La pause-café

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  10h. Comme beaucoup d’autres, j’attendais avec impatience ce moment. Comme beaucoup d'autres, j'attendais avec impatience ce moment, celui de la pause pour m'offrir une agréable coupure dans cette matinée de travail. Pouvoir se détendre autour d’un café tout en savourant une cigarette avec des collègues. Mais moi, j’attendais cette excuse pour le voir, pour discuter avec lui. Depuis plusieurs semaines, je me surprenais à désirer ces instants en sa présence. Théo avait ce petit quelque chose qui me redonnait le sourire. Même si je croulais sous le travail ou si l'ambiance au bureau était mauvaise, il avait le don de me faire rire, de me changer les idées ou simplement d’écouter quand je voulais me plaindre.

  Théo était un jeune homme de vingt-cinq ans. Informaticien fraîchement recruté dans le service qui s’était adapté à l’entreprise avec une certaine aisance. Il discutait facilement avec les autres et plaisantait beaucoup. Rapidement, c'était devenu mon rayon de soleil au milieu de ces nuages gris et moroses du quotidien. Il avait les cheveux mi-longs et châtains, ceux-ci lui arrivaient au niveau de la nuque et il se raillait des critiques à ce sujet. C’était un échassier : grand et fin, sans paraître pour autant maigrichon. Contrairement aux autres qui préféraient les chemises uniformes, les pantalons bien repassés, lui, il optait pour un style décontracté. Portant des t-shirts multicolores avec des imprimés de comics ou de jeux vidéo. Théo faisait un peu tache au milieu des employés de bureau, des commerciaux ou ceux du service compta, mais c’était ça que j’appréciais chez lui. Son visage était loin d’être désagréable, un petit bouc poussait timidement sur son menton. Ses yeux pétillaient de malice et je m’y noyais dès qu’on croisait nos regards.

  Nous étions assis dehors. Je pris une gorgée de café quand il fit une anecdote qui faillit m’étouffer. La toux me donna chaud, j’avais les larmes aux yeux. Théo me laissa un instant pour souffler. Je défis un bouton de ma chemise pour me rafraîchir. Ce n'était pas une technique subtil pour l'aguicher, juste un geste naturel de ma part. Entre nous, même si je décrochais deux autres boutons, il n’y aurait rien à voir. Je l’invitais à poursuivre sa petite histoire, l’écoutant d’une oreille, me perdant dans mes pensées. Pouvait-il s’intéresser à moi ? Avais-je la moindre chance ? Je n’avais rien de particulier pour lui plaire, à part peut-être un peu de conversation. Mon physique ne jouait clairement pas en ma faveur… j’avais un peu de ventre. Mes cheveux avaient grand besoin de croiser un coiffeur. Mon style vestimentaire était d’une banalité affligeante. Sans compter mes lunettes, ces énormes culs de bouteilles qui me donnaient des yeux globuleux. Oui, j’étais un peu ridicule et loin des critères de beauté que nous présentait la société actuelle.

  Je me perdais au fil de ses mots, appréciant simplement sa voix. Je l’écoutais en affichant un sourire distrait, ponctuant ses phrases par des petits sons approbateurs. Ses yeux émeraudes m’hypnotisaient et il m’apparaissait sans hésitation que j’avais des sentiments pour lui. Je me découvrais une attirance pour ce jeune homme, j’avais pourtant quinze ans de plus que lui. Était-ce mal ? Que dirait-il si je lui avouais ce que je ressentais ? J’imaginais déjà les potins de couloirs lancés par les autres, n’approuvant pas cette relation. Je crois que c’était ça qui m’effrayait le plus. Le regard des autres pouvait s’avérer aussi douloureux que cruel. Mais un jour ou l’autre, je devrais oser, je ne pourrais me taire indéfiniment. Sa question m’arracha à ma réflexion :

 – Ben alors, Thierry, tu parles pas beaucoup aujourd’hui. Tu vas bien ?

 – Ouais, ouais. Scuze, juste un dossier épineux qui m’obsède. J’ai plusieurs solutions mais aucune ne semble pouvoir satisfaire tous les partis.

  Théo me mit une tape dans le dos et fit un sourire plein de compassion. J’eus alors envie de le prendre dans mes bras. Sentant un frisson me parcourir l’échine lors de ce banal contact. Mais il était déjà temps de retourner travailler : la pause était malheureusement terminée. Je poussai un soupir et saluai mon collègue, mon fantasme qui m’obligeait à me questionner sur moi-même. Peut-être que tout ceci n’était qu’une confusion temporaire. Je ne me voyais pas quitter ma femme et encore moins expliquer à mes enfants pourquoi leur papa s’en allait. Pour l’instant, je devais retourner travailler, repoussant inlassablement ma confidence au lendemain, encore et encore. Mais l’idée de vivre loin de lui, sans jamais avouer mes sentiments… Cela me brisait le cœur et je n’arrivais pas à croire que c’était ça : vivre. Je devrais attendre qu’il m’apprenne avoir trouvé quelqu’un, puis qu’il se marie et là, j’aurais une autre excuse pour ne pas avoir à me confier. Vivre dans le mensonge et les regrets pour ne pas être jugé par les autres, pour ne pas blesser mon entourage. Survivre prenait tout son sens à présent.

(Note: j’essaie de rattraper mon retard en espérant ne pas avoir bâclé pour autant.)

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