Brise glacée - Pseudo : Cigarette
Son regard est une brise glacée. Il souffle sur mes plaines, sur mes peines, étouffe le feu qui couvait sous ma peau. Il lui a suffi d’une seconde pour que l’hiver de ses yeux chasse les hirondelles de mon cœur. J’ai timidement rangé mes plumes de chez Printemps derrière une pèlerine Ventcouvert. Tous feux éteints, je roule, du bout de l’ongle, une clope, un peu de chaleur en tube et en fumée, un rien d’incandescence qui fait tousser. Je tremble comme ma feuille de cigarette, j’en fous partout, je suis ridicule. J’évite ses yeux qui me jugent, drapés de noir et de mépris. Son regard est une brise glacée. Je voudrais, moi, briser la glace. Ce foutu silence. Je réussis seulement à lui demander du feu. Il me tend son briquet, sans un mot, juste une vague expression, l’air de me dire que ce n’est pas avec ma tenue que j’allumerai quoi que ce soit. C’est comme ça qu’il me voit ? Une allumeuse ratée ? Je baisse les yeux, claque le briquet, encore, encore ! Les étincelles de mes échecs me piquent les doigts. J’ai la bouche sèche et les yeux humides, mon corps mélange tout, foutu corps, corps de merde. Pas capable d’allumer une cigarette. Même pas capable d’allumer une foutue cigarette. Quand j’y parviens, je n’en retire aucune satisfaction, je tire juste, à m’en creuser les joues. J’avale le poison. J’essaie d’en extraire plus de chaleur que de fumée, comme une vieille cheminée qui voudrait réchauffer ses briques lasses en attendant qu’on vienne la ramoner. Alors j’aspire la suie, sans réel espoir, jusqu’au filtre. Ma candeur est morte, je n’ai plus de feu, j’ai le corps éteint avant d’avoir été étreint. Et mon cœur en berne, mon cœur hiberne, comme un ours mal léché, mal aimé. Il ne me regarde même plus. La brise glacée s’est arrêtée, déjà elle manque, un frisson orphelin parcourt ma chair négligée. Je vais rester habillée comme ça toute la soirée, qu’il me demande. Sa voix est une douche froide, une grêle, l’iceberg de mon Titanic. Mes projets, mes envies, mes amours, mes rêves, tout tombe à l’eau. À l’eau de boudin. Le boudin c’est moi. Boudinée dans cette lingerie trop sexy pour moi, dans cette vie trop étroite. Je me fige comme une vieille vinaigrette oubliée au frigo, trop grasse, trop vieille, qu’on ne sort plus à table, qu’on n’honore même plus de quelques salades amères. Son regard est une brise glacée, sa voix est une douche froide et mon corps, comme l’arbre caduc, n’y résiste pas. J’effane lentement les feuilles mortes de ma sensualité, elles tombent sans folie, sans dernière voltige, me laissant nue et triste. Je drape d’un habit d’hiver ce qu’il reste de moi, l’écorce sans charme d’un être las. Je tente de me refaire une contenance, une identité. Un sourire ? Je quête son approbation, son pardon de n’être pas plus, de n’être que ça. Mais son regard est une brise glacée qui souffle, souveraine, sur mes plaines et mes peines.
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