Ne me quitte pas
Depuis que le bonheur s’est longuement absenté de ma vie, j’ai du mal à discerner les moments de joie des moments de distraction.
Mes douches sont de plus en plus longues, l’eau est de plus en plus chaude. J’ai parfois l’impression que le bonheur, par chaque goutte, effleure ma peau et qu’il souhaite échanger avec moi, mais je n’en ai pas la certitude. Alors, je reste sous la douche, je monte la température, attendant un signe qui écartera tous mes doutes. Je n’arrive plus à reconnaitre cette sensation de bonheur, je l’analyse, je cherche à l’identifier. J’oublie qu’il ne faut surtout pas chercher à la comprendre seulement la ressentir. Malheureusement, je ne peux m’empêcher de penser. La voix du questionnement monte : Suis-je proche de revoir le bonheur à nouveau ou ne fais-je que fuir le malheur ? Suis-je réellement en train de profiter du moment ou suis-je en train d’éviter d’être malheureux ? et petit à petit l’excitation redescend. De si nombreuses incertitudes me privant du moment présent. Tant de questions qui interdisent au bonheur l’accès à mon cœur.
Je me demande parfois si le bonheur ne m’a pas quitté. J’allume la lumière de ma chambre, je cherche dans ma librairie des traces d’où il aurait pu aller. Je lève les draps espérant le retrouver allongé en train de faire une sieste. Des efforts en vain, je ne trouve que son ombre du passé. Histoire d’assurer mon bien-être, je dois maintenant m’accrocher à cette idée : le bonheur ne m’a pas complètement quitté, il a simplement changé de forme et j’éprouve désormais de la difficulté à le reconnaître. Ses apparitions sont moins fréquentes et plus discrètes. Ce qui rend sa présence plus remarquée et, ayant pleinement conscience de son passage éphémère, la rend moins attrayante. Elle est teintée par ma peur que le bonheur s’efface trop vite… ou pire, qu’il me quitte pour de bon.
Dans le silence et l’obscurité, on sombre plus profondément dans l’abysse de l’incertitude et de la peur. Il n’est plus seulement question d’une absence de bonheur, mais d’une absence de vitalité : la dépression. J’ai l’habitude de le dire, on croit à tort que l’opposée de la dépression c’est le bonheur. En réalité, c’est la vitalité.
Mourir est une délivrance. Marc Aurèle l’a si bien dit : « La mort met fin au combat que les sens nous livrent ; c’est le repos qui succède à la violence, c’est la fin de l’esclavage qui échappe à la servitude que la chair nous impose. » Or, pour les dépressifs le combat ne prend jamais fin, ils sont condamnés à se battre contre la vie, une guerre où le champ de bataille est en leur cœur. Et malheureusement pour certains, un triste sort leurs est destinés. lls sont condamnés à porter en permanence leur pierre tombale sur leur dos. Leur corps devient leur propre cercueil. Être en dépression, c'est subir une lourde existence d’un cœur qui ne sait plus aimer.
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