Épisode 4. Le cerf et le guerrier
Benoît observait la créature : c’était bien un cerf éthéré, même s’il n’en avait jamais vu auparavant. Mais que faisait une créature aussi fabuleuse ici, à Amay ?
Le cerf les fixait sans montrer le moindre signe de crainte.
- C’est magnifique, murmura Marc, soudain indifférent à la pluie et à son pantalon boueux.
- Normal qu’il soit si grand ?
- Ce qui est moins normal, c’est que personne n’en ait jamais parlé avant. Amay, ce n’est pas si grand… Les nouvelles, ça circule. T’en penses quoi, Sophie ?
Sophie, qui traînait un peu en arrière, n’avait d’yeux que pour le mouchoir taché de vert dans sa main. Elle sursauta, puis leva les yeux vers le cerf et resta bouche bée, hypnotisée par l’animal illuminé par la lueur de la lune. D’un coup, elle se figea en réalisant que Benoît, à ses côtés, semblait teinté de vert. Elle porta une main à sa bouche pour étouffer un hoquet de surprise et, quand ses amis se tournèrent vers elle, elle rangea vivement le mouchoir dans sa poche.
- Ça va, So ? s’inquiéta Étienne.
- Oui, oui… Il est juste… magnifique, dit-elle en rejoignant le groupe, prenant soin de garder ses distances avec Benoît.
À cet instant, le cerf tourna la tête vers la gauche.
- On dirait qu’il nous indique une direction, remarqua Étienne en s’avançant.
- Eh, tu vas le faire fuir ! protesta Marc.
- Nan, je te dis qu’il nous attend !
- Mais tu délires ! Ce n’est pas le moment de jouer au chuchoteur de biches.
Benoît ne les écoutait déjà plus, son esprit occupé à rassembler les bribes de connaissances qu’il possédait sur ce cerf légendaire, réputé capable de franchir les mondes. Soudain, une voix résonna dans sa tête :
- Tu as raison, Beror.
L’orc se raidit, figé par la surprise : le cerf venait de lui parler par télépathie… et connaissait son vrai nom.
- J’ai été imprudent, continua la voix. Une meute de wargs m’a pourchassé, et pour leur échapper, je me suis projeté dans ton monde. Mais ils m’ont suivi, et grâce à toi, noble orc, ils ont fui.
Benoît répondit tout haut, presque machinalement.
- Heureux d’avoir pu t’aider…
- Hein ? fit Marc en fronçant les sourcils.
- Rien… rien. Juste… une réflexion.
Marc le dévisagea d’un air dubitatif, puis soupira.
- Vraiment, ce soir, vous êtes tous étranges. Étienne qui pense que le cerf veut qu’on le suive, toi qui parles seul… Et Sophie qui te fixe comme une bête de foire.
Benoît jeta un coup d’œil à Sophie, qui recula d’un pas, les mains levées.
- Ma présence affaiblit peut-être le voile, Beror. Nous, les cerfs éthérés, sommes gardiens des vérités, poursuivit la voix.
L’orc, à nouveau dans la conversation mentale, répliqua :
- Tu veux dire qu’elle voit ma vraie apparence ?
- C’est une possibilité.
- Une catastrophe, tu veux dire. Les orcs ne sont pas réputés pour leur charme légendaire. Il faut que tu retournes dans ton monde. Si tu affectes le voile, c’est tout le village qui est en danger.
- Je comprends bien, mais avant, je dois t’aider à retrouver le garçon. Il est blessé et inconscient.
- Le garçon ? Sébastien ? Tu sais où il est ?
- Suis-moi, Beror.
- Ne m’appelle pas comme ça.
- Pourtant, c’est ton nom !
- Ouais, peut-être… mais moi, je t’appelle pas Bambi pour autant.
- Je m’appelle Luithilvor.
- Luigi, quoi ? Bambi, ça te va bien, tu sais.
- Mon nom signifie « rêve infini ».
- Peut-être, mais si tu restes trop longtemps, c’est tout le village que tu vas réveiller.
Le cerf se mit à trotter, et Benoît s’élança sur ses traces.
- Je crois qu’Étienne a raison, suivez-le ! lança-t-il.
- Mais vous êtes sérieux ? gronda Marc, exaspéré.
Ils se mirent tous à courir, guidés par la lumière blanche du cerf. En moins de deux minutes, ils arrivèrent devant un arbre aux branches dénudées, aux pieds duquel un jeune homme gisait dans un lit de feuilles.
- Seb ! s’écria Sophie en se précipitant vers lui, suivie d’Étienne.
Marc observa, perplexe.
- Bon… ok, vous aviez raison. Mais… Ben, ça va ? Tu as l’air… vert !
Benoît recula d’un pas.
- Mon devoir ici est accompli, déclara la voix dans sa tête. Ne crains rien, Beror. Une fois parti, le voile reprendra toute sa puissance. Merci, noble orc.
Le cerf disparut sans laisser de trace, et Benoît croisa le regard de Marc.
- Non, c’est bon, tu as l’air normal, affirma Marc. Ce devait être un effet d’optique avec la pluie.
Sophie et Étienne, agenouillés près de Sébastien, observèrent avec soulagement son regard s’ouvrir.
- Il se réveille ! annonça Étienne en l’aidant à se redresser.
Sébastien grimaça, et Benoît s’approcha pour l’examiner.
- Il a la cheville foulée, rien de grave. Je vais le porter jusqu’à chez lui, sa mère s’occupera de contacter un médecin.
- Attends, Ben ! s’écria Marc. Si tu vas chez Seb, je viens aussi. Elle est libre, ta sœur ?
Sophie leva les yeux au ciel, exaspérée.
***
Le lendemain, tôt le matin
Sophie frappa à la porte d’un appartement dans le centre d’Amay. Après une seconde série de coups, la porte s’ouvrit sur Marc, décoiffé et sans maquillage, ce qui était assez rare pour être noté.
- Punaise, Sophie, tu as vu l’heure ?
- 7 h 15.
- Exactement ! Ce n’est pas une heure pour débarquer chez les gens…
- Écoute, Marc, j’ai besoin de toi.
Le garçon écarquilla les yeux, surpris d’entendre cela. On ne disait pas souvent à Marc qu’on avait besoin de lui.
- Tu as bien tous les livres de Valelune, hein ?
Valelune était le jeu de rôle auquel les quatre amis jouaient au Mordor.
- Oui, tu veux me les emprunter ?
- Non, je ne veux pas te les piquer, je sais que tu tiens trop à tes affaires pour ça. Mais j’ai une question.
Sophie sortit de sa poche son mouchoir rose, maculé d’une tâche verte.
- Dis-moi, Marc, quelle créature pourrait bien avoir le sang de cette couleur ?
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