Bouillie de cervelle et grosses bagnoles
L’image de Greg hante encore mes nuits. Ces salopards de fachos lui avaient défoncé sa pauvre petite tête. La vision était si abominable qu’on aurait crû être dans une scène d’un film d’horreur à la SAW. Il reposait à même le sol, juste à côté de sa voiture, couché dans une mare de sang qui continuait de s’étendre, les yeux révulsés avec des petits bouts de cervelles éparpillés autour du trou béant dans son crâne. La vitre du côté conducteur arborait l’impact de sa tête, le reste de la glace devenue opaque par le sang qui s’y était posé.
Je ne m’arrêtai qu’une seconde, pourtant je me rappelle cette vision comme si j’avais photographié la scène de long en large. Sans réfléchir, je passai à côté de lui, montai dans la voiture et démarrai en trombe. Juste à temps, si la course s’était poursuivie encore une ou deux minutes, ces skins auraient vraisemblablement fait de la petite bouillie de Chris.
Alors que je mettais les gaz, ce qui provoqua un de ces crissements de pneu sur la route, je jetai un œil dans le rétro. Je vis les deux malabars s’arrêter à hauteur de Greg et l’un deux saisit un téléphone. Je ne savais pas où j’allais, la seule idée qui me venait en tête était de distancer le plus vite possible ces connards de fachos. J’évitais au maximum les grands axes, prenant toutes les petites routes qui s’offraient à moi. J’ai dû rouler une heure en silence. Je n’aurais pas pu mettre la radio, il fallait que je me calme, que je réfléchisse à ce que j’allais faire. Mais, plus je pensais aux événements, plus il m’était impossible de baisser mon tensiomètre. Je ne pourrai vous dire combien de fois j’ai dû taper sur ce volant en hurlant toute sorte de mots pas forcément audibles pour une assemblée aux oreilles chastes.
À force de rouler, le paysage urbain commença à s’effacer derrière moi. J’avais quitté l’agglomération bruxelloise depuis un petit temps, me retrouvant souvent entouré de champs. Dès que j’aperçus un bois, j’allai y garer la voiture. Je regardai ma montre, on approchait minuit. Je décidai d’attendre là planqué encore une bonne heure avant de prendre la route. Il me fallait trouver une pompe à essence dans peu de temps, le réservoir indiquait qu’il allait bientôt protester en immobilisant la voiture si je ne le sustentais pas. Je pris mon mal en patience, persuadé qu’au plus les ténèbres seraient avancées, plongeant tout un chacun dans les bras de Morphée, au plus j’avais des chances de passer inaperçu avec ma tronche déstructurée et cette vitre de bagnole défoncée et sa couleur ketchup.
Je décidai enfin d’allumer Twitter, histoire de récupérer les dernières nouvelles. Je ne dus pas chercher longtemps : le premier gazouillis, partagé en masse, indiquait : Traque du fugitif toujours en cours. Aurait de nouveau frappé à Rhode-Saint-Genèse. Se dirigerait vers Charleroi. Plus d’infos à suivre.
Je continuais de farfouiller Twitter, de plus en plus fébrile. Je tombai sur une autre dépêche. Je m’écroulai au sol en la lisant. Elle annonçait que j’avais massacré un gars pour lui piquer sa voiture. Il y avait ensuite la description de ladite bagnole, celle de Greg bien sûr. Ça continuait. On venait de me coller un nouveau meurtre sur le dos. Le reste de la dépêche indiquait que j’étais rentré par effraction dans ma propre maison, mais que les flics m’avaient mis en fuite. Que des bobards, je n’avais rien fait de tout ça !
Je lançai de rage mon téléphone qui alla s’écraser sur un arbre un peu plus loin. Je me rendis compte que ma colère subite était bien stupide en regardant la myriade de débris argentés retomber sur le sol. Je venais de perdre mon unique outil de communication, la seule aide que je pouvais avoir. J’espérai que Greg avait un GPS planqué dans sa bagnole, si je continuais à rouler à l’aveuglette, je risquais de devoir pousser la voiture avec son réservoir presque vide.
La chance d’avoir un pote ultra geek qui ne jure que par la technologie. Il y avait bien un GPS caché sous un siège. Je fis une petite recherche rapide sur l’appareil, et je pus constater qu’il y avait une pompe à essence pas trop loin d’où j’étais, même si c’était sur un axe principal. Je donnerai à manger à la tuture vite fait, ni vu ni connu, puis je reprendrai la route.
Je fis les cent pas à côté de cette voiture, ressassant encore et toujours les événements dans ma tête. Il devait y avoir une faille quelque part, ce n’était pas possible autrement ! Cette attente dura une éternité, les secondes paraissaient se transformer en minute. J’étais en train de devenir fou. Je ne comprenais plus rien, je ne voyais aucune issue, aucun moyen de me disculper. Je paniquais de plus en plus. Il fallait que je déniche un endroit où me poser, me calmer quelques jours et surtout laisser passer. S’ils faisaient moins attention à moi, peut-être pourrais-je circuler tranquillement et trouver une solution. Je jetai mon dévolu sur Paris, rien de mieux que l’anonymat d’une grande ville. Et puis, c’était assez facile de s’y planquer.
La destination décidée, je repris le volant, n’en pouvant plus d’attendre. Avec le GPS allumé, j’arrivai en moins cinq minutes à cette foutue pompe à essence. Pas un chat, parfait. Je pris bien soin de placer la voiture de manière à ce qu’on ne voie pas la vitre bousillée. J’en profiterai pour nettoyer le sang qui commençait à bien sécher sur la glace.
J’insérai ma carte de banque pour activer la pompe. Je tapai mon code et vis l’appareil éjecter instantanément le petit rectangle plastique. TRANSACTION REJETÉE. Impossible. Je n’étais jamais à court de fric. L’idée traversa de suite mon esprit : ils avaient certainement fait bloquer mes comptes. Si ces types avaient pu me retrouver en si peu de temps, ils devaient avoir le bras long pour réaliser un pareil maléfice. Il fallait que je vérifie. Je sortis la Visa, pour confirmer cette hypothèse. Bingo ! La carte fut également rejetée.
Mon poing alla se fracasser sur le terminal. Je ne pus me contrôler plus. J’évacuais ma rage sur ce prétendu Mister Cash qui refusait mon argent, frappant de plus en plus fort. Je hurlai alors que le métal commençait à érafler ma peau, mes cris s’amplifièrent à mesure que la chair de mon poing s’ouvrait de plus en plus. Je cognai encore et encore, alternant avec des coups de pieds. L’appareil lui, ne bougeait pas d’un poil, imperturbable face à la furie qui se déchaînait sur lui.
Des sirènes m’interrompirent dans mon élan. Ils étaient déjà là. Mais comment pouvaient-ils faire ? Le son devenait de plus en plus distinct alors qu’ils se rapprochaient. Je sautai au-dessus du capot pour retourner au volant. Bon, je vous le dis tout de suite, ça ne se passe pas comme dans les films. Après avoir fait un beau blush sur le métal poli, au lieu de glisser je me roulai sur le côté pour finir ma course. Les genoux amortirent le choc de mon frêle corps sur le béton armé. Je laissai à nouveau échapper un râle tonitruant de bête à l’agonie en me relevant et en allumant le moteur. De plus en plus désespéré, je démarrai en trombe et quittai la route principale.
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