10.2 La cérémonie de l'aube

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Quelques minutes après l’accrochage avec la pupille Osder, arriva finalement l’heure de la cérémonie. Le début s’annonça quand une haïkadenne entra dans la salle. À peine Gwënaelle l'eut-elle aperçu, qu’elle poussa un glapissement.

— Je n’y crois pas ! C’est Opale Tie’kel ! s’extasia-t-elle en sautillant sur place pour la voir au-dessus de la foule. C’était l’écuyère de la chimère émeraude, le prochain haut gardien des manticores !

Vaillance écarquilla les yeux, les explications de son amie la prenant un peu aux dépourvus. Tie'kel, qui entrait à peine dans la vingtaine, lui avait tout de suite semblé bien jeune et la robe grise qu’elle portait, simplement nouée à sa taille par un pan de tissu vert, manquait à la faire resurgir comme quelqu’un d’important.

Intriguée, Vaillance l’observa s’avancer jusqu’au centre de la salle où elle se racla la gorge.

— Écuyers ! Je suis l’instructrice Tie’kel, première gardienne des manticores et responsables des étudiants de premier cycle. Dans les minutes qui suivent se déroulera la cérémonie de l’aube qui vous présentera à vos professeurs, vos camarades et votre foyer. Cela va sans dire que j’attends un silence absolu et une attention irréprochable durant toute la cérémonie, spécialement durant le discours du héraut du conseil…

La voix cristalline de Tie'kel se tut quelques secondes, elle balaya l’assemblée de son regard noisette.

— Je n’aimerais pas avoir à commencer l’année avec des remontrances. M’avez-vous entendu ?

Les pupilles hochèrent de concert la tête. Vaillance ravala sa salive, elle n'avait pas prévu que la jeune gardienne se montre aussi stricte.

— Instructeur, que va-t-il se passer ?

Tous se tournèrent vers celui qui avait trouvé le courage de demander la question que chacun se posait. D’un coup d’œil, Vaillance reconnut le garçon aux cheveux orange qu’elle avait aperçu précédemment. Tie’kel lui jeta un regard, mais, contrairement à ce à quoi Vaillance s’attendait, ne le réprimanda pas.

— Vous allez pouvoir le découvrir, pupille. Que la poussière vous guide.

À ces mots, la porte qui donnait sur l’extérieure se ferma et les uniformes des écuyers explosèrent en une vague de particules alors que le tissage se reforma pour adopter la tenue de cérémonie des écuyers. Vaillance se retrouva dans une robe se terminant à ses genoux et laissant apercevoir ses fines jambes couvertes d’un épais collant. Tous ses vêtements étaient noire à l’exception de la ceinture de tissu, grise en l’absence de doctrine.

— Incroyable… marmonna-t-elle en touchant du bout des doigts sa nouvelle tenue.

Alors que chacun s’étonnait des capacités de leur nouvelle uniformes, l’atmosphère de la salle changea du tout au tout.

Les lumières se tamisèrent lentement et les voix se turent une à une jusqu’à ce que le groupe de pupilles se retrouve dans l’obscurité la plus complète. Les élèves, scinder quelques minutes plus tôt, se rassemblèrent au centre pour à affronter l’inconnue ensemble.

Vaillance, qui se retrouvait d’un coup au cœur de sa nouvelle classe, jeta des coups d’œil discret à ceux qui l’entouraient. Juste à sa droite, Ender restait imperturbable bien que son regard, chargé d’émotions, trahissait l’émoi qui le saisissait.

Il n’était pas le seul, presque tous les pupilles goûtaient en ce moment à un cocktail de joie, d’impatience, d’anxiété et surtout de fierté.

Gwënaelle, quant à elle, bouillonnait sur place. Ce n’était pas simplement depuis quelques jours qu’elle attendait cet instant, mais bien des années. Au pinacle de son excitation, elle parvenait tant bien que mal à se contenir, mais menaça de craquer tel un barrage débordant quand une porte se dessina dans le mur en face d’eux.

La pierre se sépara en centaine d’anneaux, formant une plateforme suffisamment grande pour porter tous les pupilles. Riant d’émerveillement, la noble argentée tira la manche de velours de son amie.

— T’as vu ça, Vaillance ! C’est là que nous allons devenir des écuyères ! jubila-t-elle.

Ces mots firent un choc à Vaillance. Depuis son départ de sol IV, Vaillance s’était laissé guider par le courant tel un morceau de bois à la dérive dans l’océan, priant continuellement pour que celui-ci la ramène chez elle sans rien y faire pour autant.

Maintenant au terme de son voyage, l’adolescente baissa les yeux vers ses mains. Elle frotta ses doigts entre ses paumes, sentit la subtile moiteur qui les couvrait, puis écouta le son de son cœur qui résonnait dans sa poitrine. Elle se rappelait encore la dernière fois qu’elle s’était sentie comme ça, son treizième anniversaire.

Une légère panique s’empara d’elle. Rentrer chez elle, était-ce là vraiment son souhait ? Ou bien un simple caprice ? Pouvait-elle devenir une haïkadenne ? En était-elle seulement capable ?

Comparé à Ender, Karin où même à Gwënaelle, Vaillance faisait pâle figure. Certes elle était un jeune noble bien éduqué, mais à quoi aller bien pouvoir lui servir tout cela ?

Un peu perdue au milieu de ses craintes, elle sentit à peine la main de Gwënaelle se glisser dans la sienne. Tournant la tête, elle vit que la noble la regardait attentivement.

— On y va ? demanda son amie.

Bien qu’elle arrive à peine à discerner Gwënaelle, Vaillance pouvait sentir sa présence telle une douce flamme blanche dans la nuit. Un beau sourire fleurit sur son visage jusqu’alors contrarié. Au diable les doutes et les peurs, c’était sa vie et elle en faisait ce qu’elle voulait. Si ça l’amuser d’essayer d’être une haïkadenne, elle avait bien le droit de s’y risquer.

— Tu vas voir, ça va être génial, dit-elle à voix haute, un peu pour se convaincre.

— Comment tu sais ça ?

Un air mesquin traversa son visage et, d’un geste théâtral, Vaillance tapa deux fois le bout de son nez.

— Mais grâce à mon flair légendaire, bien sûr ! imita-t-elle au mieux.

— Arrête ! s’écria aussitôt Gwënaelle. Je n’ai pas l’air aussi bête quand même ?

Les deux filles rirent ensemble. Ce fut alors que Vaillance sentit le sol bouger sous ses pieds. Tie’kel réapparut sur une plateforme flottante quelques mètres devant eux.

— Pupilles, je vous souhaite la bienvenue dans le hall des élues !

Elle écarta les bras et les bords de leur plateforme ainsi que plusieurs autres s’illuminèrent. Vaillance comprit aussitôt qu’ils flottaient à présent au milieu d’une immense sphère.

Au-dessus de leur tête, les ombres s’emplirent de lueur qui n’allaient pas sans rappeler celle des étranges nal’tears et, parmi les nuances chatoyantes, elle vit se dessiner les neuf doctrines. Un fil de flamme s’étira de chaque symbole, illumina faiblement les murs de la sphère et révéla les silhouettes des nombreux gardiens qui les observaient depuis les anneaux de gradin formant le contour du hall.

Un éclair de lumière tomba à l’opposé d’eux et une première plateforme fut dévoilée. Un groupe d’écuyers, les sixièmes années, se tenait agenouillé dessus. Tel un seul être, ils se levèrent et l’un d’eux, une grande nog’lonne, prit la parole.

— Skalia ! La huitième cohorte vous salue !

Elle frappa deux fois son cœur et brandit le poing au niveau de sa tempe comme le voulait le salut des gardiens. Aussitôt, tous ses camarades se joignirent à elle et l’éclair bondit vers une autre plateforme où le même spectacle se répéta.

Une vague de murmure parcourut les pupilles, si tous avaient deviné qu’il serait bientôt leur tour, les plus rapides d’esprit comprirent qu’ils devaient imiter leur aîné.

— Qui se charge de l’annonce ? demanda l’un.

— Pourquoi tu me regard ? Je ne sais même pas ce qu’il faut dire !

— On va avoir l’air ridicule !

Gwënaelle se tourna vers Vaillance, ses yeux brillants d’un éclat qui ne prédit rien de bon à son amie.

— Vaillance, tu devrais le faire !

— Moi ? gémit l’intéressé en se pointant du doigt. Pourquoi tu ne le fais pas toi ?

— Je le ferai bien, mais je n’ai jamais parlé en public ! Toi, tu l’as fait des dizaines de fois ! Je t’ai même vu à la télévision et on m’a fait apprendre plusieurs de tes discours pour m’entraîner. Ne t’inquiète pas ! Je suis certaine que tu vas réussir.

Si l’annonce d’être utilisé comme référence l’aurait choquée en temps normal, Vaillance n’avait pas vraiment le temps d’y penser. Elle se mordit les lèvres pour se punir d’avoir pensé que la cérémonie serait facile et fit rapidement le tour de sa futur classe. Si quelques-uns avaient bien envie de représenter le groupe, personne ne trouvait le courage de s’y proposer. Même les plus bruyants, quelques minutes plus tôt, faisaient maintenant profil bas.

— Quel est notre numéro de cohorte ? demanda Vaillance.

— Nous sommes la treizième, répondit aussitôt Ender.

— Très bien, je vais le faire.

Fendant le groupe de pupille, le nog’lon l’aida à passer devant. Bien que plusieurs de ses camarades firent remonter leurs doutes, personne ne l’empêcha et elle se retrouva au bord de la plateforme.

Les lèvres sèches et son cœur battant la chamade, Vaillance s’agenouilla. Ender et Gwënaelle se trouvaient justes derrière elle ainsi que chacun de ses camarades qu’elle représentait à présent. La noble aux cheveux de jais avait du mal à garder la tête froide et chaque nouvelle classe qui s’annonçait augmenter la pression d’un cran. Du coin de l’œil, elle vit Koliane se lever pour la onzième cohorte et, vidant son esprit, elle prit une longue inspiration. Elle attendit que la lumière ne tombe sur eux, mais celle-ci n’arriva jamais.

Rouvrant les yeux, elle vit les éclairages s’éteindre et la salle replongea dans l’obscurité à l’exception de l’anneau centrale, le cœur du hall des élues. Beaucoup plus petit, il n’accueillait de la place que pour une dizaine de personnes, soit les dirigeants de Skalia.

Tie’kel qui voguait toujours au-dessus des pupilles, bondit à travers le champ de faible gravité pour atterrir agilement sur l’estrade centrale, juste à côté du héraut de conseil. Vaillance n’eut pas à regarder deux fois pour la reconnaître, Axia Kaleban, la haute gardienne des goules était impossible à oublier.

Les deux femmes se prirent les mains l’espace d’un instant, puis Tie’kel partit s’asseoir sur le siège réservé au manticore. À ses côtés siégeait Lesskov vêtue de noir ainsi que Voker qui n’avait même pas pris la peine de se changer depuis leur rencontre. Les grands de Skalia ne retinrent l’intérêt de Vaillance que quelques seconde, son attention orbitait vers la haute gardienne.

Axia baignait dans le même éclat fantomatique qu’à leur rencontre. Sa robe grise, la même que Tie’kel, était inscrite de glyphe haïka tracé au fil d’argent. Derrière elle, des pans de tissue bleuté flottait dans le champ de gravité, resplendissant avec l’éclat réunit de dix naines blanches, et reflétaient l’infinité cosmique qui brûlait sur le plafond. Le regard de la haute gardienne fit le tour de la salle et finalement elle prit la parole.

— Oui écuyers, encore une fois Skalia, ainsi que chaque haïkaden à travers les étoiles, vous répond et accueille. Membres du conseil, gardiens et écuyers, il m’emplit de joie de pouvoir de nouveau poser le regard sur vous. Comme tous les cycles, notre peuple a affronté maint péril afin de continuer notre veille, de protéger la paix établie au prix du sang et de maintenir l’entropie loin de notre galaxie. Comme chacun le sait, certains de nos frères et sœurs ont tout donné pour ce rêve et sont retournés à la poussière afin de nous guider. Je partage la peine de ceux les ayant perdus.

Elle marqua une pause et ferma les yeux, murmura une prière silencieuse avant de reprendre.

— Aujourd’hui ne sont cependant pas jour de deuil et lamentations. En ce premier jour du cycle, nous avons la chance d’assister à la naissance d’une nouvelle génération d’écuyer, les bourgeons qui un jour se tiendront à nos côtés, dans la guerre comme dans la paix. Mes frères, mes sœurs ! Haïkadens ! j’ai l’honneur de vous présenter la treizième cohorte d’écuyers !

Une lumière aveuglante retomba sur les pupilles et tous, gardiens comme écuyers se tournèrent vers eux. Vaillance, aussi naturellement qu’un geste répété un millier de fois, se releva. Sa voix éclata à travers la salle avec la même ardeur que ses ouailles, elle cria :

— Skalia ! La treizième cohorte vous salue !

Elle frappa deux fois son cœur et leva haut le poing. Aussitôt, l’écho de celui de ses camarades la traversa, la fit vibrer jusqu’au plus profond d’elle. Au-dessus de leur tête, une vague sillonna les lueurs et les symboles rayonnèrent de plus belle. Aux quatre coins de la salle, tel un seul être, l’ensemble des neuves doctrines se leva. Les deux coups qu’ils portèrent à leur cœur furent tel le tonnerre.

— Écuyers ! Skalia vous répond ! clamèrent-ils tous en chœur alors que les lumières éruptèrent.

Galvaniser par la scène, Vaillance crue qu’elle allait tourner de l’œil. Un étrange sentiment lui écrasa la poitrine, le même qu’elle avait ressenti en voyant l’épée au fond de la tombe, le même qui la hantait la nuit à travers ses songes.

Baissant finalement le poing, les gardiens le tendirent vers les nouveaux écuyers puis l’ouvrir. Une fine neige se mise à tomber sur eux et leurs tenues de cérémonie se couvrirent de symbole argenté alors que la salle se remplit d’acclamation et d’applaudissement.

Ce fut alors que Vaillance croisa le regard d’Axia. Aucun doute possible, elle la regardait droit dans les yeux. Son legs se fit plus lourd jusqu’au moment où la haute gardienne lui offrit un sourire ainsi qu'une imperceptible révérence.

Le cœur de Vaillance se détendit d’un seul coup. L'hypothétique retour en arrière n'existait plus, elle était désormais une écuyère.

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Quasar point :

Le haïka murmure, ses enfants y répondent.

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