5.1 Le départ
La semaine qui suivit l’arrivée de la lettre fut des plus déroutante pour Vaillance. Malgré l’éléphant au milieu de la salle, sa famille semblait déterminée à tout faire pour éviter le sujet et chaque minute à leurs côtés laissait un goût toujours plus amer dans la bouche de l’adolescente. Entre les mensonges et non-dits, elle sentit le changement d’atmosphère dans la maison. Ces parents, qui mangeaient toujours côte à côte, prenaient désormais place de part et d’autre de la table, se regardaient en chiens de faïence et il n’était pas rare de les entendre se disputer passer l’heure à laquelle leurs filles devaient aller se coucher. Amidia animait toujours la conversation lors des repas de famille, mais Vaillance la trouvait distante surtout quand venait son tour de parler et si elle avait le malheur d’évoquer son cas où de demander quelques nouvelles, elle recevait aussitôt des réprimandes. Sa mère ne voulait simplement pas discuter du sujet.
Vaillance se sentait comme une intruse, un imposteur qui aurait pris la place de la fille chérie de la famille et même parfois telle une tumeur que l’on essayerait de retirer au couteau.
Dépitée, elle se renferma sur elle-même et passa ses journées dans un coin de sa chambre, enroulé dans une couverture sur une montagne de coussins. Entre les longues heures perdues à se morfondre sur son sort et les siestes peuplées d’étrange vision, l’adolescente n’avançait à rien. Une partie d’elle espéra jusqu’au bout que son père arrive en grande pompe et lui annonce que tout était terminé, que ce n’était qu’une erreur, mais même cette étincelle s’éteignit à l’aurore du jour fatidique quand elle fut réveillée par quelques légers, mais distincts tocs à sa porte.
— Lady Vaillance ! Puis-je entrer ?
Vaillance n’avait jamais compris pourquoi Jasper aimait tellement frapper avant d’entrer dans des salles. La tradition qu’elle trouvait encore si stupide la semaine dernière était maintenant le seul son qu’elle souhaitait entendre. Elle déverrouilla la porte d’un petit mouvement de main et l’observa s’écarter silencieusement. En posant les yeux sur elle, le visage de Jasper se pinça.
— Lady Vaillance… Je…
— Jasper, où sont mes parents ?
— Madame et Monsieur discutent dans leur bureau à la recherche d’une solution…
— Une solution ? rit la fille, lèvres tremblantes. Cela fait sept jours ! S’il existait une solution, il l’aurait déjà trouvé. C’est fini ! ma vie est fichue…
— Lady Vaillance ! tonna le serviteur. Votre mère serait déçue de vous entendre parler d’une telle manière. Une jeune demoiselle de votre rang ne devrait pas baisser les bras si facilement.
Les mots prirent par surprise l’adolescente qui ne sut quoi répondre. Aussitôt, des larmes perlèrent aux coins de ses yeux. Jasper prit une grande inspiration et s’avança jusqu’à elle, son visage toujours de marbre.
— Il semblerait que j’ai été trop négligent avec vous. Pour le moment, vous allez vous lever et aller prendre une douche. Je conviens que la situation peut sembler difficile, mais cela ne doit pas vous écarter des bienséances. Où sont passées les manières que je me suis efforcé de vous inculquer ?
Vaillance, haletant pour ne pas fondre en larme, baissa les yeux. Elle n’avait même pas la force de résister aux mots du sexagénaire.
— Excuse-moi, Jasper… souffla la fille. Je ne voulais pas te décevoir.
L’air terrible s’évanouit pour un sourire doux, plein de sincérité et de chaleur. Il tendit sa grande main à la jeune fille.
— Ne vous inquiétez lady Vaillance. L’erreur n’est pas tant la chute, que de ne pas essayer de se relever. Vous affronter des difficultés qui vous ont jeté au sol, cela arrive à chacun, maintenant est venu le temps d’y remédier.
Vaillance hocha la tête. Les mots étaient un peu durs à avaler, mais elle avait vu pires au cours des derniers jours. Abandonnant son abri, elle alla se rafraîchir sous une douche glacée et se vêtue d’une de ses robes les plus simples. En retournant dans sa chambre, elle trouva un grand sac posé sur son lit.
— Comme j’ai essayé de le dire, Monsieur et Madame discutent. Ce dernier a tenté de contourner votre situation, mais rien ne semble possible. En dépit de cause, il m’a donné l’autorisation de commencer les préparatifs pour votre départ.
Vaillance tourna vers son lit et observa le sac. Plusieurs lignes d’habit s’étalaient autour, l’adolescente ne les avait jamais vues avant. Elle fit volte-face, déterminée à refuser son sort, mais s’écrasa contre un mur.
— Vous n’allez pas m’envoyer là-bas ?
— Je crains que cela ne soit nécessaire. Aller contre des directives de la Confluence constitue un crime très lourd qui n’aidera pas notre situation.
Vaillance boitilla jusqu’à sa chaise de bureau où elle s’effondra. Son regard azuré se perdit dans le vide, elle ne savait plus quoi penser. Jasper l’observa silencieusement, ses rides se creusant un peu plus chaque seconde. La fille aux cheveux de jais avait tout d’une épave, ses yeux rougis par les pleurs étaient absents et son petit visage était contorsionné par les inquiétudes.
— Lady Weiss, à la première seconde où j’ai posé les yeux sur vous j’ai compris que, comme vos parents, vous étiez destiné à de très grandes choses. Devenir une écuyère n’est pas une punition, c’est un honneur donné aux meilleurs d’entre nous. Si les héros de notre nation vous ont appelés à leur côté, c’est qu’ils ont senti en vous la même flamme que j’avais repérée. Ne vous morfondez pas dans les ténèbres, demain vous brillerez plus qu’un ciel sans nuages.
Vaillance remercia l’homme du regard. Jasper avait toujours su comment lui remonter le moral, mais cela ne suffirait pas aujourd’hui. L’adolescente essuya tout de même ses yeux rougis avant de forcer un sourire crispé.
— Suis-je vraiment obligé de partir maintenant ?
— Je crains que ce ne soit nécessaire, la date à respecter sera dépassée d’ici ce soir. Nous devons préparer vos affaires pour votre voyage, je vous rends vos lettres d’admissions.
L’homme glissa l’enveloppe entre les doigts fins de Vaillance où la maudite invitation avait été rangée par le majordome. Un autre courrier avait été ajouté, celui-ci imprimé depuis un holoécran. Dessus, une liste exhaustive de ce qu’elle pouvait emporter avait été inscrite, suivie d’un inventaire beaucoup plus long d’interdit. Presque tout était fourni par sa future école et elle n’était autorisée que quelques tenues pour ses temps libres. Même son holoCom, qu’elle utilisait tous les jours pour parler avec ses amies et prendre des photos, devait rester chez elle. Vaillance se tourna vers sa penderie où maints soieries et vêtements luxueux s’entassaient, mais rien ne marqua l’esprit de l’adolescente. La réalité la frappa, pour la première fois de sa vie, elle ne savait pas comment s’habiller.
— Jasper ? Que suis-je censé prendre ? paniqua Vaillance. Jamais mes robes ne feront l’affaire dans ce genre d’endroit ! Je serais ridicule !
— Quelle terrible journée qu’est celle où vous me demandez mon avis ! J’ai pris la liberté de récupérer quelques vêtements avant de venir. J’ai eu comme intuition que vos belles robes vous encombreraient dans votre voyage.
Il indiqua le sac et les piles d’habits qu’auraient portés des citoyens de son âge. Vaillance les observa un moment d’un mauvais œil avant de demander à Jasper si elle pouvait les essayer.
— C’est pourquoi je les ai amenés.
Vaillance commença à fouiller dans la pile à la recherche de ses favoris. À défaut de ferveur, elle accueillit l’exercice avec diligence et fit son maximum pour oublier même qu’un instant ses ennuis. L’adolescente n’apprécie pas trop le style un peu simple des vêtements, mais elle garda ses remarques pour elle, n’ayant pas le cœur pour jouer les difficiles. Elle se composa quelques tenues puis dut choisir une à porter pour partir. Elle finit par se décider pour un pantalon sombre et un sweat coloré, une touche trop grande pour elle. Convaincue, elle retourna dans la pile à la recherche d’accessoire pour sa tenue sans se rendre compte qu’elle commençait de nouveau à sourire. Jasper l’observa rassurer, la vivacité de la jeune fille n’avait pas disparu pour de bon. Vaillance émergea avec un pair de boots ayant un peu vécu. Elle n’avait jamais vu de chaussures pareilles par le passé, mais cela lui fit un peu penser à l’uniforme des haïkadens. Sautant devant son miroir, elle essaya son nouvel ensemble avant d’analyser son reflet avec attention. Que pouvait-elle ajouter pour compléter son look ? Cassant sa nuque, elle regarda au-dessus de son épaule pour interroger son majordome.
— Jasper, que pensez-vous…
Elle s’arrêta net en apercevant l’air vide de l’homme. Son sourire était figé en place, ses rides marquées par une douleur qu’elles-mêmes croyaient depuis longtemps cicatriser. Quand il comprit que sa maîtresse s’était rendu compte de son état, il détourna les yeux.
— Merde, il jura avant de se mordre la langue. Ne m’écoutez pas, Lady Vaillance, juste de vieille blessure qui se réouvre.
Vaillance écarquilla les yeux et fixa son serviteur avec attention. Il n’était pas commun dans la confluence de jurer, mais jamais Vaillance n’aurait imaginé son majordome face partie de ce genre de personne. Il était beaucoup trop gentil pour utiliser un tel langage. L’adolescente douta même de ses oreilles, Jasper était la définition de politesse.
— Qui a-t-il ? s’enquit la fille, curieuse.
— Rien de bien important, esquiva le vieil homme avant de se rendre compte que l’adolescente n’en démordrait pas. Sept ans plus tôt, j’ai aussi reçu une invitation des haïkadens. Ma cadette était une petite rebelle toujours prête à faire les quatre cents coups, cela a dû attirer le regard d’un gardien. Les vêtements que vous portez lui appartenaient.
Cette fois, ce fut un léger son d’étonnement qui fuit les lèvres de Vaillance. Elle n’avait jamais entendu parler de cette histoire et elle vivait avec Jasper tous les jours depuis sa plus tendre enfance. Elle baissa les épaules et fuit l’homme du regard, elle avait toujours imaginé que les Weiss étaient sa famille. Jamais il ne lui était venu à l’esprit que Jasper pouvait avoir une femme et des enfants. L’adolescente se prenait tout à la tête le même jour, à croire que le monde s’était finalement mis à tourner.
— Je ne savais pas, excuse-moi Jasper.
— Vous ne pouviez savoir. Je ne divulgue pas ma vie sur tous les toits. Restez sans crainte, je tiendrais la cadence. Par ailleurs, je suis heureux de vous voir porter ces vêtements, espérons seulement que votre mère ne vous verra pas les porter.
— Ne raconte pas de ça ! cria-t-elle. Si elle me voit comme ça, elle me brûlera vive !
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Quasar point :
Employer un majordome de chair et de sang est vue comme une preuve de statut des plus flagrante.
Ceux-ci ont aussi en charge l’éducation des enfants, tâche que leurs parents ne peuvent remplir facilement à cause de leur travail, et de leur servir de professeur d’appoint quand nécessaire. Entrer au service d’une grande famille est un gage de qualité et de talents. Seule de rare élut arrive à ces postes.
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