Parmi les nombreux mondes de la Confluence, Sol IV n’était ni la plus grande ni la plus riche. Elle abritait cependant une vaste population d’aristocrate humain arrivée des quatre coins des étoiles pour établir leurs demeures sur la jolie planète bleue. Les immenses fortunes et envies extravagantes de ses paires avaient créé une petite utopie. Le peu que Vaillance savait sur le quotidien des citoyens était tiré des films et séries qu’elle avait vus et jamais il ne lui serait venu à l’esprit de chercher à en apprendre davantage. Ce manque cruel lui sauta au visage quand elle fit son premier pas en tant que tel.

La base militaire de Sol IV n’était rien d’autre qu’un énorme rectangle de béton et métal amalgamé ensemble. Aucun fenêtre ni ornement n’adoucissaient le bâtiment et seule la spirale à huit branches, incrustée dans la surface, donnait un quelconque indice de son utilité. Vaillance, habituée à la splendeur et l’opulence, chercha à comprendre comment une telle horreur avait pu voir le jour.

Comment peut-on vivre dans un truc pareil ? se questionna la fille aux cheveux de jais. J’espère que la base des haïkadens n’est pas comme ça.

Immobile devant le mastodonte, Vaillance se demanda ce qu’elle pouvait bien faire là. Même le symbole de la Confluence semblait se moquer de son sort. Elle fit la moue, le cœur serré rien qu’à l’idée d’entrer et abandonna sa contemplation pour jeter un œil à son majordome qui s’était extrait du cockpit, une cigarette à la main. Elle leva les sourcils, n’ayant jamais imaginé voir le vieil homme fumer. C’était totalement interdit dans leurs maisons, Amidia ne pouvait pas supporter l’horrible odeur, et pas vraiment très légal. Jasper remarqua que la noble plissait du nez et ses réflexes prirent le dessus. Il projeta le poison au sol avant de l’écraser du bout du pied.

— Mes excuses, Lady Vaillance. Je me devais de calmer mes nerfs. Cette situation plus le fait que j’ai dû confronter Monsieur ne sont pas bons pour mon cœur. Laissez-moi porter votre sac jusqu’au bureau d’enregistrement des écuyers.

Vaillance accepta d’un mouvement de tête, elle ne savait pas trop quoi répondre après avoir vu l’homme défier son père. Jasper prenait les Haïkadens très au sérieux, bien plus qu’elle ne l’aurait jamais imaginé. Elle le laissa passer devant pour lui emboîter le pas. L’adolescente n’avait aucune idée d’où on l’attendait et décida que Jasper trouverait plus facilement. L’orientation n’était pas le point fort de la fille aux cheveux de jais et elle redoutait d’éveiller la colère noire de son majordome en le faisant tourner en rond.

— Au moins, nous n’aurons pas à faire la queue, il nota en observant les alentours. Je ne m’attendais pas à foule, mais là, c’est ridicule. Vous aurez tout votre temps pour poser des questions.

Les mots de l’homme permirent à Vaillance de se rendre compte de l’absence d’autre personne. Sur les vingt zones d’atterrissage, une seul était utilisée. Peu de gens avaient affaire dans la base militaire. Cette dernière n’était toutefois pas inhabitée et une forte odeur d’huile venait boucher le nez de Vaillance, lui donnant des vertiges. Des vibrations remontaient aussi dans ses jambes, écho lointain des machines s’agitant sous la surface. La porte principale du bâtiment s’ouvrit à leurs approches, grinçant douloureusement ce qui trahit son triste état. Le hall d’entrée était un large sale couvert d’un carrelage uni démodé depuis longtemps. Seuls quelques robots d’accueil occupaient la réception, le majordome les ignora pour se diriger droit vers les ascenseurs. De nombreux couinements métalliques annoncèrent l’arrivée de leur transport qui s’ouvrit dans une dernière complainte. Elle découvrit une cage d’acier étroite, un cercueil suspendu dans le vide non pas par un champ de gravité, mais bien par des câbles. Vaillance tourna de grands yeux vers son serviteur qui la poussa en avant. La descente ne fut pas de tout repos et le grondement de l’acier les suivit jusqu’à leur arrêt. Cette fois, Vaillance n’eut pas à se forcer et jaillit le plus vite possible du cercueil. Elle le regretta presque en découvrant la moquette miteuse du bureau de recrutement. Les murs sales et l’odeur de vieux plastique n’aidaient pas à se sentir accueilli. Plus que jamais, elle se demandait dans quoi elle s’était fait embarquer.

Devant elle, une rangée de bancs et de bureaux prenait la poussière là où les appliquant aurait dû se présenter. Seul un des postes échappées à l’abandon, habité par deux adolescents chacun occupé par un holoécran. Si le premier, un garçon humain aux cheveux aussi longs que sauvages laissa Vaillance indifférente, elle écarquilla les yeux en voyant sa camarade. Assise derrière lui, un peu de côté, se tenait une fille à l’air délicat, presque frêle, dont la peau était si pâle que Vaillance la pensa d’abord souffrante. En posant les yeux sur son visage, l’adolescente réalisa bien vite qu’il n’en était rien. Parfaitement symétriques, les traits de l’écuyère semblaient appartenir à une fable emplie de fée et elfes, une vraie poupée de porcelaine. Aucun doute possible, Vaillance faisait face à une vlin’ns.

Ce n’était pas la première fois qu’elle voyait un membre de l’étrange race ayant jadis affronté la Confluence à travers les étoiles. De nombreux films, séries et jeux vidéo de l’adolescente les utilisaient comme antagonistes et ses camarades d’école ne manquaient pas d’anecdote à leur sujet. On disait les vlin'ns artificiels, fabriqués dans des cuves et non pas mis au monde tel que les humains le feraient, qu’ils n’avaient pas d’émotions et que derrière leurs visages de marbre blanc se cachaient leur dédain pour les autres espèces.

Envers et contre tout, Vaillance avait du mal à s’accorder pour ses histoires. Sol IV bordait l’espace Vlin’ns, raison pour laquelle la petite planète bleue avait été l’objet de nombreuse attaque durant la guerre passée. Les Weiss s’étaient efforcés d’améliorer les relations avec leur voisin et sa propre mère formait le fer de la lance. Amidia avait résolu de nombreux conflits frontaliers par ses mots aiguisés et permis l’établissement de nombreux échange commercial et culturel avec l’étrange race. Depuis toute petite, Vaillance avait appris les bases de la culture vlin’ns et même dans son premier souvenir, elle parlait déjà leur langue, chose dont elle n’était pas peu fière.

Malgré tout, de nombreuse peur subsistait entre les deux peuples et Vaillance préférait même revoir les consuls de la veille plutôt que de devoir engager la conversation avec l’étrangère. Jasper ne partageait pas son avis et il poussa la demoiselle en avant, qui dut se faire fureur pour ne pas reculer. Comme la vlin’ns avait un casque sur les oreilles, Vaillance s’éclipsa vers le garçon. Elle s’arrêta en face de lui et attendit quelques secondes avant de prendre la parole.

— Excusez-moi ?

Pas même un sursaut ne lui répondit alors qu’elle se tenait devant son bureau. Il fronça les sourcils, frustré par la mauvaise qualité de son écran. Vaillance lui accorda que le morceau de technologie avait sa place dans un musée, mais observer quelqu’un jurer dans ses dents l’ennuyait incroyablement.

— Xaï ! Je l’avais ! Il maugréa avant de tourner vers Vaillance, Xaï !

Il fit un bond en arrière, manqua de tomber de sa chaise, trait déformé par la surprise. Vaillance pencha la tête, perdue par le cirque se jouant devant elle alors que le garçon essaya d’attraper quelque chose à sa cuisse. Constatent qu’il n’avait pas son arme de service avec lui, il prit le temps de regarder qui il avait en face de lui. Ses pupilles grises s’agrandirent puis il afficha une mine outragée.

— He ! Tu m’as flanqué une de ces frousses ! s’exclama-t-il. Tu ne veux pas être un peu désolée au moins ?

Vaillance fronça les sourcils, se demanda en quoi cela pouvait être sa faute.

— Heu… mes excuses ?

— Xaï ! j’étais persuadé que tu n’étais qu’un mirage. Cet endroit est en train de me rendre fou, jure ! Tu sais quoi, l’année prochaine, je vais être sage ! Comme ça, ils ne m’enverront plus ici.

Il marqua une pause et regarda la fille dans les yeux.

— Sinon, tu fais quoi ici ?

Vaillance croisa les bras. Elle commençait vraiment à douter de la santé mentale du garçon. Tout comme Lesskov et Axia, il portait un uniforme impeccable bien qu’il ait retiré la veste pour l’accrocher autour de sa taille. Sur son épaule, le symbole des haïkadens était inscrit, suivit par un autre ressemblant à une énorme pieuvre.

— J’ai reçu une lettre m’indiquant de venir ici… Pour rejoindre les écuyers.

Une étincelle espiègle traversa le visage du garçon. Il planta ses petits yeux dans ceux de Vaillance qui se sentit comme nue devant le regard inquisiteur. Un demi-sourire apparut sur son visage.

— Xaï ! Tu tires une de ces mines ! il rit à pleine voix. Toi, t’es pas heureuse d’être là. Tu verras, on se fait vite à la vie d’écuyer. C’est un peu déboussolant au début, mais dans quelques semaines tu n’auras plus envie de repartir. Tu peux me faire confiance, j’étais dans le même cas que toi.

Vaillance acquiesça bien qu’elle ne crut pas un seul mot du garçon. Tout lui indiquait qu’être une écuyère n’était pas compatible avec elle et il faudrait bien plus qu’un garçon à l’air idiot pour la faire changer d’avis. L’énergétique écuyer ne remarqua rien et tapa sur son clavier tout en continuant à parler.

— Au passage, je m’appelle Anil Remzi. Je suis une troisième année et un page chez les Jotün. C’est quoi ton petit nom, ma mignonne ?

Le cœur de cette dernière fit un bon. Personne n’avait jamais osé l’appeler par un sobriquet et le manque de manière de garçon la dérouta.

— Vaillance Weiss, se présenta-t-elle, les jotün c’est ta doctrine ?

Le visage d’Anil s’éclaircit en entendant la question. Il releva la tête, un sourire allant jusqu’aux oreilles.

— Je vois que la petite nouvelle est renseignée. Je croyais que tu allais me demander de te laisser partir, mais t’as vite fait de changer d’avis. Tu peux m’envoyer ton admission ?

Vaillance porta la main à ses poches et sentit le feu lui monter aux joues. Elle se rappelait clairement avoir posé le papier sur son lit. Elle interrogea Jasper qui répondit en secouant la tête. Cette fois, il n’avait pas ses arrières.

— Je pense l’avoir oublié chez moi, confia-t-elle en fixant le bureau.

Anil laissa échapper un éclat de rire avant de comprendre qu’elle ne rigolait pas. Il leva les sourcils, se demandant pourquoi il devait toujours se coltiner les cas difficiles.

— Vraiment ? Tu m’as l’air un peu tête en l’air, toi. Fais attention une fois à l’académie, les professeurs n’aiment pas trop que les gens soit en retard où oublient leurs affaires. En plus je vais devoir me coltiner ce bidule qu’ils osent appeler un ordinateur. Heureusement que nos bases ne sont pas comme ça, tu auras le souffle coupé en arrivant.

Avec une certaine rapidité, il rentra le nom de la jeune fille. Il fixa l’écran un moment, tapant du doigt sur le bureau. Vaillance prit son mal en patience en le voyant en difficulté, espérant légèrement que tout ceci ne soit qu’une erreur. Anil fronça les sourcils. D’un grand geste, il attrapa un stylo et le jeta à l’aveugle en plein sur la tête de sa partenaire.

— Koliane ! Viens voir ! Il y a un problème.

Le projectile tapa à l’arrière du crâne de la jeune fille, la poussant à regarder par-dessus son épaule. La vlin’ns foudroya Anil du regard, ses magnifiques yeux vert vif au point d’en être presque fluorescents firent lever les sourcils à Vaillance. Sur la nacre verte, de petites paillettes brillaient. Vaillance reconnut des sil’tear, une des particularités de l’étrange race. Koliane en avait six dans chaque œil, blanc pur, tel des étoiles que l’on aurait arraché au ciel nocturne. Elle fit glisser son siège jusqu’à Anil et posa un regard doux sur Vaillance.

— Salut ! Je m’appelle Koliane, je suis la responsable de ce nigaud. Tu viens faire partie des écuyères.

Malgré la gentillesse des mots, Vaillance blêmit. Elle n’arrivait pas à faire abstraction de l’aura féerique de la jeune femme et ne pouvait encore moins arrêter de fixer ses yeux. Elle força un hochement de tête, les mots liés dans sa gorge.

— Anil et moi sommes des écuyers venant de la base d’Erin IV. Commençons par trouver ton dossier, comme ça on pourra te montrer ce qu’il va t’arriver. Je suppose que tu dois avoir une pluie de questions à nous poser. Tout le monde est un peu pareil au moment de l’inscription.

Elle se tourna vers l’écran et hocha plusieurs fois la tête quand Anil lui montra le problème.

— C’est étrange… ton dossier est totalement vide...

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Quasar point :

Les Sil'tear sont de petites paillettes visibles dans les yeux des vlin'ns ressemblant plus ou moins à des étoiles. Leur nombre varie entre trois et sept en moyenne. Seuls de rares vlin'ns en possèdent plus que cela.

Le prénom de Koliane signifie « pleine de vie » en vlin’ns et est plus souvent porté par des garçons.