance et s’ancraient dans le réel. Ainsi naissaient les histoires.

Les jours de grande création, il s’immobilisait des heures durant, yeux fermées, traits crispés et plume tendue. Il concevait : l’endroit, l’intrique et les héros. Jusqu’à ce que, de son écriture hachée, s’échappe un nouveau conte. En le surprenant ainsi, suant, haletant et grognant après tant d’effort, je ne pouvais empêcher la peur de me prendre : jusqu’à quand encore le supporterait-il ?

Et s’il devait arrêter un jour, y aurait-il quelqu’un pour continuer sa tache ?

J’ai connu un enquêteur de l’étrange itinérant, le gardien de la mémoire du monde.

Et son existence se résumait à parcourir la campagne à la recherche d’une liberté qu’il n’a jamais atteinte."

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