Êta.
OLYMPE – TEMPLE D’HECATE
La Déesse aux milles pouvoirs. Voilà comment les mortels nommaient Hécate dans l’antiquité grecque. Gardienne des carrefours – en désignant les bons chemins aux voyageurs - ou encore personnification de la Lune, elle était tantôt une bienfaitrice au service de la sagesse, la santé ou la victoire, tantôt une monstrueuse et vile divinité à la botte d’Hadès. Nombre de mythe avaient dévalués sa place parmi l’Olympe, la préférant dans les méandres des Enfers. Pourtant, elle n‘avait cessé d’être vénérée, laissant son temple dans le ciel divin intacte.
Car personne ne savait réellement qui était Hécate.
Sa rivalité avec Hélios n’était pas née de la veille. De leur caractère astral opposés, ils se battaient sans relâche pour savoir lequel des deux était le plus à même d’être médiateur entre les mortels et les Dieux. Ils étaient comme le jour et la nuit, avec un même un but, une même destination, mais avec des chemins bien différents.
Hélios était celui qui donnait chaleur, lumière et réalité aux humains, alors qu’Hécate les guidait dans les sentiers sombres de la psyché, semant doute bienfaiteur et remise en question perpétuelle. Il était le corps, et elle l’esprit.
Il n’y avait aucune raison logique à l’envie grandissante qui naissait en Hécate pour les Enfers. Si elle avait été messagère quelque temps pour celui qui dirigeait ces royaumes, elle n’y était pas restée assez longtemps pour se permettre de revendiquer quoi que ce soit. Pourtant, cette attraction pour les souterrains n’était pas subite, elle avait toujours été présente. L’idée d’avoir accès aux cercles infernaux, de prouver qu’ils n’étaient pas aussi mystiques que tous s’accordaient à dire, lui faisait penser qu’elle y avait sa place. Ce n’était pas tout, bien sûr. Il y avait aussi cette lueur de défi, de rivalité, de jeu avec Hélios. Que lui veuille s’engouffrer dans les Enfers ? Elle n’y voyait pas l’intérêt. Il était le soleil, après tout, un être divin lumineux. Certains disaient que son retour était seulement par intérêt, d’autres s’imaginaient qu’il éprouvait des sentiments envers Macaria, et enfin, la plupart avaient lancé que cette annonce de conseiller royal semblait coller si parfaitement avec le caractère d’Hécate qu’il avait postulé uniquement pour pousser celle-ci à se lancer.
Ce matin-ci, dans sa sombre demeure, la Déesse magique de l’Olympe s’observa dans son miroir de bronze. Était-elle réellement la mieux placée pour seconder la reine des Enfers ? D’un geste rapide, elle replaça sa mèche derrière son oreille, lâchant un soupir désespéré. Si elle devait se battre contre Hélios pour cela, elle ferait mieux de se dépêcher à les rejoindre.
ENFERS – TRIBUNAL
Contre toute attente, Aria se trouvait de nouveau devant un temple. Elle qui pensait que ces bâtisses étaient réservées à l’Olympe, elle ne pouvait que se faire à l’idée que les Enfers en possédaient un également. Celui de son père, peut-être ? Elle avait du mal à croire que quiconque puisse vénérer Hadès. Intriguée, elle avança.
Ce n’était pas un temple comme celui de Zeus. Il n’était pas fait de marbre blanc, et n’était pas suspendu au-dessus d’une mer de nuages. Enterré six pieds sous terre, le paysage qui se dressait devant elle était rocheux, tels de petits îlots de pierre arrachés aux parois et planant dans un vide de plusieurs milliers de kilomètres. Dans cette immensité, un pont rejoignait l’île centrale, fait de dalles grisonnantes qui ne cessaient de tanguer. Hermès, sans nul doute le moins effrayé de tous, commença sa marche vers le bâtiment.
« Je ne vais pas marcher là-dessus, intervint Hélios. Je ne sais pas voler, moi. »
Las, Hermès rebroussa chemin vers lui.
« Je ne comprend pas pourquoi tu es venu.
— J’ai entendu dire que Macaria avait besoin d’un guide, voilà tout. »
La concernée afficha un air ahuri.
« Tu es descendu aux Enfers pour… Me guider ? répéta-t-elle, certaine qu’il blaguait.
— C’est exact.
— Hermès a déjà ce rôle, Hélios. C’était inutile.
— Il n’est pas venu pour ça… soupira le messager. Comment ai-je pu être aussi stupide ? La seule chose qu’il veut, c’est une place au sein de la royauté.
— Je ne vois pas de quoi tu parles, se défendit Hélios.
— Sans rire ? railla-t-il, levant les yeux au ciel. Tu es le Dieu du soleil, celui qui dirige l’été et les chaleurs dans le monde des mortels et tu prétends encore vouloir servir de guide à la princesse dans l’endroit le plus froid de tous les mondes ? »
Il ne sut quoi répondre. Sous le choc, Aria esquissa un mouvement de recul.
« Est-ce que c’est vrai ? demanda-t-elle. Est-ce que tu es réellement là par intérêt ? »
Il baissa les yeux, peiné.
« Je vous doit la vérité.
— Ce serait mieux, oui, lâcha Hermès d’une voix ferme.
— Je suis ici pour ce qu’il y a en face de vous. »
D’un commun mouvement, ils se tournèrent vers le temple.
« J’ai du mal à comprendre… lança Aria.
— Ce que tu as devant toi est le tribunal des Enfers, présidé par Minos, Eaque et Rhadamanthe. Je me fiche bien de la place de second du trône ou je-ne-sais-quoi, je cherche juste un travail.
— Tu es déjà juge au sein de l’Olympe, ça ne te suffit pas ?
— Je l’ai été, jusqu’à ce que je parte chez les mortels. Lorsque vous êtes parti pour les Enfers, Zeus m’a plus ou moins fait comprendre que mon poste n’était plus d’actualité.
— Qu’as-tu bien pu faire pour te faire renvoyer ? s’étonna Aria.
— Il se pourrait que j’aie couché avec sa fille… » révéla-t-il, se râclant la gorge comme pour effacer ses mots.
Un silence plana, avant qu’Hermès n’éclate de rire.
« Attends… s’étouffa-t-il, hilare. Athéna ou Artémis ?
— Athéna. » répondit-il, gêné.
Hermès essuya une larme, puis renifla.
« Nom d’une Déesse, Hélios ! Comment as-tu pu coucher avec la fille de ton roi ?
— Tu sais comme c’est ! Dionysos avait de bons vins dans son temple, et j’étais ivre. C’est un bon gamin, mais le fait qu’il ait de l’alcool sans pouvoir encore y toucher était une hérésie. Il nous avait invité, et ça a dégénéré.
— Zeus ne peut pas te renvoyer seulement pour ça, pas vrai ? » demanda Aria, avec étonnement.
Hermès lui lança un sourire bienveillant.
« Athéna était vouée à être une Déesse vierge, comme Déméter. Il n’a jamais su que sa fille avait déjà eu quelques aventures dans son dos…
— C’est n’importe quoi, soupira-t-elle.
— Et pourtant ! »
Hélios haussa les épaules.
« Quoi qu’il en soit, cette… Erreur, m’a coûté mon rôle de juge au sein de l’Olympe. Je suis donc voué à m’ennuyer tous les hivers.
— Pourquoi ne l’as-tu pas dit ?
— Je pensais que tu refuserais, pour tout te révéler. Après tout, le poste n’est pas vraiment vaquant aux Enfers.
— Je devrais bien te trouver une place ! »
Hermès pouffa.
« Bonne chance pour convaincre Minos… Il est aussi têtu que son taureau ! »
Inspirant un grand coup, Aria posa le pied sur la dalle chancelante, observant l’île portant le temple un peu plus loin.
« Allons voir ça. » lâcha-t-elle, mal assurée.
Une fois les dalles chancelantes traversées, Aria, Hélios et Hermès arrivèrent enfin aux portes du tribunal des Enfers. Celui-ci était similaires aux temples antiques grecs. Faits de pierre polies, la couleur tirait vers l’écru et la frise habituellement colorée était ici ornée de rouge et de noir. Typique.
Hermès ne s’embêta pas à toquer, comme il en était coutume dans l’Olympe. Il entra simplement, faisant découvrir les lieux à ses acolytes. Si l’endroit se voulait différent des temples divins que l’on croisait aux cieux, il avait une similitude frappante : Le Naos servait lui aussi de salle des trônes, à l’exception qu’il n’y en avait qu’un seul, fait d’argent, assez grand pour trois personnes. Un sofa, en sommes.
A droite seyait un homme âgé, d’apparence dure et froide. Au centre, un autre individu plus vieux encore à la barbe ondulée grisonnante et à l’air sage, tandis que celui de gauche, encapuchonné, avait le dos courbé vers l’avant. A l’unisson, ils se levèrent et effectuèrent une révérence gracieuse. Le plus grand des trois s’avança vers Aria, jaugeant celle-ci de ses yeux ridés bienveillants.
« Bienvenue. » lança-t-il avec simplicité.
Elle recula quelque peu, étonnée par ce comportement si solennel et jeta un œil à Hermès.
« Macaria, voici Eaque, expliqua-t-il. Juge et gardien des clefs du tribunal infernal.
— Je suis enchanté de faire enfin votre connaissance, fille d’Hadès. »
L’homme de droite s’avança à son tour.
« Je suis Minos, se présenta-t-il. Je juge les fausses accusations. »
Enfin, celui de gauche arriva à la hauteur de ses confrères.
« Rhadamanthe, salua-t-il, se décapuchonnant. Je répartis les morts dans les cercles des Enfers. »
Face à ces hommes sagaces et sages, elle ne sut comment elle pouvait avoir la prétention de les gouverner.
« Je suis… Ravie de vous connaître ? » lança-t-elle avec si peu d’assurance qu’elle ne se reconnaissait pas.
Eaque lui lança un sourire.
« Nous attendions votre venue, jeune reine. »
D’un œil rapide, elle parcourra les environs du regard. Ce n’était pas aussi sinistre que l’extérieur. C’est minimaliste, simple, et en aucun cas similaire aux tribunaux de Grèce moderne. Les sourcils froncés, elle se plongea dans ses pensées afin de choisir parmi la tonne de questions qui lui venait à l'esprit.
« Comment se déroule un jugement ? »
Ravi que quelqu’un s’intéresse à son métier, le visage d’Eaque s’élargit en un sourire.
« L’âme du mortel se présente, et nous le jugeons, répondit-il avec fierté.
— Oui, j’avais déjà ma petite idée là-dessus. »
Elle se râcla la gorge, mal à l’aise. Derrière elle, Hélios retint un rire.
« Comment se fait-il que nous soyons seuls dans ce temple par ailleurs ?
— Les portes des Enfers ont été fermées, mademoiselle. Les morts attendront que vous soyez repartis dans l’Olympe, nous n’allions pas vous encombrer de leur présence.
— Si je dois travailler ici, je doute de pouvoir y échapper.
— Oh bien sûr que si ! Vous serez sur votre trône, dans votre royaume, et n’enverrez que des messagers pour faire respecter vos dires. En des millénaires, nous n’avons vu Hadès que lorsqu’il était question d’horreur. »
Elle lâcha un long soupir, et secoua la tête.
« Je suis peut-être leur fille, mais je ne suis ni Perséphone, ni Hadès. Si je dois vivre dans les Enfers pour un temps encore indéterminé, je préférerais savoir comment ça fonctionne, ici-bas. »
Eaque ne trouva rien à répondre. Hermès, embarrassé, baissa le menton.
« Est-ce une mauvaise chose ? s’étonna Aria.
— C’est inhabituel, répondit Rhadamanthe. Mais c’est louable.
— Alors pourquoi ai-je l’impression que cela pose un problème ?!
— Nombre d’entre nous ont été habitués à vivre sous les commandements de votre père. Si certains vont vous remercier pour votre gentillesse et votre désir d’être impartiale et juste, d’autres ne vont pas apprécier les changements.
— J’ignore ce qu’a fait Hadès de bon pour ce royaume. De ce que j’ai pu en voir, il n’a jamais pensé à faire de cet endroit quelque chose de bon pour des personnes qui sont censées rester y travailler pour des millénaires.
— Mais nous sommes aux Enfers, mademoiselle. Qu’imaginiez-vous ? »
OLYMPE – TEMPLE DE ZEUS
Assis sur son trône, Zeus tapotait nerveusement sa chevalière sur l’accoudoir. Héra, qui ne supportait plus ce bruit, leva une énième fois les yeux au ciel.
« Tu es encore en train de ruminer. » pesta-t-elle.
Il tourna la tête, puis lâcha un long soupir.
« Que voudrais-tu que je fasse ? Macaria va détruire l’Olympe. »
Héra se mordit la lèvre, s’empêchant d’exploser. Elle inspira une fois, plus tenta de calmer ses nerfs.
« Combien de fois vais-je devoir te répéter que les Moires n’ont jamais prédit une telle chose ? » lança-t-elle, mesurant ses mots.
Il croisa les bras sur sa poitrine.
« Quoi qu’il en soit, ça ne peut pas être bon.
— Oh et puis merde ! »
Elle se planta face à lui, le regard emplit de colère.
« Je suis fatiguée de te voir tourner en rond depuis des heures, Zeus ! s’énerva-t-elle. Je vais convoquer les Moires une nouvelle fois, leur demander ce que réserve l’avenir de cette gamine, que nous soyons fixés ! »
Les yeux du Roi se révulsèrent, effrayés par cette éventualité.
« Ne fais pas ça !
— Et pourquoi pas ? Ce que tu as entendu remonte à des années, et rien de ce qu’elles n’ont raconté n’a de sens !
— Elles fonctionnent par énigme, c’est bien normal.
— Je me fiche bien des charades et des tirades, je m’en vais les voir que tu le veuilles ou non. Si l’Olympe est réellement en danger par cette pauvre fille élevée par des mortels, je ferais mieux de le savoir.
— Ce n’est pas ton rôle.
— Quel est-il dans ce cas ?! vociféra-t-elle. Rester assise là, à supporter tes coucheries avec la moitié des Déesses de l’Olympe ? Sourire aux invités et leur préparer du repas quand ça te chante ? Je ne suis ni ta mère, ni ta boniche, Zeus. Je suis reine ! Merde ! »
Sous la colère, elle tourna le dos à son mari, et claqua la porte du temple. Le bruit fit écho dans le Naos, et le silence qui s’ensuivit n’eut d’autre effet que d’exaspérer le roi. Toujours dans ses pensées, il se répéta les derniers mots des Moires une nouvelle fois :
Vaste et longue, sera le chemin,
De cette ombre, qui n’a pas de destin.
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