La tartiflette de la veille me laissait encore un gout âcre dans la bouche et je me rendis vite compte que j’avais oublié de me brosser les dents. Mais, où étais-je, en fait ? Je me levai difficilement, les jambes à moitié en dehors du lit, et cherchai à tâtons mes lunettes. C’était comme chercher une aiguille dans une botte de foin … Quand enfin je les posai sur mon nez, le monde prit de nouveau des teintes colorées et nettes, comme si on avait essuyé une vitre mouillée pour mieux voir à travers. J’étais donc chez Mathieu, là où la soirée la plus mémorable avait eu lieu. Certainement avais-je un peu trop bu…

Je regardai autour de moi tout en recoiffant mes cheveux. La chambre était dans un état apocalyptique. Des coussins de toutes les couleurs traînaient un peu partout et dans chaque coin de la pièce s’empilaient des cadavres de bouteilles d’alcool. Ma tête tournait et j’avais du mal à rester debout. Tout en descendant les escaliers, je faisais claquer ma langue pour tenter de chasser la pâtosité de ma bouche. J’avais l’impression d’avoir de la bisque coller sur les dents…

L’odeur qui m’assaillit les narines me fila mal au ventre. C’était une délicieuse odeur de tartiflette mais je me sentais comme si on avait gonflé des ballons dans mes intestins. J’attrapai un couvercle dans un placard et le déposais sur le plat que nous avions oublié de remettre au frais. En avançant dans le salon je trouvai Mathieu avachi sur le canapé. Une bouteille de bière était renversée par terre et le liquide s’étalait sur le carrelage. Une grimace déforma mon visage. C’était ça, mon amoureux ? De quoi dégouter n’importe quelle fille…

J’ouvris les volets à contre cœur en plissant les yeux comme si j’essayais d’imiter un chinois, et me rendais dehors où l’air frais du matin me fit le plus grand bien. Bien grand mot que le « matin » vu la hauteur du soleil... Je m’allongeai sur l’une des chaises longues qui traînaient au bord de la piscine et tentai vainement de me rappeler la soirée d’hier. Mathieu avait prévu de l’alcool pour tout un régiment, il avait dû croire qu’il invitait l'armée de France …