Descente et montée
Cafetière, bavardages, micro-onde.
— Allo ?…
— Ouais mec, c’est moi…
— Non non, je suis encore au boulot, mais c’est la pause déjeuner. Je voulais te dire que je ne viendrais pas ce soir : demain c’est vendredi et je dois me lever tôt pour venir au travail.
— Je vais plutôt rester tranquille chez moi…
— Sérieusement, je ne viens pas…
— Ah bon ?…
— Il y aura qui d’autres ?…
— Elle aussi ? Bon d’accord, je vais faire l’effort, mais c’est bien parce que tu insistes ! J’arrive vers 21 heures, le temps de rentrer du travail, de manger…
— Bon d’accord, je viens plus tôt pour l’happy hour, mais on reste tranquille ce soir ! Je n’ai pas envie de m’endormir, comme la dernière fois, à la cafétéria parce que j’ai picolé toute la nuit ! Je te laisse, à ce soir mec.
Vrombissements du tramway, annonce du prochain arrêt.
— Allo ?…
— Ouais mec c’est encore moi. Je vais être en retard. Tu peux me commander une bière tant que c’est encore l’happy hour ?…
— Comme d’habitude, une pinte de potion magique. Merci mec ! Ça se passe bien ?…
— Elle est déjà là ?…
— Garde-moi une place à côté d’elle, j’arrive !
Bavardages, rires, rock psychédélique des années soixante-dix.
— Bonsoir à tous !
— Salut mec ! Merci pour la bière.
— Hey miss ! Quelle bonne surprise !
Bises.
— Je vois qu’il y a une place à côté de toi, je m’installe, on pourra papoter.
— À la vôtre !
Verres qui s’entrechoquent.
Cloche annonçant la fin du happy hour dans trente minutes.
— On remet ça ?…
— OK, finissez vos bières tout de suite.
Silence religieux, verres reposés violemment sur la table.
— S’il vous plait ! On aimerait commander une autre tournée.
— À la vôtre !
Verres qui s’entrechoquent.
— S’il vous plait, on va commander.
— Qu’est-ce que tu veux miss ?…
— Tu ne bois plus ?…
— Moi aussi je bosse demain, mais je ne vais pas exagérer ce soir. Commandons une dernière bière et sirotons-la tranquillement. Laisse-moi te l’offrir !…
— De rien, ça me fait plaisir ! S’il vous plait ! Deux autres pintes.
— À la tienne miss !
Verres qui s’entrechoquent.
Porte qui se ferme, verrou, braguette, fin trait de liquide qui se déverse dans les toilettes.
— J’ai la tête qui tourne ! Bon, je finis mon verre et ensuite, je me calme…
Chasse d’eau, braguette, verrou, porte qui s’ouvre.
— Tu es ravissante ce soir miss…
— De rien, c’est dit en tout bien tout honneur. Ça faisait longtemps que je ne t’avais pas vu en soirée, ton copain t’a laissé sortir pour une fois hahaha !…
— Désolé, je ne savais pas. Depuis combien de temps êtes-vous séparés ?…
— Tu le vis bien ?…
— Tant mieux ! Tu trouveras quelqu’un d’autre, c’est certain. Je suis même sûr que, dans ce bar, il existe un garçon qui voudrait bien d’une jolie fille comme toi.
— Je te paye une mousse, pour me faire pardonner…
— La dernière bière, c’est promis !
— S’il vous plait…
Verres qui s’entrechoquent.
— Si tu as besoin de parler miss, je suis là…
— Non non, c’est normal. Je t’en prie…
— Oui…
— Hum hum…
— Je vois…
— Je te comprends…
— C’est normal…
— J’aurais fait la même chose à ta place…
— Excuse-moi, je dois…
— Oui c’est ça ! La bière ! Je reviens vite.
Porte qui se ferme, verrou, braguette, puissant jet qui s’écrase à la surface de l’eau au fond des toilettes.
— Elle n’est plus avec ce con, c’est mon jour de chance !
Chasse d’eau, braguette, tête qui cogne violemment la porte.
— Aie !
Verrou, porte qui s’ouvre.
— Hey, les gars, ça se passe bien ? Ça picole dur ici à ce que je vois !…
— On discute pendant que vous vous saoulez, accoudés au bar, comme deux alcooliques !…
— Elle n’est pas chiante, elle vient juste de quitter son copain, elle a donc besoin d’une oreille attentive et…
— Et d’une quoi ? Je ne t’entends pas dans tout ce bruit…
— N’importe quoi ! Ce n’est pas ce genre de fille…
— Comment ? Vous voulez encore boire ? Mais c’est trop cher maintenant…
— Happy hour mojito? Dans ce cas, je suis d’accord ! Je vais en prendre deux, ça va me donner du courage.
— S’il vous plait.
Verres qui s’entrechoquent.
— Désolé, j’étais en train de… de parler avec les autres…
— Oui, deux verres…
— J’avais promis de ne plus boire de bière, mais là c’étaient des mojitos ! Je t’en ai ramené un, ils sont excellents…
— Pourquoi ?…
— OK, je ne vais pas te forcer à consommer, mais maintenant que c’est payé, je ne vais pas le jeter.
— À la mienne !
Glaçons qui s’entrechoquent, mojito qui s’écoule dans la gorge, toux.
— Alors, où en étais-tu de tes histoires ?…
— Hum hum…
— Hum hum…
— Hum hum…
— Si si je t’écoute…
— Hum hum…
— Hum hum…
— Hum hum…
— Scuz, j’dois aller pisser.
Porte qui claque, verrou, pantalon qui tombe en bas des pieds, hoquet d’ivrogne, cascade de liquide jaune se déversant sur la cuvette, rot tonitruant.
— Hahaha !
Verrou, porte qui claque.
Pas de chasse d’eau.
— Les gars, j’suis trop bourré !…
— Picoooole !
Verres qui s’entrechoquent.
— S’vous plait !
Verres qui s’entrechoquent.
— Garçon !
Verres qui s’entrechoquent.
— Tavernier, à boire !
Verre qui éclate sur le sol, rires gras.
— Ouais mec… t’as raison ! Jvais lui parler comme un homme !…
— Euh, l’est partie ?…
— Depuis une heure ? Elle aurait pu dire au rvoir ! Vite vite, de l’alcool ou jmeurs !
Mojito qui descend dans la gorge.
— Oh merde, jvais…
Mojito qui remonte.
Vomi sur le sol, rires gras, réprimandes du patron, protestations, lutte, silence des rues.
— L’enfoiré il nous fout dehors alors que l’on vient de lui faire sa soirée ! Quel ingrat !
— Qu’est-ce qu’on fait maintenant ?…— C’est vrai ?…— Combien de bière as-tu dans ton sac ?…
— Parfait, on a qu’à les vider en se promenant !
Bières décapsulées, bouteilles qui s’entrechoquent.
Bruits de pas provenant de l’arrière.
— C’est qui ces connards qui nous suivent ? Tiens ! Prenez ma binouze en pleine poire hahaha !
Choc, cris de douleur.
Sifflet.
— Merde c’est les flics !
Pas de course, souffle court, sifflet violent.
Chouettes qui ululent, vent à travers les feuilles, crapauds qui coassent.
— Ils ne trouveront pas dans cette forêt, ne vous inquiétez pas.
Chiens qui aboient au loin, pas qui résonnent dans la forêt.
Battue en cours.
— Grimpez dans l’arbre, vite !
Aboiements qui se rapprochent, communications radio, voix des policiers.
— Ne faites plus de bruit…
— …
Chiens reniflant l’arbre.
Battements de cœur.
— …
Patrouille qui s’éloigne.
— …
Chants des oiseaux diurnes, sonnerie de téléphone.
— C’est à cette heure-ci que je me lève normalement… Je crois qu’on y aller, je ne les entends plus.
Descende de l’arbre.
— Ma tête me fait terriblement mal…
— Non je ne peux pas me coucher, je dois aller au boulot…
— Vous avez de la chance d’être encore des étudiants. Bonne nuit, on s’appelle plus tard.
Cafetière, bavardages, micro-onde.
Tête qui s’écroule sur la table.
Ronflements.
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