Anil Remzi n’était pas connu exactement comme l’élève le plus sage de sa promotion. Bien au contraire, il s’était même bâti la réputation d’être un véritable nid à problème et était systématiquement le premier questionné quand quoi que ce soit survenait dans l’école.

Cela n’avait rien d’un secret. Il s’en vantait devant ses camarades à longueur de journée, ses professeurs le lui rappelaient et une grande partie des nouveaux venus en entendaient durant leur vol jusqu’à Skalia. Autant dire que cela ne surprit aucunement le chef des jotüns quand il découvrit l’effronté en train d’essayer de s’introduire dans son bureau.

— Bonjour, premier Jotün Voker ! s'écria le garçon avec un salut surjoué. Vous avez passé de bonnes vacances ? D’ailleurs, c’est page Remzi, je suis en troisième année à présent.

Gwënaelle écarquilla les yeux, ce ne fut pas tant le culot du page qui la surprit, mais bien le nom de celui qui se tenait en face d'elle. Elle se pencha aussitôt vers Vaillance.

— C’est Orlan Voker ! murmura-t-elle à son oreille. Celui qui a fabriqué les armures des hauts gardiens au début de la guerre et le haïkaden qui a défendu Sol IV.

Maintenant qu’elle le disait, le nom rappelait bien quelque chose à Vaillance. Elle devait déjà l’avoir entendu au détour d’un cours d’histoire, où durant d’une de ses nombreuses visites culturelles où l’emmener son ancienne école.

Jusqu’à aujourd’hui, la jeune noble ne s’était jamais questionnée dessus puisque la guerre n’entrait pas vraiment dans ses sujets de prédilection.

Voker, qui dévisageait toujours le page, se racla sa gorge et secoua la tête.

— Page ? Pupille ? Cela change-t-il quelque chose pour vous, Remzi ? Je doute que vous n’ayez mystérieusement grandi en l’espace de deux mois. Il marqua une pause et observa les alentours. Lu’ir n’est pas avec vous ? Est-elle encore sur Sol IV ?

— Elle partait après nous. Lesskov l’a demandé lui-même.

Voker hocha la tête en se souvenant de sa dernière conversation avec le chef instructeur de Skalia.

— En effet, il m’a parlé de cela après son départ. Elle ne devait pas tarder à arriver.

Il abandonna le page pour jeter un regard aux deux filles qui se tenaient côte à côte derrière.

— Que m’avez-vous ramené ? Deux petites mutantes ? Êtes-vous déjà en train de semer de mauvaises graines chez les nouvelles écuyères ?

— Pas du tout ! s’exclama le garçon en levant les mains au ciel. Je voulais seulement utiliser les réplicateurs pour éviter la queue en bas. C’était l’affaire d’une minute, rien de plus.

Voker se pinça le nez, combattant le mal de crâne induit par le page.

— Vous ? Utiliser un réplicateur ? Autant envoyer ces cadettes en haillons sur le terrain d’entraînement. Approchez donc, pupilles. Je ne mords pas. Quels sont vos noms ?

Elles s’avancèrent doucement pour entrer dans la lumière projetée par la cascade d’holoécrans qui entourait le bureau de Voker et se présentèrent à tour de rôle en réalisant le même salut qu’Anil.

Le page ravala sa salive, inquiété par le soudain intérêt du maître Jotün pour les deux filles. Vaillance se sentit comme un fruit sur l’étal d’un marcher. Les petits yeux intrusifs de Voker la scrutèrent de haut en bas et il la fixa même droit dans les yeux durant vingt bonnes secondes avant de finalement la laisser respirer.

— Je me nomme Orlan Voker, premier Jotün de Skalia et votre professeur dans cette doctrine, se présenta l’homme.

— Premier Jotün ? s’enquit Vaillance.

— Le premier gardien est le responsable et la voix de sa doctrine au sein d’une de nos cités. Chaque base est dirigée par neuf gardiens, un pour chaque doctrine.

Vaillance comprit finalement la raison de l’entrain de Gwënaelle. Voker est plus qu’un héros de guerre et un technicien, c’était l’un des dirigeants de l’ordre.

— Merci, premier jotün Voker.

— Pour vous pupille Weiss, ce sera instructeur Voker. Maintenant, montrez-moi vos legs, jeunes filles.

Vaillance porta la main à son torse, marqua une hésitation. Le petit fragment de métal bleu qui pendait au creux de sa gorge s’était presque fait oublier depuis son départ. Elle le tira lentement pour le laisser tomber au-dessus de son pull et fut un peu surprise quand elle vit Gwënaelle l'imita.

Celui de son amie ne ressemblait en rien au sien et prenait la forme d’un crâne d’oiseau aux reflets chromé. Voker les observa attentivement puis commenta d'un claquement de langue strident, marmonnant quelques malédictions entre ses dents.

Les deux étudiantes ne comprirent d’abord pas quand le premier jotün quitta son siège. Anil s'écarta aussitôt et ouvrit grand les yeux pour ne rien manquer à la scène. Ce n’était pas tous les jours que l’on avait la chance de voir le légendaire Voker en train de travailler.

— Tenez-vous bien droite pupille Weiss et sauter sur place. Ne me regardez pas comme ça, continuez ! Encore, n’arrêter que si je vous le dis.

Alors que Vaillance réalisa l'étrange exercice, Voker se tourna vers Gwënaelle et lui attrapa le bras. Sans aucune tendresse, il l’étira au maximum et commença à jouer avec chacun de ses doigts puis ausculta les muscles de la noble argentée un à un. Il hocha plusieurs fois la tête, plongée profondément dans ses pensées, et autorisa Vaillance, qui sentait déjà un point de côté pulsé dans son ventre, à cesser.

— Faites deux tours de la salle en trottinant, et ne trébuchez pas sur les câbles. Remzi, à genoux, tout de suite.

Le jeune homme se jeta presque au sol et accepta sans un mot quand le gardien posa le pied de Gwën sur son épaule. Il poussa la fille pour qu'elle tombe, mais elle réussit à rester droite. Voker laissa paraître sa surprise et, tendant la main, attrapa Vaillance par le col alors qu’elle passait près de lui.

— C’est assez, pupille Weiss.

Le souffle court, Vaillance s'écrasa contre Gwënaelle pendant que Voker retournait à son bureau, Anil sur ses talons. On aurait cru voir un petit chien suivant son maître, battant de la queue d’excitation. Une fois assis à sa chaise, Voker pointa de l’index deux grands cylindres de verre qui se trouvait de l’autre côté de la salle.

— Vous aurez le temps de vous reposer plus tard, pupille Weiss. Enlever vos vêtements et entrer chacune dans un des réplicateurs. Je vais concevoir vos uniformes.

Les deux filles arquèrent leur sourcil en même temps.

— Tous nos vêtements ? osa demander Gwën chevrotante.

Voker tomba sur sa chaise et roula des yeux.

— Ne me faites pas répéter. Vous êtes des écuyères, agissez en tant que tel. Il marqua une pause avant d’ajouter. Estimez-vous chanceuse, ici, il n’y a que nous quatre, en bas vous auriez subi le même traitement, mais devant tous vos camarades.

Comme Voker ne leur laissait pas trop le choix, elles serrèrent les dents et abandonnèrent leurs habits sur le carrelage froid du laboratoire avant d’avancer sur la plateforme cylindrique servant de base au réplicateur. Vaillance cacha d’abord sa gêne derrière un masque d’indifférence, mais comprit bien vite qu’aucun des deux hommes ne leur prêtait la moindre attention. Voker n’avait pas attendu qu’elle rejoigne le réplicateur pour commencer son travail sous le regard abasourdi d’Anil à qui l’on aurait pu faire avaler une mouche sans qu’il ne le remarque.

Vaillance se glissa derrière le cercle de verre et, exactement comme à son entrée dans le vaisseau, un scanneur balaya la jeune fille à plusieurs reprises, créant en face d’elle une réplique parfaite de sa silhouette et de toutes ses mensurations.

À peine le scanneur eut-il disparu que le gardien lança la séquence de réplication. Plusieurs drones de la taille d’un point s’élevèrent autour de Vaillance et commencèrent à concevoir ses habits directement sur sa peau. Pour son plus grand plaisir, ils débutèrent par lui rendre des sous-vêtements composés d’un short et d’une brassière puis s'attaquèrent à son uniforme.

Depuis son arrivée, Vaillance avait pris le temps d’observer les élèves d’année supérieure et avait noté que si toutes leurs tenues se ressemblaient, tous avaient de légères particularités. Elle en avait conclu que chacun pouvait les personnaliser, mais n’était pas au bout de ses surprises.

Les habits des gardiens n’étaient pas constitués des tissus couramment trouvés dans la Confluence, mais d’une matière unique que les jotüns appelaient le tissage. Tout en stylisant les habits, Voker leur expliqua que cette fibre était formée d’un assemblage de nanomachine capable de changer de forme, de textures et même de matières à volonté. Cela permettait entre autres aux écuyers d’avoir plusieurs uniformes pour leur diverse activité.

Vaillance observa avec attention les petits robots s’adonner à leur tâche, impatiente de découvrir sa nouvelle tenue. En face d’elle, un holoécran lui présentait son reflet ainsi que le résultat final.

L’uniforme de base des gardiens était composé d’un treillis gris fait d’une toile légère presque fluide et d’un haut couvrant jusqu’au mi-bras. À cela, s’ajouter des bottes fabriquées à partir de l’étrange métal des gardiens et qui auraient bien pu appartenir à quelques robots et qui se vissèrent autour de ses chevilles.

Des vêtements simple et résistant, taillés pour les entraînements qui rythmaient la vie d’écuyer. Voker les informa qu’elles auraient aussi un gi pour leur cours d’art martial ainsi qu’une tenue de cérémonie que beaucoup utilisaient aussi durant les cours plus théoriques.

La réplication complète, Vaillance s’apprêta à sortir du réplicateur, mais Voker l’en empêcha. Le vieux gardien était loin d’en avoir fini.

Il se leva de son bureau et attrapa un gant singulier, un véritable engin de torture à l’allure de pâte griffue bardé d’outil et de détecteur. Vaillance n’apprendrait que quelques jours plus tard qu’il s’agissait là d’un instrument capable de manipuler le tissage à la main.

Il entra dans le réplicateur de Vaillance et commença à altérer son uniforme, tordant la fille dans tous les sens sans la moindre hésitation. Il modifia quelque peu la forme de son haut, repensa la coupe pour qu’elle s'adapte mieux à l’adolescente avant d’ajouter des ornements pour le rendre un peu plus beau. Il s’attaqua ensuite à son bas et le transforma entièrement en un legging épais puis changea ses chaussures en bottes montant jusqu’en haut de ses tibias. Il passa plusieurs minutes sur ces dernières, ne laissant aucun détail au hasard comme si la vie de l’écuyère en dépendait.

Quand il fut satisfait, il fabriqua une broche composée d’un 7 retourné croiser avec un trait droit et l’accrocha au-dessus du cœur de la fille. Le vieux gardien se tourna alors vers Gwën à qui il apporta aussi de nombreuses retouches, lui offrant des baskets futuristes fort mignonnes dont Vaillance fut une pointe jalouse, ainsi que de longs gants sur lesquels il s'appliqua énormément.

Une fois son travail terminé, il leur ordonna de rester en place et regagna son bureau où il récupéra deux bracelets formés de cercles de métal interconnectés ensemble.

— Voici vos Kiris, vos consoles de gardien. Ils possèdent des centaines de fonctionnalités, contiennent votre holoécran personnel, sauvegarderont vos cours, vous permettrons de changer de tenues et, surtout, vous identifier en tant qu’écuyères. Prenez-en le plus grand soin et ne me faites pas l’affront de les perdre. Présentez-moi vos poignets gauches, que je vous les installe.

Les kiris allaient à merveille aux deux filles et Voker passa deux minutes de plus à les modifier sur elle, mais aucune des deux ne vit une différence.

— Excellent ! Vous ne trouverez pas de meilleurs vêtements que ceux-ci. Essayez-les donc un peu et dites-moi ce que vous en pensez.

Les deux cadettes se mirent à faire quelques mouvements, s’étirèrent et durent accepter le talent du premier Jotün. Même les habits de qualité des nobles n’étaient pas aussi confortables que ceux des gardiens et Vaillance s'étonna de les trouver plutôt beaux bien que fort simples.

— C’est parfait, merci beaucoup, remercia l’adolescente.

Gwën suivit l’exemple de son ami et le gardien répondit d’un sourire.

– Heureusement. Je ne ferais pas honneur à mon titre si ce n’était pas le cas. J’ai glissé quelques autres surprises, vous les découvrirais plus tard. Allez hop, dégagez de mon bureau, vous avez une cérémonie qui commence bientôt si je ne m’abuse.

Anil jeta un regard à son Kiris, qui afficha l’heure et le page tourna aussi pâle qu’un mort. Il attrapa ses deux pupilles par le col et, sans trop leur laisser le choix, les traîna vers la sortie.

— Bonne journée, premier Jotün Voker ! Et merci beaucoup !

L’homme qui était déjà retourné à son travail ne répondit même pas. Ce ne fut qu’une fois le garçon et ses deux jeunes camarades partis qu’il releva la tête pour observer la porte, l’ombre d’un sourire le traversa.

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Quasar Point:

Orlan Voker est l’un des trois premiers personnages crées pour l’histoire, se tenant troisième après Alexandr Lesskov et Axia Kaleban.

Presque chaque doctrine à un opposé parmi ses paires. Celle du jotün est le corbeau.

La haute gardienne des jotüns est surnommée Oblivion cendreux et est une nog’lonne.