8.2 Fils d'argent
Anil poussa un cri de stupeur qui résonna dans le nef et bien au-delà.
— Tu déconnes, Gwën ?
— Non, pas du tout…
Le garçon se tourna vers Vaillance qui reprenait encore des couleurs.
— Jolie Vaillance, tu la connais vraiment ?
— Heu… Oui ?
Anil se retint sur son flea pour ne pas tomber à la renverse. En comparaison à la quantité de planètes de la Confluence, le nombre d’écuyers était ridicule. Avoir un camarade venant du même monde était d’une grande rareté et si Anil en avait entendu certains murmurer à ce sujet, cela restait des cas isolés de personnes ne s’étant jamais rencontrés de leur vie. Partir avec quelqu’un d’aussi proche qu’un meilleur ami revenait au miracle.
— C’est quoi cette chance ? maugréa le garçon. Enfin ! Cela n’a pas d’importance ! Xaï ! maintenant vous m’avez mise en retard avec toutes vos âneries. J’irais me plaindre à Lesskov en arrivant, il vous passera un savon.
Il offrit un sourire mesquin aux deux adolescentes qui étaient devenues pâles en entendant le nom du terrifiant instructeur d’Aegis.
— Je rigole ! j’ai pas envie de prendre pour mon grade. Je dois encore me faire oublier pour le crash, je vous rappelle. Suivez-moi et ne touchez à rien cette fois !
Gwënaelle tapa l’épaule de sa camarade puis s’élança derrière le page en sautillant avec entrain, pressée de découvrir le reste du vaisseau. Vaillance fit de même, mais traîna un peu de la pâte. La noble aux cheveux de jais ne s’était pas encore remise du choc de sa retrouvaille avec Gwënaelle. La petite fille du consul ne semblait pas lui en vouloir, mais Vaillance n’arrivait pas à l’avaler.
Dans son joli monde imaginaire, elle s’était inventé une Gwënaelle au bord des larmes, bouillante de rage et prête à lui rendre les atrocités qu’elle lui avait dites. À la place, elle avait eu le droit à un sourire et un câlin. Elle poussa un soupir, déboussolée par toute cette histoire.
Les haïkadens sont vraiment bizarres… songea-t-elle en avançant
— Allez Vaillance ! Dépêche-toi !
L’interpellée releva la tête pour voir Gwënaelle lui attraper la main et la tirer vers le centre du nef où se trouvait le poste de pilotage. La pièce circulaire était occupée par huit sièges, dont six pour les membres de l’équipage et deux laissé pour les passagers. Les yeux de Gwënaelle se remplirent d’étoiles en les découvrant.
— Ces manettes servent à quoi ?
— C’est les contrôles de l’armement. Ne touche pas à ça, petite Gwën !
— Et cette console-là ?
— Le système de survie… Ne…
— Et ça ?
— Stop ! hurla le page. Va t’asseoir et zip là cinq minutes ! Vaillance, surveille ta pote ! Je dois me concentrer pour démarrer le nef.
Il s’installa sur l’un des deux sièges centraux et se focalisa sur le poste de commande principal du vaisseau haïkaden. Les deux adolescentes rejoignirent en silence les places passagères et s’y placèrent pendant qu’Anil pianotait sur plusieurs holoécrans. Au bout de plusieurs minutes, il demanda aux filles de boucler leurs ceintures ce qu’elles firent prestement. Une vibration traversa le vaisseau alors que le moteur Lisp, son cœur, s’éveilla après ses longues vacances. Vaillance sentit une pointe d’excitation l’empoigner, c’était la première fois qu’elle allait naviguer à travers la Voie lactée. Anil redoubla de vitesse et termina les dernières préparatives avant de se retourner vers les pupilles. Un sourire allant d’une de ses oreilles à l’autre découpa son visage, il n’en pouvait plus d’attendre. Il voulait piloter.
— Jolie Vaillance, tu as déjà voyagé en intersystème ?
— Non jamais, répondit-elle aussitôt.
Gwënaelle laissa paraître sa surprise.
— Vraiment ?
— Oui. Pourquoi ? Vous ne me croyez pas ?
Les deux pointèrent leurs propres yeux, ce qui donna un gros indice à la noble.
— Je suis née avec, rétorqua la fille en pinçant les lèvres.
Anil fronça les sourcils.
— C’est plutôt rare, fit-il remarquer. T’inquiète pas, personne ne va t’embêter car tu as les yeux bizarres. Un haïkaden sur deux à une mutation spatiale. C’est même plus commun que de ne pas en avoir.
— Les gardiens sont vraiment tolérants, c’est ce qui est bien chez eux, chantonna Gwënaelle.
Anil haussa les épaules.
— Jusqu’à ce que tu enfreignes le règlement, grogna le garçon. Accrochez-vous bien, on va commencer notre décollage.
En terminant sa phrase, il activa les caméras du nef et l’intérieure du cockpit s’illumina de blanc avant de refléter à l’exacte leurs alentours. Le page ferma la porte arrière, boucla sa propre ceinture et vérifia que les deux pupilles étaient bien attachées.
Il fit bouger les commandes doucement et positionna l’appareil sur la piste de décollage. Puisque la base militaire était totalement vide, Anil devait effectuer le travail du pilote, co-pilote et contrôleur de départ en même temps.
Comme à son habitude, il fit cela sans le moindre sérieux et s’amusa à changer de voix pour chaque rôle tout en donnant des noms idiots à chaque personnage pour détendre les deux passagères. Ce ne fut qu’une fois en face de la piste que Vaillance sentit l’inquiétude monter.
— Anil, tu as parlé d’un crash un peu plus tôt…
— Ha ! Ha ! Ouais ! ricana le garçon. Avec Koliane, on a trouvé une astuce pour sortir de la base sans se faire remarquer avec un nef. On en a piqué un pour participer à une course. C’était génial… Jusqu’à ce que je m’écrase en revenant sur le bureau de Sibelle.
Les deux filles se tournèrent l’une vers l’autre, terreur dans les yeux. Anil ne les laissa pas digérer l’information et, un sourire de démon sur le visage, appuya sur les gaz. Le moteur rugi et les occupants se retrouvèrent taclés à leurs sièges alors que le vaisseau s’élança à toute allure sur la piste de décollage.
— Tenez-vous bien ! ça va être sauvage !
Les deux adolescentes, yeux grand ouverts, se cramponnèrent à leur siège. Elles eurent à peine le temps de faire leur prière qu’Anil tira sur un des manches de contrôle. Le nef bascula, son nez pointant à présent droit vers le plafond.
Vaillance se sentit presque flotter alors que la gravité s’inversa. Au-dessus d’elle, une immense porte blindée commençait à s’ouvrir. D’un mouvement de doigt, Anil enclencha le moteur gravitationnel principal et envoya le nef tête la première vers l’imperméable mûr d’acier. Certaine que la porte ne s’écarterait pas à temps, Vaillance fut envahie par la panique. Incapable de respirer ou de fermer les yeux, les pupilles fixèrent la ruine arrivante, la boule au ventre.
Le temps se fit lent alors qu’ils glissèrent à travers l’ouverture. Une pluie d’étincelle les enveloppa, le vaisseau était passé à un millimètre du désastre. Anil hurla de joie et lança toute la puissance d’un coup, propulsant le véhicule parmi les cieux avant de se mettre à rire comme un dément.
Le choc fut si violent qu’elles auraient été écrasées au mur si ce n’était pour leurs ceintures et les figures aériennes qui suivirent furent suffisantes pour retourner même le plus solide estomac. Finalement, il redressa la bête dans le beau ciel bleu et repris une ascension plus douce vérifier l’état de ses passagères.
— Toujours en vie ?
Vaillance tomba à cours de mot et tourna un sourire idiot vers le jeune homme. Son cœur battait encore la chamade et son corps tout entier vibrait sur le coup de l’adrénaline. Jamais elle n’aurait cru vivre quoi que ce soit d’aussi palpitant, même sa cérémonie des treize pâlissait en comparaison.
Contrairement à ce à quoi elle s’attendait, elle avait adoré le bref et intense rodéo aérien. C’était comme si la conduite furieuse d’Anil avait fait bouillir son sang, purifié les peurs et ennuie qui lui pesait sur le cœur.
— C’était trop bien ! finit-elle par exulter. Les écuyers apprennent vraiment à faire ça ?
— Du calme, la bleue ! rappela à l’ordre le garçon. Tout le monde apprend les bases du pilotage, mais si tu veux vraiment t’y mettre, tu devras t’inscrire dans une option une fois que tu seras en deuxième année. Et toi Gwën, tout va bien ?
Anil fit tourner sa chaise pour aviser l’autre pupille. La noble aux cheveux d’argent reprenait doucement des couleurs, mais elle fit quand même bonne mine quand il la fixa.
— Ça va, déglutit-elle. J’ai été un peu surprise. Koliane ne conduit pas vraiment comme ça…
— Ouais, j’avais juste envie de m’amuser. La majorité des gens utilise les réacteurs à graviter pour s’élever hors de la base, mais c’est beaucoup trop ennuyant. D’ailleurs, une fois que l’on aura quitté l’orbite terrestre, je lancerais le moteur lisp et ont partira directement pour Erin IV. On mettra environ huit heures à arriver et le trajet sera beaucoup plus calme à partir de là. Vous pourrez même piquer une sieste dans les lits derrière, histoire d’avoir la pêche pour votre premier jour à Skalia.
— J’ai trop hâte d’y être, exulta Gwën en retrouvant son énergie.
Vaillance s’apprêta à acquiescer, mais stoppa son geste au milieu quand elle réalisa qu’elle avait partagé l’entrain de Gwënaelle.
Soudainement, l’excitation et la joie qu’elle avait ressentie lui parut étrangères, alien même et la fit douter d’elle-même. Ce qui n’était rien de plus qu’un plaisir de roturier, bien loin des standards familiaux, l’avait fait vibrer avec plus de force que n’importe quelle cérémonie à son honneur.
L’adolescente aurait aimé renier les sentiments, mais même son résonnement de petite noble bien apprise ne réussit pas à la convaincre. L’espace d’un instant, elle s’était même imaginée aux commandes de l’étrange vaisseau haïkadens, Gwënaelle à ses côtés, chose qui n’avait aucun risque de se produire.
En effet, Vaillance pensait toujours ne passer que quelques jours chez les haïkadens. Il était certain que les guerriers galactiques se rendraient bien vite compte de leur erreur et la renverraient bien gentiment chez elle. Cette pensée qui aurait dû la réconforter l’inquiéta aussi un peu.
Un peu secouée, la jeune fille aux yeux azurés retourna ceux-ci vers Anil qui s’activait sur la gravité artificielle et les écrans de protection du vaisseau. Une légère nausée bouleversa son ventre puis la sensation de décollage disparue pour de bon, le nef s’était isolé dans sa propre bulle gravitationnelle. Anil retira son harnais et les invita à faire de même.
— Nous allons bientôt quitter le champ de gravité de Sol IV. C’est l’heure de dire au revoir à votre ancien chez vous.
Autour d’eux, les étoiles s’étendaient jusqu’à l’infinie et Vaillance se sentit telle une poussière dans une nébuleuse. Sur sa droite, elle pouvait voir la lune et plus loin sa planète qui s’évanouissait doucement dans l’espace.
Le cœur de l’adolescente se serra. Elle avait toujours rêvé de quitter son monde natal pour voir la galaxie, mais les conditions bien spéciales de son départ lui firent tout drôle.
Normalement, elle reverrait le beau bleu de Sol IV bientôt, mais cela ne l’empêcha pas de l’admirer jusqu’à ce qu’Anil annonce le grand départ, gravant le paysage cosmique dans sa mémoire.
Le pilote éveilla le moteur Lisp, engin capable de propulser le nef à travers les étoiles au vaisseau. Les filles entendirent un léger son siffler aux creux de leurs oreilles, la bête venait de s’animer d’une nouvelle vie.
— Moteur Lisp en charge, passage en mode dérive dans dix secondes.
Vaillance s’enfonça dans son siège et se tient aussi droite qu’un crayon, ne sachant pas à quoi s’attendre. Anil continua le décompte, s’arrêtant à la toute fin.
— Que le fondateur nous guide, salua-t-il avant de déclencher l’allumage du champ lisp autour du vaisseau.
Un scintillement illumina les écrans puis ce fut le noir complet durant de longues secondes. Vaillance comprit que la dérive était terminée, elle n’avait rien senti du tout. Son regard se porta sur les écrans, intrigués par ce qu’il pouvait bien renvoyer à présent.
Si elle s’attendait à voir des étoiles dévalées à toute vitesse, elle fut légèrement déçue quand tout d’abord, seul un noir profond les entourait. Elle n’eut pas le temps d’afficher son mécontentement que le vide intersidéral s’illumina d’une puissante couleur blanche.
Une toile d’énergie nacrée s’étendit tout autour d’eux pendant que le nef atteint sa pleine vitesse, couvrant les ténèbres abyssales de l’espace, traçant route et chemin à travers le cosmos. De temps à autre, l’on pouvait apercevoir une pluie d’étoile filante suivie d’une brume vermillon alors que quelques photons perdus parvenaient à toucher la bulle entourant le vaisseau.
C’était un spectacle à s’en décrocher la mâchoire, tous restèrent plusieurs minutes silencieuses à apprécier les couleurs changeantes du tableau féerique se jouant devant leurs yeux.
— C’est fantastique… souffla Vaillance.
— Je ne te le fais pas dire, c’est impossible de s’en lasser.
— Que sont ces lumières ?
— Ce sont des nal’tear ! s’écria Gwën. À mes souvenirs, ça veut dire lumières guides en vlin’ns. On raconte que le fondateur les a créées il y a des éons pour guider les peuples à travers les étoiles.
Vaillance avait déjà entendu de telles histoires, mais comme beaucoup, elle ne croyait pas trop le tissu de mensonges qui semblait tout droit venu d’un conte pour enfants.
— Comment fonctionnent-ils ?
Gwën réfléchie profondément plusieurs secondes avant d’oser les épaules.
— Aucune idée ! Par contre, ils changent de couleur par rapport à là où l’on se trouve. Près de Proxeron, mon monde natal, ils sont vert émeraude avec des reflets rose. Ceux de Sol IV sont aussi très beaux en blanc.
— Autour d’Erin, ils tournent à l’orange et brillent de mille feux, ajouta Anil. Vous les verrez quand nous arriverons près de la planète. Vous devriez aller vous reposer, votre première journée va être fatigante.
Vaillance nota une certaine distance dans la voix du garçon d’ordinaire si joyeux. D’un coup d’œil, les deux adolescentes se mirent d’accord pour ne pas le déranger et quittèrent la poste de pilotage pour les quartiers de l’équipage. Se retrouvant finalement seule avec Gwënaelle, Vaillance sentit ses entrailles frémir.
— Gwënaelle, appela-t-elle. Peut-on discuter quelques minutes ?
La voix un peu tremblante de la plus jeune fit se retourner sa camarade.
— Qu’est-ce qu’il y a, Vaillance ?
— Je voulais… enfin… Je…
Elle se stoppa, maudit ses bégaiements enfantins puis prit une grande inspiration pour calmer son esprit. C’était la première fois que la jeune noble présentait ses excuses de sa vie et elle n’avait pas vraiment idée de comment bien le faire.
— Je voulais m’excuser pour ce que j’ai dit durant ma fête. C’était déplacé de ma part… Je ne voulais pas dire ça.
Les yeux de Gwënaelle s’écarquillèrent de surprise et son beau sourire s’évanouit. Sur son visage se peignit alors un sérieux qui ne lui ressemblait pas et ne manqua pas de rappeler à Vaillance l’étrange aura du grand-père de sa camarade, le consul Solar. Cette fois, ce n’était pas Gwënaelle l’écuyère rêveuse qui se tenait devant Vaillance, mais une véritable noble venue d’une des plus grandes familles de la Confluence.
— Vaillance, puis-je te poser une question ?
— Une question ? répéta Vaillance au bord de la panique.
Gwënaelle s’avança et planta un regard aussi tranchant qu’une lame dans celui de Vaillance.
— Tu n’es pas là, car tu te sentais mal pour moi, pas vrai ? demanda-t-elle, d’un air contrarié.
— Me sentir mal… Non pas du tout !
— Vraiment ? Appuya Gwënaelle, doute dans la voix. Tu me le jures ?
Vaillance hocha frénétiquement de la tête, son visage peint d’un mélange d’embarras et de peur. Gwënaelle l’observa fixement une poignée de secondes, mais ne put retenir un petit sourire en voyant son amie piquer un phare. Elle la prit dans ses bras et la serra contre elle, au grand dépourvu de Vaillance qui ne comprenait plus rien à ce qu’il se passait et arrivait encore moins à cacher sa gêne.
— Je savais que tu viendrais, Vaillance ! J’étais certaine que nous allions devenir des écuyères ensemble et que l’on sauvera la galaxie.
— Comment ça ? demanda Vaillance. Comment as-tu pu le deviner ?
Gwënaelle se recula, un air narquois sur le visage. Avec un geste théâtral, elle se tapa deux fois le nez du bout de l’index et sourit à pleine dent.
— Grâce à mon flair légendaire, bien sûr !
Vaillance cligna les yeux avant d’éclater de rire. Si l’espace de quelques secondes elle avait vraiment cru que son étrange camarade avait connaissance des raisons de son arrivée chez les haïkadens, cette idée fut emportée tels des fétus de paille dans la tempête.
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Quasar point :
Les vaisseaux de la Confluence utilisent la dérive pour voyager entre les différents systèmes solaires. Le moteur Lisp crée une bulle autour du vaisseau, le séparant pour un temps du monde réel et raccourcissant grandement le trajet.
Plus la dérive est profonde, plus le vaisseau ira d’un point à l’autre rapidement, mais plus le coût s’en trouvera décuplé.
Les nal’tears forment des chemins à travers la dérive, tel un fil d’Ariane guidant les vaisseaux d’un monde à l’autre. Toute planète en dehors d’un de ces sentiers devient très difficile à atteindre.
Il existe dans la Confluence plusieurs ‘trou’ où aucun nal’tear n’illumine la voie.
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