Hélène - Pseudo : Bénédicte
Cher Maxime,
Sur le rebord d'une fenêtre de mon âme, il y a près d'un mois, j'ai déposé une bougie. Elle aura dispensé, tout ce temps, sans faiblir sa modeste lueur et voici que je m'apprêtais à la souffler, l'éteindre enfin, lorsque…
Un petit sms.
Tu auras donc choisi cette heure précieuse entre toutes où je commençais de ne plus songer à toi – songer à toi ainsi que rêvent les enfants, lorsque Noël est passé, au merveilleux joujou que le barbu au manteau rouge a oublié de déposer au pied de l'arbre ; à ce joujou merveilleux qu'ils auront pourtant tenu entre leurs mains, l'espace d'une seconde magnifique, quelques temps auparavant au milieu des rayons prodigues du magasin de jouet ; dans la caverne d'Ali Baba –, où le mélancolique souvenir de toi s'éteignant doucement achevait de se muer en douce nostalgie, en parfum de richesse sublime, pour te rappeler à moi…
J'attendais, sans l'attendre, cet étrange dénouement – tu le sais bien sans doute, confusément. Je me tenais, nimbée de pénombre apaisante, non loin de la fenêtre. Y dissertais-je, avec moi-même, de la singulière impéritie de mon ange gardien ? De la fatalité ? Non. Je pleurais des larmes indicibles de tristesse et de joie.
Que s'est-il donc passé ?
Une heure de fortune. Toi, tu t'es offert et m'as échappé, aussitôt. Moi, j'avais si consciencieusement baissé ma garde que, où il eût été plus prudent peut-être de contenir l'assaut, je me suis trouvée traversée de part en part ; comme foudroyée.
Par un éclair labile. Un éclair, aspiré vers la terre d'abord, fidèle à sa condition. Puis, tout soudain épris de son insolite liberté, évanescent. Et affolé. Comme tu m'as paru beau, alors, et fragile à la fois qui te voulais signant sans férir, au nom des intérêts supérieurs de la solitude – ma vieille compagne ! n'était-ce pas un comble ? –, l'impitoyable arrêt de ma révocation. Comme tu étais beau et comme j'étais, moi, désemparée…
Tel un vieux capitaine, au cœur de la tourmente, j'ai fait face pourtant. J'avais pour moi l'impuissance. Tout se défiait de mon pouvoir et je n'étais plus rien que l'écueil impassible d'une humilité inconcevable. Il s'agissait, en vérité, d'un bien maigre dépit. La souffrance t'était propre. Je n'étais moi, malgré que j'en eusse, aux rangs des inflexibles légions qui s'adonnaient sur les arpents de ton âme déchirée à un combat sans merci que l'improbable enjeu. Hélène en quelque sorte. Quand tu étais, toi, et Troie et la Grèce embrassées.
Etranges dépersonnalisations…
J'ai, bien sûr, souhaité que nous en restions là. J'ai fuit le champ de bataille, non par lâcheté, mais parce que je n'y avais nulle part. Cette victoire qui s'y croyait emportée, il ne m'appartenait pas de la contester. Elle se donnait à soi-même le nom de "garant" d'une singulière liberté – c'est ainsi que se baptisent toutes les révolutions – et prononçait, qu'atténuaient déjà certaines conditions, mon bannissement. Je n'y pouvais rien. Rien que ce néant-ci : en prendre acte ; et refuser qu'il existât seulement la moindre condition. Cette liberté-là qui se doit garantir, je la connais, sais-tu, que j'étais prêt à sacrifier ; elle ne s'accommode pas.
En eussé-je, alors, usé autrement que je me fusse reniée. Je croyais cela. Et je le crois toujours. Mais j'ai regretté de l'avoir cru. Et je regrette de le croire… C'est ainsi. Aucune latitude qui m'eût été permise qu'attendre. À quoi je m'étais résolue. Attendre, en silence, le souffle qui eût éteint la flamme. Ou celui qui l'eût régénérée.
Que se passe-t-il donc ?
Quel est ce souffle, dis-moi, en quoi le bel éclat des cieux qui m'aura foudroyée s'en revient transformé ? Tu n'as, m'écris-tu, pas osé me proposer de me joindre à toi pour une marche en montagne et cependant tu me proposes d'oser. Faut-il qu'il ait été exalté le combat qui commença de se livrer en ton âme, au jour où tu accostas aux rivages incertains de mon pauvre destin, pour que résonnent encore, aujourd'hui, les clameurs des batailles et les tocsins furieux ?
Cher Maxime…
Comment puis-je te répondre ? Je ne sais pas. Peut-être ainsi : Ose. Pour l'amour de moi. Ou n'ose pas. Pour l'amour de moi. Car je ne puis, moi, pour l'amour de toi, que me taire.
Et attendre. De nouveau.
Bénédicte.
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